Dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, les journalistes sont confrontés à un environnement de plus en plus hostile, où exercer leur métier relève parfois d’un acte de résistance. Le classement mondial de la liberté de la presse 2025 publié par Reporters Sans Frontières (RSF) tire la sonnette d’alarme. La majorité des pays ont enregistré une chute marquée dans le classement, la Guinée connaissant la baisse la plus spectaculaire passe de la 74ᵉ place en 2024 à la 103ᵉ en 2025, soit une perte de 31 positions. En tout, 11 des 16 pays de la région ont reculé. Le Burkina Faso perd 19 places, la Guinée-Bissau 18, la Mauritanie 17, la Côte d’Ivoire 11 et le Nigeria 10. Le Togo régresse de 8 positions, le Mali de 5, tandis que le Niger et le Bénin reculent chacun de 3 rangs. Même le Ghana, longtemps cité comme modèle, descend légèrement de la 50ᵉ à la 52ᵉ place. Seuls quatre pays progressent : le Sénégal (+20 places), le Cap-Vert (+11), la Sierra Leone (+8) et le Libéria (+6). La Gambie, quant à elle, stagne à la 58ᵉ position.
Selon RSF, la région connaît une dégradation du statut global de la liberté de la presse, passée de « problématique » à « difficile ». Cette régression reflète un rétrécissement inquiétant de l’espace civique. Au Mali, au Niger ou au Burkina Faso, ces dernières années, des médias sont suspendus, des journalistes arrêtés ou enrôlés dans la propagande d’État, les associations de presse sont dissoutes et les voix critiques réduites au silence. Les journalistes deviennent les premières victimes de la montée des régimes autoritaires et de la guerre informationnelle.
Même dans les États où il n’y a pas de « rupture avec l’ordre constitutionnel », la presse n’est pas épargnée par les difficultés. Au Sénégal, la presse traverse une grave crise économique. Privés des contrats publicitaires des agences et entreprises publiques, qui représentaient jusqu’à 70 % de leurs revenus, plusieurs médias sont menacés de disparition. Au Bénin, la liberté de la presse est également fragilisée par le Code du numérique de 2018, dont certaines dispositions criminalisent la publication de fausses informations en ligne. Ce cadre juridique est souvent utilisé pour poursuivre des journalistes.
Face à ce climat d’intimidation, certaines organisations défendent encore le travail des journalistes et la liberté d’informer. C’est le cas de la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA), dont le rôle devient plus crucial que jamais : former, protéger et soutenir les professionnels des médias dans un environnement où l’information elle-même devient un acte de courage démocratique.
Cette année, la Conférence et Prix d’Excellence des Médias d’Afrique de l’Ouest (WAMECA 2025), une initiative de la MFWA, a illustré l’ampleur du dynamisme journalistique dans la sous-région, malgré les contraintes. L’événement, tenu à Accra, au Ghana, du 9 au 11 octobre 2025, a enregistré 793 candidatures provenant de 15 pays, déposées par des journalistes représentant près de 600 organes de presse. Les travaux couvraient neuf catégories : droits humains, environnement, enquêtes et grands reportages, autonomisation des femmes, ainsi que infrastructures publiques numériques et biens publics numériques. D’autres catégories incluaient la lutte contre la corruption, le secteur minier, les télécommunications et TIC, ainsi que les flux illicites de capitaux.
Aucun prix n’a été décerné dans la catégorie « lutte contre la corruption », un fait marquant de cette édition qui a suscité la réflexion et l’inquiétude. Hamadou Tidiane Sy, journaliste sénégalais chevronné, fondateur de Ouestaf News et d’E-jicom, membre du jury, a tenu à rappeler la gravité du fléau :
« Les pertes liées à la corruption en Afrique sont estimées à près de 140 milliards de dollars américains. Au-delà des chiffres, ce sont des vies affectées, des écoles qui ne fonctionnent pas, des hôpitaux en ruine. Nous avons, en tant que journalistes, le devoir d’enquêter, de comprendre et de dénoncer. »
Dès 2016, WATHI alertait déjà sur ces enjeux dans sa publication “Comment lutter contre la corruption en Afrique de l’Ouest”. Nos travaux recommandaient de promouvoir la formation de journalistes d’investigation et de mettre en place des cadres légaux pour la protection des journalistes et des lanceurs d’alerte. Ils soulignaient que l’émergence d’une presse réellement indépendante et compétente devait être encouragée pour révéler les affaires de corruption impliquant les puissants. WATHI plaidait aussi pour des concours régionaux de journalisme d’investigation, afin de stimuler la qualité des médias et de renforcer la capacité des journalistes à enquêter efficacement. Mais WATHI rappelait surtout la dangerosité de ce métier : enquêter sur l’argent et les élites politiques reste sans doute le travail le plus risqué du journalisme africain.
Aujourd’hui, ces avertissements trouvent un écho direct dans le travail de la MFWA, qui poursuit une mission essentielle : défendre un journalisme libre, responsable et résilient. Organisation non gouvernementale régionale et indépendante, la MFWA collabore avec des partenaires dans chacun des 16 pays d’Afrique de l’Ouest. Elle abrite également le secrétariat du Réseau africain d’échange pour la liberté d’expression (AFEX), qui regroupe les principales organisations du continent œuvrant pour la défense du journalisme libre et indépendant.
À travers des initiatives comme la WAMECA, qui attire chaque année des centaines de candidatures de journalistes venus de toute la région, la MFWA démontre qu’il existe encore une vitalité et une passion pour le métier, malgré un environnement marqué par de nouveaux défis. Le thème de la WAMECA 2025, consacré au journalisme et aux infrastructures publiques numériques en Afrique, s’inscrit pleinement dans cette dynamique. Le paysage médiatique ouest-africain traverse aujourd’hui une phase de transformation rapide, portée par les innovations technologiques, mais aussi par de nouvelles menaces telles que la désinformation, la manipulation algorithmique, la dépendance aux plateformes étrangères et la surveillance numérique.
Selon une étude publiée en avril 2024 par le Centre d’études stratégiques de l’Afrique et intitulée Cartographie de la vague de désinformation en Afrique, les campagnes visant à manipuler les systèmes d’information africains ont presque quadruplé depuis 2022, entraînant des conséquences déstabilisantes et antidémocratiques. L’Afrique de l’Ouest est la région la plus ciblée, concentrant à elle seule près de 40 % des campagnes de désinformation documentées sur le continent.
Dans ce contexte, la question n’est plus seulement comment informer, mais comment garantir que l’espace numérique demeure un bien public, ouvert, accessible et protecteur de la liberté d’expression. Les infrastructures publiques numériques, plateformes ouvertes, données partagées, systèmes transparents et interopérables, représentent une nouvelle frontière pour la démocratie et pour le journalisme. Elles redéfinissent le rapport entre les citoyens, les États et les médias.
Face à cette nouvelle réalité numérique, le rôle des journalistes devient encore plus stratégique. Il consiste à vérifier, expliquer, relier et défendre le droit de chacun à une information libre et fiable. À l’heure où les espaces numériques redéfinissent le pouvoir de l’information, préserver un journalisme libre et éthique devient plus que jamais un impératif démocratique.
