

Wendyam Hervé Lankoandé
En octobre prochain, les Ivoiriens seront appelés aux urnes pour choisir entre la poursuite de la trajectoire actuelle portée par le régime du président Alassane Ouattara, ou l’ouverture d’une nouvelle page politique avec une nouvelle administration. Pourtant, à quelques mois du scrutin, les dynamiques actuelles laissent entrevoir une élection qui, au lieu de consolider la démocratie ivoirienne, risque d’ouvrir une nouvelle période d’incertitude. Cette situation est alimentée par des contentieux électoraux non résolus, une fracture identitaire toujours vive, et un environnement régional marqué par l’instabilité.
L’élection d’octobre 2025 mettra en compétition l’actuel parti présidentiel, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP), et deux des principaux partis de l’opposition : le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et le Parti des peuples africains de Côte d’Ivoire (PPA-CI).
Même si le président sortant Alassane Ouattara, n’a pas annoncé officiellement une quatrième candidature, tous les signaux semblent converger vers la validation de cette hypothèse. En 2020, Ouattara avait envisagé de se retirer de la vie politique en désignant comme dauphin l’ancien Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, décédé trois mois avant le scrutin. Aujourd’hui, aucun successeur ne semble émerger dans l’orbite présidentielle. Mieux, plusieurs cadres du parti présidentiel montent au créneau pour appeler le chef de l’État à briguer un nouveau mandat. Ouattara lui-même lors de son discours de vœux du nouvel an au corps diplomatique annonçait être en pleine santé et désireux de servir son pays et pourrait confirmer ou pas sa candidature d’ici juin selon les médias.
Pour le PDCI, l’ancien banquier Tidjane Thiam, est en bonne position pour décrocher l’investiture de son parti. Toutefois, il doit faire face à une polémique persistante autour de sa double nationalité franco-ivoirienne, qui pourrait peser sur sa candidature. Quant à l’ancien président Laurent Gbagbo, candidat déclaré du PPA-CI, il fait face à une inéligibilité due à une condamnation judiciaire pour la casse de la branche locale de la Banque Centrale des États d’Afrique de l’Ouest lors de la crise post-électorale de 2010-2011.
D’ailleurs, il est rayé de la liste électorale provisoire et de fait privé de ses droits politiques et civiques et ne pourrait compétir que grâce à une amnistie présidentielle. L’ancien Premier ministre Guillaume Soro et l’ex-ministre de la Jeunesse Charles Blé Goudé eux aussi radiés de la liste électorale pour des condamnations judiciaires appellent à un scrutin inclusif.
L’élection d’octobre 2025 mettra en compétition l’actuel parti présidentiel, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP), et deux des principaux partis de l’opposition : le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et le Parti des peuples africains de Côte d’Ivoire (PPA-CI)
Alors que le parti présidentiel dispose de ressources pour souder les cadres et les militants du parti autour de la candidature du président Ouattara, l’opposition politique devrait travailler à monter une coalition électorale si elle voulait s’inscrire dans une trajectoire de la victoire. Une coalition de l’opposition-la coalition pour l’alternance pacifique en Côte d’Ivoire qui regroupe 25 formations politiques- a été lancée en mars 2025 pour exiger un dialogue politique et des reformes électorales mais sans le PPA-CI de Laurent Gbagbo.
Griefs et violence
Les griefs de longue date de l’opposition à l’égard de la Commission électorale indépendante (CEI), jugée partiale, aggravent encore les inquiétudes. Accusée de favoriser le pouvoir en place, la CEI fait l’objet de critiques, notamment pour son refus d’auditer le fichier électoral, sous prétexte de délais trop courts.
Le système électoral ivoirien, basé sur une logique du « vainqueur rafle tout », constitue un facteur majeur d’instabilité. Ce mode de scrutin pousse les élites politiques à exclure leurs adversaires plutôt qu’à rechercher le compromis et à reconnaître un rôle institutionnel à l’opposition.
Les griefs électoraux qui ne sont pas nouveaux pourraient alimenter les tensions en amont du scrutin. Une exclusion de Gbagbo, Blé Goudé ou Soro du scrutin quand bien même le poids de l’électorat des deux derniers reste difficile à mesurer, si elle venait à être confirmée par le Conseil constitutionnel ne ferait que le lit à une violence pré-électorale et abîmer sérieusement le crédit sur les institutions électorales du pays.
Aussi, l’opposition critique le manque d’indépendance de la Commission électorale indépendante (CEI) accusée d’être inféodée au pouvoir en place. Face aux demandes répétées de l’opposition de faire auditer la liste électorale, le président de la CEI a laissé entendre que le calendrier électoral actuel ne permettait pas une audition de la liste. Le PDCI et le PPA-CI pourraient quitter l’instance électorale faute de réforme de la commission avec les risques d’un scrutin contesté.
