Auteurs : Serena Bassi , Maïla Garcia
Site de publication : Sciences Po
Type de publication : Rapport
Date de publication : Avril 2024
Introduction
Le droit à la santé constitue un enjeu central du développement social et humain en Côte d’Ivoire. Ce rapport vise à analyser les dynamiques autour de l’accès à la santé, en mettant en lumière les progrès et les défis majeurs rencontrés entre 2017 et 2023. La Côte d’Ivoire, pays en développement d’Afrique de l’Ouest, connaît à la fois des avancées économiques notables et des inégalités persistantes dans le domaine sanitaire.
Le secteur sanitaire ivoirien est structuré autour de plusieurs acteurs publics et privés, avec une organisation décentralisée qui cherche à rapprocher les services des populations. Toutefois, les systèmes de financement demeurent fragiles, avec un faible engagement des ressources publiques et une forte dépendance à l’aide internationale.
Financement et budget du secteur de la santé
Le financement du secteur de la santé en Côte d’Ivoire reste un défi majeur. Malgré des efforts pour augmenter le budget alloué à la santé, celui-ci demeure largement insuffisant par rapport aux besoins de la population. Le financement repose en grande partie sur des fonds publics, dont la part allouée par l’État est en augmentation, mais reste faible au regard des dépenses globales nécessaires.
Une large part du financement provient également des partenaires internationaux, ce qui crée une dépendance et une fragilité dans la continuité des programmes de santé. Cette dépendance pose la question de la durabilité des politiques publiques lorsqu’elle s’appuie trop fortement sur des aides externes.
En 2023, le budget de l’État pour la santé représentait environ 6% du budget national, un chiffre en hausse mais encore en dessous des recommandations de l’OMS qui préconise un seuil à 15%. Les dépenses personnelles directes des ménages restent élevées, surtout pour les populations rurales, ce qui impacte l’accessibilité aux soins.
Infrastructures, ressources humaines, accessibilité
Les infrastructures de santé se sont multipliées depuis 2017 avec l’ouverture de nouveaux centres de santé communautaires et d’hôpitaux régionaux. Malgré cette progression, de fortes disparités persistent entre les zones urbaines et rurales en termes d’équipement, de personnel soignant et d’accès aux médicaments essentiels. Les effectifs des professionnels de santé ont augmenté, mais leur répartition demeure inégale. Certaines régions rurales peinent à attirer et à retenir médecins et infirmiers qualifiés, aggravant les difficultés d’accès aux soins pour les populations les plus vulnérables.
Accessibilité financière aux soins et couverture maladie
Qualité des soins et populations vulnérables
La qualité des soins fournis demeure hétérogène. Si des progrès sont observés dans certains établissements de référence, d’autres souffrent d’un manque chronique de moyens, de formation continue du personnel et de suivi des protocoles.
Les groupes les plus exposés aux défaillances du système sont les femmes, les enfants, les personnes en situation de handicap et les populations rurales. Les violences sexuelles et basées sur le genre restent sous-dénoncées et insuffisamment prises en charge.
Gouvernance et recommandations majeures
Parmi les recommandations structurantes :
- Atteindre a minima le seuil de 15% du budget national dédié à la santé, conformément aux engagements internationaux.
- Généraliser la CMU et garantir la gratuité effective des soins pour les urgences et la santé materno-infantile.
- Améliorer l’égalité territoriale dans la distribution des équipements et des ressources humaines.
- Renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes et garantir l’accès à une prise en charge spécialisée.
- Impliquer les communautés locales dans la gestion et le suivi des politiques de santé.
Analyse des progrès et défis observés (2017-2023)
Depuis 2017, la Côte d’Ivoire a enregistré plusieurs avancées notables dans le secteur de la santé. L’augmentation du budget national consacré à la santé, la construction de nouvelles infrastructures sanitaires et la formation de personnel qualifié témoignent d’une volonté politique manifeste.
Néanmoins, ces progrès cohabitent avec des défis persistants. Le financement reste insuffisant pour couvrir l’ensemble des besoins, et la forte dépendance à l’aide extérieure fragilise la pérennité des programmes.
La disparité territoriale demeure marquée, avec des zones rurales toujours sous-équipées et une distribution inéquitable des ressources humaines et matérielles.
Par ailleurs, la mise en œuvre effective de la couverture maladie universelle reste lente et partielle, ce qui ne permet pas d’assurer une véritable accessibilité financière aux soins.
Enfin, la qualité des soins, notamment dans les établissements périphériques, manque encore de standards homogènes, avec des lacunes en formation continue et en contrôles rigoureux.
