Bah Traoré
Le Forum sur la Coopération Sino-Africaine (FOCAC), prévu du 4 au 6 septembre 2024 à Beijing, intervient dans un contexte mondial de tensions géopolitiques croissantes qui affecte les relations entre la Chine et l’Afrique. Longtemps perçues comme solides, ces relations sont mises à l’épreuve par une diminution significative des prêts chinois aux pays africains en raison d’une série de facteurs, notamment le COVID-19 et les nouvelles priorités chinoises, reflétant une reconfiguration des priorités économiques de la Chine sur le continent. Alors que la Chine a promis un financement de 50 milliards de dollars pour trois ans lors de cette édition, ce montant reste inférieur aux engagements des forums précédents, suggérant une approche plus sélective et stratégique dans le domaine des infrastructures, du commerce et de la sécurité. Cette nouvelle orientation illustre la volonté de Pékin de concentrer ses investissements sur des secteurs jugés plus rentables et d’intérêt mutuel à long terme. La Chine semble ainsi s’éloigner d’un modèle axé sur les prêts massifs pour le développement des infrastructures, au profit d’une coopération plus diversifiée et équilibrée, visant à réduire sa propre exposition aux risques financiers tout en répondant aux besoins spécifiques de ses partenaires africains.
Depuis le début des années 2000, les relations entre la Chine et l’Afrique ont connu une transformation profonde. Le FOCAC, lancé en 2000, a été institutionnalisé comme une plate-forme triennale de dialogue et de coopération, facilitant les échanges bilatéraux et le développement de projets communs. L’année 2006 a marqué un tournant majeur avec l’engagement accru de la Chine en Afrique, illustré par des visites de haut niveau de dirigeants chinois sur le continent et une participation record de 48 États africains au sommet de Pékin. À cette époque, même certains pays entretenant des relations avec Taiwan ont été invités en tant qu’observateurs, soulignant la volonté de la Chine de renforcer ses alliances en Afrique.
Aujourd’hui, Taiwan ne conserve que des relations diplomatiques officielles avec un seul pays, Eswatini. Les autres pays africains ont progressivement rompu leurs liens avec Taipei, attirés par les promesses économiques et les investissements de la RPC, qui est devenue le principal partenaire commercial du continent. Taiwan a pourtant connu une période d’influence significative en Afrique, surtout entre les années 1950 et 1970 atteignant 30 pays africains. L’année 2006, baptisée “l’année de l’Afrique” en Chine, a également été marquée par la publication du Livre blanc de sa politique africaine, qui a officialisé la stratégie de Pékin sur le continent, mettant l’accent sur le développement des infrastructures, de l’énergie et la coopération dans une perspective de Sud-Sud. Ce document a officialisé la stratégie chinoise en Afrique, soulignant l’engagement de Pékin dans des domaines allant des infrastructures à l’énergie, tout en renforçant la rhétorique de coopération Sud-Sud héritée de la Conférence de Bandung de 1955.
La Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Afrique, avec des échanges bilatéraux atteignant 167,8 milliards de dollars au premier semestre de 2024. L’intérêt croissant des grandes puissances comme la Chine, les États-Unis, et la France et des puissances émergentes( Inde, Turquie etc….) pour l’Afrique reflète la reconnaissance de son immense potentiel économique, stratégique, et démographique. Ce regain d’attention est largement motivé par la compétition pour les ressources naturelles, l’influence géopolitique, et les opportunités de marché qu’offre le continent. Cependant, les sommets entre l’Afrique et ces puissances, auxquels les chefs d’État africains se précipitent régulièrement, mettent en lumière une dépendance persistante et une faiblesse diplomatique qui contrastent fortement avec les discours souverainistes sur le continent.