Malgré les trois décennies de croissance économique affichée par l’administration Ouattara, les fractures sociopolitiques et identitaires ouvertes sous la présidence de Henri Konan Bédié restent encore ouvertes. La réconciliation nationale est un objectif de longue date en Côte d’Ivoire. Aucune des initiatives nationales de réconciliation, y compris celle menée durant le premier mandat de Ouattara, n’a permis de réconcilier le pays.
Pour le PDCI, l’ancien banquier Tidjane Thiam, est en bonne position pour décrocher l’investiture de son parti. Toutefois, il doit faire face à une polémique persistante autour de sa double nationalité franco-ivoirienne, qui pourrait peser sur sa candidature
Ces initiatives ont échoué en raison d’un manque de volonté de la part des forces politiques, qui ont tous bâti leur succès sur des clivages ethniques et régionaux. Sans un déracinement de ce legs, la stabilité politique du pays ne sera qu’ondoyante. La polémique récente sur la nationalité de Thiam ravive les inquiétudes autour de la manipulation du concept d’« ivoirité ». Cette notion, jadis utilisée pour légitimer la rébellion des élites du nord contre la domination du sud, est désormais instrumentalisée par tous les camps politiques à des fins partisanes.
Conjurer le spectre d’une rechute
Le scrutin d’Octobre 2025 marque un tournant majeur dans l’histoire politique de la Côte d’Ivoire quel que soit le vainqueur du scrutin. Une victoire de Ouattara mettra la Côte d’Ivoire sur une trajectoire de la continuité quoique de courte durée. Quand bien même, le président Ouattara dit être en parfaite santé, la question de l’âge et des aptitudes physiques des présidents avec une longue durée de vie au pouvoir sur le continent reste pour l’essentiel un tabou.
L’âge avancé du président sortant pourrait donner lieu à des rivalités ouvertes au sein du parti présidentiel en vue de l’après-Ouattara avec les risques d’une inefficacité dans la mise en œuvre des chantiers du pays. Cela est sans rappeler la fin de règne du premier président du pays Houphouët Boigny qui avait donné lieu à des agitations sociopolitiques ayant conduit à une lutte armée entre les protagonistes politiques.
Pour l’opposition, le défi est de taille : il s’agit de surmonter les divisions pour proposer une alternative crédible au RHDP. Mais les rivalités de leadership et les désaccords stratégiques compliquent l’émergence d’un front uni. En 2020, l’opposition qui n’avait aucun programme de gouvernement avait fini par boycotter le processus électoral ouvrant la voie à une brève mais violente crise dans le pays. A la différence de 2020, les relations diplomatiques avec son voisinage notamment les pays du Sahel restent au plus bas niveau.
Les tensions entre la Côte d’Ivoire et les pays du Sahel, en l’occurrence le Burkina Faso, le Mali et le Niger, se sont intensifiées depuis l’arrivée des régimes militaires dans ces pays, alimentant un climat régional de plus en plus instable. Bien que Ouattara tente de maintenir des liens diplomatiques, ces pays perçoivent Abidjan comme un soutien à la stabilité régionale et un opposant aux régimes militaires.
La détention de soldats ivoiriens par le Mali en 2023, le soutien à une intervention militaire au Niger, ou encore l’accueil de figures comme Soro à Niamey, ont tendu davantage les relations. Ces tensions, renforcées par des incidents frontaliers et des accusations de déstabilisation, compliquent davantage les relations diplomatiques entre Abidjan et les régimes militaires du Sahel.
Un retour de la Côte d’Ivoire à l’instabilité serait particulièrement dommageable pour l’Afrique de l’Ouest, déjà confrontée à de multiples crises. Le départ du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la CEDEAO a affaibli l’organisation, désormais moins en capacité de jouer un rôle de médiation en cas de crise électorale. Une déstabilisation ivoirienne aurait donc des répercussions régionales majeures.
L’élection présidentielle d’octobre 2025 représente un moment charnière pour la Côte d’Ivoire. Sans une réforme en profondeur des institutions électorales et un dialogue politique, les risques de violence demeureront élevés. Une gouvernance uniquement fondée sur un rapport de force ne constitue pas une solution viable et ne fera que perpétuer une alternance entre paix précaire et instabilité.
Crédit photo: letemps.ch
Wendyam Hervé Lankoandé est un analyste politique indépendant spécialisé sur les questions de paix, de sécurité et de développement en Afrique de l’Ouest francophone. Il cumule une expérience dans le secteur privé, ayant travaillé comme consultant en risques pour Africa Practice et Control Risks. Avant de rejoindre Control Risks en juillet 2022, il a été boursier Giustra pour l’Afrique de l’Ouest au sein de l’International Crisis Group (ICG) entre 2020 et 2022