Recommandations générales pour renforcer le droit à la santé
Pour garantir le respect effectif du droit à la santé en Côte d’Ivoire, il est impératif de mener plusieurs actions prioritaires :
* Renforcer les ressources financières nationales via une meilleure mobilisation du budget public, tout en réduisant la dépendance aux financements internationaux.
* Généraliser l’accès à la Couverture Maladie Universelle, en garantissant sa mise en œuvre opérationnelle pour l’ensemble des populations, avec une attention particulière aux couches vulnérables.
* Améliorer l’égalité territoriale par une planification rigoureuse des infrastructures et une politique incitative pour le déploiement des professionnels de santé en zones rurales.
* Promouvoir la qualité des soins grâce à la formation continue, au suivi et à l’évaluation rigoureuse des pratiques médicales.
* Mettre en place des mécanismes de gouvernance transparents, avec une implication renforcée des acteurs locaux et des citoyens dans la gestion des politiques sanitaires.
* Intensifier la lutte contre les violences basées sur le genre, en renforçant la prise en charge spécialisée, la gratuité des soins, et la sensibilisation communautaire.
Dynamiques territoriales et inégalités régionales
On constate d’importantes disparités en matière de couverture sanitaire entre les milieux urbains et ruraux. Les grandes villes bénéficient d’une meilleure densité d’infrastructures et de personnel, tandis que plusieurs régions de l’intérieur du pays sont caractérisées par une offre de soins lacunaires.
En 2023, les régions du nord-ouest et du centre-ouest affichent un ratio inférieur à sept médecins pour 100,000 habitants, alors que la capitale économique Abidjan en compte plus de trente pour 100,000.
L’approvisionnement en médicaments essentiels et en dispositifs médicaux reste problématique hors des grands centres urbains.
La question des transports et de l’accessibilité physique des établissements de santé est également pointée comme frein structurel à l’accès aux soins en zone rurale.
Systèmes de protection sociale et population vulnérable
L’instauration de la Couverture Maladie Universelle (CMU) représente une avancée significative, mais le taux de couverture réel reste faible, en particulier parmi les couches les plus précaires de la population .
De nombreuses familles recourent encore à l’automédication ou aux professionnels informels, faute de moyens ou d’information sur leurs droits. Les personnes en situation de handicap, victimes de violences, ou déplacées internes rencontrent des obstacles spécifiques et cumulatifs.
Les dispositifs d’accompagnement social existants, s’ils constituent une base de départ, mériteraient d’être renforcés pour s’assurer que nul ne soit laissé en marge du système de santé.
Qualité, sécurité et humanisation des soins
La qualité effective de la prise en charge varie fortement d’un établissement à l’autre . La formation continue du personnel médical demeure limitée, en particulier pour la gestion des situations d’urgence, la prise en charge des victimes de violences sexuelles et la santé mentale.
Plusieurs témoignages recueillis soulignent les difficultés d’accueil des patients, le déficit d’écoute et d’empathie, ainsi que les échéances parfois longues pour les examens spécialisés.
Il est recommandé de :
- Mettre en place des référentiels nationaux de bonnes pratiques, applicables jusqu’au niveau communautaire.
- Développer l’accompagnement psychologique des personnes affectées par des violences ou des pathologies lourdes.
Gouvernance, transparence et pilotage
La gouvernance du secteur de la santé souffre d’un déficit de transparence dans la gestion des ressources et les choix de priorités.
La nomination des directions d’établissement, la passation des marchés publics, la répartition des dotations et les circuits d’approvisionnement seraient à rendre plus lisibles et participatifs.
Le rôle des comités de gestion locaux, des ONG et des représentants de la société civile apparaît essentiel pour mutualiser les responsabilités et garantir la bonne application des politiques publiques.
Conclusion
Au terme de cette analyse, le droit à la santé en Côte d’Ivoire demeure un chantier en construction. Si d’indéniables progrès ont été enregistrés depuis 2017, l’effectivité des droits est encore entravée par l’insuffisance du financement public, la persistance des inégalités régionales, et la lenteur dans l’opérationnalisation de la Couverture Maladie Universelle. Le rapport insiste sur la nécessité d’Élever durablement le niveau d’engagement public et politique, renforcer le dialogue entre État, société civile et partenaires internationaux, Garantir la prise en charge effective des populations les plus vulnérables, Le respect du droit à la santé passera, dans les années à venir, par des choix courageux en matière d’investissement, de gouvernance et de justice sociale.