Relations Sino-africaines : Entre coopération bilatérale et influence multilatérale
La relation sino-africaine s’est construite sur une stratégie que la Chine qualifie de “relations multi-bilatérales”. Cette approche combine des engagements bilatéraux directs avec une multitude de pays africains tout en maintenant une diplomatie collective à travers des plateformes telles que le Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC). Reposant sur cinq principes: respect de la souveraineté, non-agression, non-ingérence, avantages mutuels, et coexistence pacifique, cette stratégie a permis à la Chine de s’implanter solidement sur le continent africain. En pratique, les bénéfices de cette relation asymétrique sont inégalement répartis entre les pays africains. Certains d’entre eux, en raison de leur importance géopolitique ou de leurs ressources naturelles stratégiques, ont été davantage favorisés que d’autres. Les échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique se concentrent principalement sur un nombre restreint de pays. Entre 2000 et 2022, cinq pays africains, l’Afrique du Sud, l’Égypte, le Nigeria, l’Algérie, et le Ghana ont absorbé 51 % des exportations chinoises vers l’Afrique, principalement des équipements de télécommunications, des chaussures, des tissus, et des automobiles. Du côté des importations, quatre pays: l’Angola, l’Afrique du Sud, le Soudan, la République Démocratique du Congo (RDC), et la République du Congo représentent 69 % des importations chinoises en provenance d’Afrique, dominées par les ressources naturelles comme le pétrole brut et les minerais.
L’Afrique du Sud fournit des minerais essentiels comme le platine et le charbon, tandis que la RDC est un fournisseur mondial majeur de cobalt, indispensable à la fabrication de batteries lithium pour les technologies modernes, ainsi que de cuivre. En parallèle, des pays comme l’Éthiopie et le Kenya émergent également en tant que partenaires commerciaux importants. Bien qu’ils ne figurent pas parmi les plus grands exportateurs de ressources naturelles, ces deux nations ont tissé des liens solides avec la Chine, notamment dans les domaines des infrastructures, de la construction et des technologies. Toutefois, cette dynamique multi-bilatérale n’est pas exempte de critiques. Bien que les entreprises chinoises opérant en Afrique soient souvent contrôlées par l’État, ce n’est pas toujours le cas. Certaines ont été impliquées dans des scandales qui ont entaché l’image de la Chine sur le continent. Par exemple, le trafic de bois de rose au Sénégal et au Mali par des acteurs chinois et les accusations de corruption et d’exploitation minière illégale en RDC illustrent des tensions croissantes entre les communautés locales et les acteurs économiques chinois. Les entreprises chinoises sont souvent accusées de ne pas respecter les normes environnementales et de s’engager dans des pratiques d’exploitation qui nuisent aux communautés locales. Ces pratiques sont documentées par des organisations de la société civile où des fonctionnaires locaux seraient impliqués dans des arrangements avec des entreprises chinoises pour faciliter leurs opérations, souvent au détriment des droits des populations locales.
Entre 2000 et 2022, cinq pays africains, l’Afrique du Sud, l’Égypte, le Nigeria, l’Algérie, et le Ghana ont absorbé 51 % des exportations chinoises vers l’Afrique, principalement des équipements de télécommunications, des chaussures, des tissus, et des automobiles. Du côté des importations, quatre pays: l’Angola, l’Afrique du Sud, le Soudan, la République Démocratique du Congo (RDC), et la République du Congo représentent 69 % des importations chinoises en provenance d’Afrique, dominées par les ressources naturelles comme le pétrole brut et les minerais
Outre le domaine économique, la Chine a également accru sa présence militaire en Afrique, bien que celle-ci reste relativement limitée. Elle a établi une base militaire à Djibouti en 2017, officiellement pour protéger les intérêts commerciaux et les routes maritimes. Cette installation est perçue comme un signe de l’accroissement de l’influence chinoise sur la sécurité africaine. La Chine est un fournisseur important d’armes en Afrique derrière la Russie et les Etats Unis, notamment pour des pays comme l’Algérie, le Nigeria et l’Éthiopie. En proposant des équipements militaires à bas coûts et sans conditions politiques, Pékin a su capter une part significative du marché africain des armes. Au Sahel, la Chine a également contribué aux missions de maintien de la paix de l’ONU, en envoyant des troupes au Mali et en République centrafricaine, et en fournissant du soutien logistique et du matériel de sécurité.
Les Instituts Confucius en Afrique sont des instruments essentiels du soft power chinois, jouant un rôle central dans l’expansion de l’influence culturelle et éducative de la Chine à travers le continent. Avec 42 Instituts établis dans 29 pays africains, ces centres offrent non seulement des cours de langue et de culture chinoises, mais aussi des bourses et des opportunités d’échanges académiques. Ces initiatives contribuent à renforcer les liens entre la Chine et l’Afrique, tout en façonnant une image positive de la Chine auprès des jeunes générations africaines, consolidant ainsi les relations sino-africaines à long terme.
