

Angeline Savadogo
Pendant longtemps, les affaires internationales sont restées confinées aux sphères étatiques et diplomatiques. La géopolitique, souvent perçue comme technique, semblait réservée aux élites. Ce monopole est aujourd’hui rompu. Dans les capitales comme dans les zones périurbaines d’Afrique et du Sahel en particulier, les jeunes ,instruits ou non, s’intéressent aux jeux d’alliances, aux rapports de force et à la souveraineté. Certains prennent position, d’autres passent à l’action . Ce déplacement du débat interroge : que signifie, aujourd’hui, être citoyen dans un espace géopolitique en pleine mutation ? C’est toute la portée de l’engagement individuel et collectif qui se redessine, entre prises de parole et mobilisations massives.
Le bouleversement des rapports de puissance dans la région, marqué par l’érosion des anciennes alliances, l’émergence de nouveaux partenaires stratégiques, et le brouillage des lignes entre acteurs étatiques et non étatiques, crée un environnement dans lequel la participation des jeunes à la vie publique n’est désormais plus périphérique. Elle devient centrale, parfois même frontale.
Ni experts, sans costumes, sans mandats… mais bien déterminés à peser sur les jeux d’alliances
Dans plusieurs pays du Sahel, l’intérêt croissant des jeunes pour les enjeux géopolitiques se manifeste, sous formes diverses : manifestations, actes de violence contre des représentations diplomatiques, appels à la rupture d’accords bilatéraux, rejet d’organisations multilatérales etc. , elles révèlent pourtant une réalité incontournable : la diplomatie s’étend désormais au-delà des cercles officiels et investit l’espace public.
Les jeunes ne sont pas de simples spectateurs de ce réalignement. Ils y perçoivent des opportunités ou au contraire des menaces, sans toujours disposer des outils analytiques nécessaires pour en mesurer les implications à long terme. Cette asymétrie entre l’intensité des opinions et la faiblesse des cadres d’analyse disponibles est un point de tension majeur.
Ce phénomène n’est toutefois pas entièrement nouveau. En 2012, l’attaque du consulat américain à Benghazi en Libye en avait donné un aperçu tragique : dans un contexte de vide institutionnel post-Kadhafi, une jeunesse politisée, réceptive à des récits géopolitiques puissants mais peu initiée aux règles de la diplomatie et du droit international, avait exprimé sa colère de manière violente. La mort de l’ambassadeur des États-Unis et de trois diplomates reste un rappel brutal de ce que peut engendrer une contestation mal encadrée. Au-delà de la lecture sécuritaire dominante, cet événement interroge aussi la place que les citoyens, notamment les jeunes, cherchent à occuper dans les dynamiques internationales contemporaines.
Elle est une réalité, parfois désordonnée, parfois déroutante, mais incontestable. Le défi n’est pas de la contenir, mais de l’encadrer, de l’institutionnaliser intelligemment, et surtout de la reconnaître comme une composante incontournable de la citoyenneté contemporaine
Aujourd’hui, le Sahel traverse une phase similaire de reconfiguration. Les alliances traditionnelles héritées de l’histoire coloniale sont remises en question, aux profit d’acteurs comme la Russie, la Chine, la Turquie ou l’Iran.
Des institutions dépassées et une culture juridique internationale encore marginale
Les dispositifs institutionnels censés accompagner la jeunesse comme les maisons des jeunes, centres culturels, programmes extrascolaires sont souvent dysfonctionnels. Les mécanismes de dialogue entre jeunes et autorités, bien qu’inscrits dans les textes, peinent à se traduire dans la réalité.. La Politique nationale de la jeunesse du Burkina Faso, par exemple, prévoit des espaces de concertation, mais leur portée reste limitée, révélant un décalage persistant entre les intentions et les pratiques.
Dans ce vide institutionnel, les réseaux sociaux deviennent les principaux vecteurs de contenu politique. . Dès lors, il n’est guère surprenant que certains jeunes expriment leur vision du monde à travers des gestes symboliques de rejet ou de défi diplomatique, reflet d’une politisation sans médiation.
Les attaques contre les représentations diplomatiques à Ouagadougou, Kinshasa, Bamako ou au Niamey posent une question autant juridique que politique. La Convention de Vienne (1961) ,qui consacre l’inviolabilité des missions diplomatiques, semble largement méconnue par une frange de la population. Cette méconnaissance traduit un déficit de vulgarisation de la culture des relations internationales, mais aussi une crise de confiance dans les symboles de la diplomatie classique.
Dans quelle mesure les États sahéliens ont-ils institutionnalisé l’enseignement des normes diplomatiques dans les curricula scolaires ? Et à quel stade ces principes fondamentaux des relations internationales deviennent-ils partie intégrante de la culture citoyenne ?
La montée des revendications souverainistes chez les jeunes africains est indéniable. Ce décalage suggère un déficit d’outils conceptuels et pédagogiques pour penser la souveraineté dans un monde interconnecté.
Quels cadres offrir à cette jeunesse pour qu’elle puisse participer, sans n’être instrumentalisée ni marginalisée, aux débats de politique étrangère ? Existe-t-il un espace entre la technocratie diplomatique et la contestation de rue ?
Plutôt que de s’en tenir à des solutions normatives, il est nécessaire de construire collectivement une réflexion stratégique incluant chercheurs, institutions et jeunes générations sahéliennes. L’enseignement des relations internationales et des normes diplomatiques doit être intégré dans les systèmes éducatifs, aussi bien formels qu’informels.
Le citoyen de demain, ne pourra pas être passif ni neutre face aux réalignements stratégiques. Il devra comprendre les règles du jeu international, évaluer les conséquences des alliances, et se positionner, non plus dans la colère, mais dans la stratégie.
Il est tout aussi essentiel d’expérimenter des formes de diplomatie participative adaptées aux réalités locales. Les capacités analytiques des jeunes doivent être renforcées pour leur permettre de comprendre les enjeux géopolitiques, sans les enfermer dans des grilles idéologiques figées. Les structures de jeunesse doivent être repensées pour devenir des espaces de débat stratégique, ancrés dans les réalités nationales et régionales.
Aujourd’hui, la participation des jeunes aux débats géopolitiques n’est plus une perspective théorique.. Elle est une réalité, parfois désordonnée, parfois déroutante, mais incontestable. Le défi n’est pas de la contenir, mais de l’encadrer, de l’institutionnaliser intelligemment, et surtout de la reconnaître comme une composante incontournable de la citoyenneté contemporaine.
Dans un Sahel traversé par les chocs géopolitiques, la jeunesse n’est pas qu’un public à sensibiliser : elle est un acteur en formation, un levier de changement, mais peut aussi devenir un facteur de risque si elle reste en périphérie des dispositifs de gouvernance.
Dans cette région du monde, le citoyen de demain, ne pourra pas être passif ni neutre face aux réalignements stratégiques. Il devra comprendre les règles du jeu international, évaluer les conséquences des alliances, et se positionner, non plus dans la colère, mais dans la stratégie.
Crédit photo: lanouvellerepublique.fr/
Angeline Savadogo est titulaire d’une Licence en Sciences et techniques de l’information et de la communication ainsi que d’un Master en Diplomatie et relations internationales. Elle est spécialisée sur les questions de relations internationales, de géopolitique et de géostratégie.