Alors que les électeurs ivoiriens ou une partie d’entre eux ont voté ce samedi 25 octobre pour choisir celui qui dirigera leur pays au cours des cinq prochaines années, avec un suspense limité, alors que les populations vivant au Cameroun, citoyens et électeurs ou non, attendent avec appréhension ou même angoisse la proclamation annoncée des résultats du scrutin présidentiel du 12 octobre, compte tenu des risques élevés de violences, que dans les pays du Sahel central, les impasses sécuritaires, politiques, économiques sur fond de divisions et de neutralisations préventives au sein même des cercles dirigeants militaires rendent de plus en plus possibles les scénarios les plus catastrophiques pour ces pays mais aussi pour tout le voisinage, on a beaucoup de mal à prendre la mesure du rôle joué par la désinformation et la manipulation des opinions publiques dans les dynamiques récentes et actuelles. Le sujet est plus complexe qu’il n’y paraît et tous les décryptages des personnes qui travaillent sur la désinformation sont utiles et précieux pour en comprendre les enjeux et proposer des réponses avant qu’il ne soit trop tard.
La tribune proposée à WATHI par Harouna Drabo correspond parfaitement à la raison d’être de cette rubrique : servir d’espace d’expression pour des personnes de domaines d’expertise divers qui souhaitent partager des faits, des analyses et des propositions sur une question d’intérêt général pour un ou plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest. Membre du Conseil d’administration de la Plateforme africaine de fact-checkers francophone (PAFF), Harouna Drabo est un spécialiste des opérations d’influence informationnelle avec interférences étrangères en Afrique francophone, notamment dans la région du Sahel. Le constat qu’il dresse au début de cette tribune est le suivant :
« Depuis 2021, la crise sécuritaire a précipité plusieurs États de la région dans une instabilité politique, marquée par une série de coups d’État. Dans le sillage de ces ruptures constitutionnelles s’est installé un narratif antidémocratique, largement relayé sur les plateformes numériques, nourri de fausses informations et de récits manipulateurs. Majoritaire dans la pyramide démographique du continent, la jeunesse est hyperconnectée, engagée, et mobilise les réseaux sociaux non seulement comme des outils de communication, mais aussi comme des espaces de construction de l’opinion et de participation civique. Cette présence active des jeunes dans l’espace public numérique fait d’eux des cibles privilégiées des campagnes de désinformation, en particulier celles qui visent à délégitimer la démocratie comme mode de gouvernance et à désorienter les aspirations citoyennes. Les narratifs complotistes, les discours révisionnistes et les récits populistes circulent avec une efficacité redoutable dans ces espaces. Face à cette réalité, renforcer la résistance cognitive de la jeunesse devient une urgence. Il s’agit de développer la capacité à identifier, déconstruire et dénoncer les infox dissimulées dans le flux continu de contenus numériques. Pour ce faire, former à l’esprit critique, à la vérification des sources, et à la compréhension des stratégies de manipulation devient un impératif démocratique. »
Renforcer la résistance cognitive de la jeunesse. Former à l’esprit critique. C’est en effet un impératif pour ceux qui croient encore qu’il faut se battre pour défendre des principes de démocratie mais aussi pour des principes d’État de droit, de débat public ordonné, respectueux de la véracité des faits, des approches scientifiques, de la pondération. Ce sont des principes dont le respect crée les conditions du vivre ensemble, de la stabilité, de sécurité et de la paix dans un pays, dans une société, dans une région. La puissance de la désinformation et de la manipulation des opinions publiques par la neutralisation de tous les espaces de débat public libre, contradictoire et substantiel est un déterminant majeur des évolutions réelles dans les pays africains. Lorsque la situation d’un pays se dégrade de manière absolument spectaculaire, la combinaison de la répression très concrète sur le terrain – par les arrestations, les enlèvements, les intimidations de tous ceux qui ne s’alignent pas sur le discours officiel, et de la maîtrise des outils de désinformation et de matraquage des opinions a des conséquences désastreuses.
Dans sa tribune, Harouna Drabo explique que la réponse à la désinformation qui est un phénomène transversal doit également être transversale et systémique, fondée sur l’interaction entre les médias, la société civile, les autorités publiques et les plateformes numériques. « La lutte contre la désinformation doit être pleinement intégrée aux politiques publiques – qu’il s’agisse de l’éducation, de la culture, ou de la régulation du numérique », écrit-il. Il faut s’appuyer sur les réseaux continentaux qui existent déjà tels que la Plateforme Africaine de Fact-checkers Francophones ou l’« Africa Fact Check Network » (AFN) pour structurer une réponse panafricaine cohérente face à la prolifération des infox.
Il estime que les organisations régionales comme la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union africaine (UA) doivent jouer un rôle stratégique dans cette réponse en assumant le leadership de la structuration d’une souveraineté numérique africaine et en soutenant activement ce qu’il appelle « la communauté de résilience informationnelle » — aujourd’hui présente dans plus de 30 pays du continent, à travers plus d’une cinquantaine d’organisations engagées dans la lutte contre la désinformation. Il a d’autant plus raison d’en appeler aux organisations à l’échelle régionale et continentale qu’elles sont probablement les seules à pouvoir engager des négociations de haut niveau avec les grandes plateformes numériques, les Big Tech qui exercent de facto comme l’écrit Harouna Drabo « un pouvoir de régulation sur les contenus circulant dans l’espace numérique africain ainsi qu’avec les développeurs d’outils d’intelligence artificielle, dont les technologies alimentent aujourd’hui la massification et la viralité de la désinformation, tout en la rendant de plus en plus difficile à détecter. » Quand on réalise que ce que l’IA permet de générer aujourd’hui comme flux d’informations sous différentes formes n’est rien du tout par rapport à ce que ces technologies seront capables de faire dans quelques années, et qu’on met cela en relation avec la force des institutions de la majorité des pays africains appelées à protéger l’intégrité de l’information et en fait la sécurité de leurs territoires et de leurs populations, on a de bonnes raisons de sonner l’alarme. L’article de Harouna Drabo, « Construire des alliances durables pour répondre à la désinformation », est à lire sur le site de WATHI dans la section « tribune ».