Diversité des priorités africaines dans la coopération avec la Chine
Dans le contexte de la montée en puissance de la Chine sur le continent africain, les pays africains tentent de définir leur propre agenda et de défendre leurs intérêts dans cette relation complexe. Cependant, l’élaboration d’une politique commune à l’échelle continentale reste difficile, car les besoins et les priorités divergent largement d’un pays à l’autre. Certains États privilégient les investissements dans les infrastructures pour améliorer leur connectivité, tandis que d’autres insistent sur des investissements dans les secteurs sociaux ou productifs, tels que l’agriculture ou l’éducation.
L’Éthiopie, par exemple, privilégie les investissements chinois dans les infrastructures de transport, comme le chemin de fer Addis-Abeba-Djibouti, pour stimuler sa croissance économique. L’Angola mise sur le financement de son secteur pétrolier via des prêts garantis par le pétrole, alors que le Maroc cherche à diversifier son économie à travers des investissements dans des secteurs industriels à forte valeur ajoutée, comme la Cité Mohammed VI Tanger Tech. Le Rwanda met l’accent sur l’innovation technologique et les TIC pour devenir un centre technologique régional. Ces différentes stratégies illustrent la difficulté d’élaborer une politique commune à l’échelle continentale, tout en reflétant les efforts des pays africains pour maximiser les bénéfices de leurs relations avec la Chine en fonction de leurs besoins spécifiques.
Malgré les divergences entre pays, les institutions régionales et continentales, telles que l’Union africaine et les communautés économiques régionales, peuvent jouer un rôle essentiel en servant d’interlocuteurs unifiés face aux puissances extérieures. En adoptant des positions communes et en négociant collectivement, ces institutions peuvent renforcer la capacité de l’Afrique à obtenir des accords plus équilibrés et à maximiser les avantages de ses partenariats internationaux
La relation sino-africaine est marquée par des tensions concernant la transparence des projets financés par la Chine. Le cas de la construction du siège de l’Union africaine à Addis-Abeba, qui aurait été équipé de systèmes de surveillance par la Chine, a mis en lumière les inquiétudes concernant la souveraineté numérique et la sécurité des données sur le continent. Ce scandale a révélé des failles dans la gestion de projets d’envergure et des préoccupations quant aux risques d’ingérence et de manipulation des données par des acteurs externes. La divergence entre les attentes des populations africaines et les intérêts chinois se manifeste dans la conception et la mise en œuvre de certains projets de grande envergure. La construction d’infrastructures qui ne répondent pas toujours aux besoins locaux est souvent critiquée. Par exemple, la construction d‘un stade de lutte au Sénégal, bien que symbolique de l’amitié sino-sénégalaise, a été perçue comme un projet de prestige qui n’a pas d’impact direct sur les besoins fondamentaux de la population, tels que l’emploi ou le développement économique local. Ces projets, bien qu’ils soient souvent bien accueillis par les gouvernements, suscitent des critiques de la société civile qui demande des investissements plus stratégiques et alignés sur les priorités locales.
Malgré les divergences entre pays, les institutions régionales et continentales, telles que l’Union africaine et les communautés économiques régionales, peuvent jouer un rôle essentiel en servant d’interlocuteurs unifiés face aux puissances extérieures. En adoptant des positions communes et en négociant collectivement, ces institutions peuvent renforcer la capacité de l’Afrique à obtenir des accords plus équilibrés et à maximiser les avantages de ses partenariats internationaux. En particulier, le secteur agricole pourrait constituer un levier important pour l’Afrique dans ses relations avec la Chine et d’autres partenaires. L’agriculture, en tant que secteur clé, pourrait contribuer à l’autosuffisance alimentaire, réduire l’exode rural, revitaliser l’économie rurale et préserver la biodiversité. L’accent sur le développement agricole pourrait également permettre de renforcer les économies locales et de diversifier les sources de revenus des pays africains, réduisant ainsi leur dépendance aux importations chinoises de produits manufacturés.
Crédit photo: H24 Info
Bah Traoré est chargé de recherche à WATHI. Il s’intéresse aux questions politiques et sécuritaires au Sahel. Il anime Afrikanalyste, un site dédié à l’analyse de l’actualité au Sahel. Il a travaillé sur des projets liés à la désinformation et au fact-checking en Afrique de l’Ouest.