Près de 400.000 personnes se sont rassemblées à Rome ce samedi 26 avril pour les obsèques du pape François, chef de l’Église catholique, décédé au lendemain de la fête de Pâques. Des chefs d’État, dont le président Donald Trump, des monarques, des dizaines de délégations étrangères réunies dans la capitale italienne qui abrite l’État de Vatican. Un rare rassemblement de personnalités politiques du monde, bien au-delà des dirigeants des pays abritant des populations majoritairement catholiques. Ce n’est certes pas le premier chef de l’Église catholique qui aura reçu des hommages de toutes les contrées du monde, ni le premier à avoir incarné une personnalité morale et politique engagée sur des questions majeures de son époque.
Parmi les milliers d’hommes et de femmes qui rendent hommage au Pape François, des plus connus aux anonymes, des personnes sympathiques, d’autres qui le sont beaucoup moins, des personnes qui se soucient des autres, des personnes qui n’ont jamais douté de l’égale valeur de la vie des êtres humains, des personnes qui font semblant d’en être convaincues, et celles qui ne font même pas semblant. Parmi ce beau monde, des êtres qui oublient qu’ils n’ont pas décidé de leur lieu de naissance, des conditions matérielles des familles au sein desquelles ils sont nés, des êtres qui oublient qu’ils ne décideront pas du moment où leur santé flanchera, du moment où leur souffle de vie s’éteindra, et quel que soit le niveau de richesse et de pouvoir. Et il y a bien sûr aussi les personnes qui ont la sagesse de ne jamais oublier l’insoutenable légèreté de la condition humaine, la finitude de tous les êtres vivants et qui en tirent quelques sages leçons. Comme celle de donner du sens à leur vie en apportant une contribution qui survivra à leur disparition.
Ce n’est pas la figure du chef de l’Église catholique qui inspire cette chronique sur le pape François. Je fais partie de ceux qui se posent beaucoup de questions sur les institutions religieuses qui sont toujours aussi des institutions politiques structurantes animées par des hommes, souvent avec un petit h d’ailleurs, des questions sur leur expansion dans telle ou telle autre région monde par des moyens qui furent souvent violents, des questions sur les positions ambiguës d’institutions et de personnalités religieuses pendant des périodes douloureuses de l’histoire de l’humanité. Des questions sur le rapport des religions au colonialisme, aux discriminations, au racisme. Des questions aussi sur les actes les plus répréhensibles, parfois très graves, de figures religieuses censées incarner la bienveillance.
Si j’ai choisi de parler, comme tant d’autres, du pape François, ce n’est pas pour parler de sa gestion de l’Église catholique et de la doctrine religieuse. C’est pour évoquer sa parole puissante, ferme, claire, accessible, tranchée, sur les défis actuels auxquels l’humanité est confrontée. Il me semble utile de partager quelques citations des discours du pape – une sélection très difficile compte tenu de la richesse de ses prises de parole.
Le 6 mars 2021, au cours d’une rencontre interreligieuse lors d’un voyage historique en Irak, qui sort des années de guerre et de terreur, le pape François dit ceci : « Hostilité, extrémisme et violence ne naissent pas d’une âme religieuse : ce sont des trahisons de la religion. Et nous, croyants, nous ne pouvons pas nous taire lorsque le terrorisme abuse de la religion. Au contraire, c’est à nous de dissiper avec clarté les malentendus. Ne permettons pas que la lumière du Ciel soit couverte par les nuages de la haine ! »
Il dit aussi ceci : « Il est indigne, alors que nous sommes tous éprouvés par la crise pandémique, et surtout ici où les conflits ont causé tant de misère, que l’on pense avidement à ses propres affaires. Il n’y aura pas de paix sans partage et accueil, sans une justice qui assure équité et promotion pour tous, à commencer par les plus faibles. Il n’y aura pas de paix sans des peuples qui tendent la main à d’autres peuples… La paix n’exige ni vainqueurs ni vaincus, mais des frères et des sœurs qui, malgré les incompréhensions et les blessures du passé, cheminent du conflit à l’unité. »
À Marseille, le 22 septembre 2023, lors d’une rencontre interreligieuse au mémorial dédié aux marins et aux migrants disparus en mer, le pape s’exprime par ces mots: « Trop de personnes, fuyant les conflits, la pauvreté et les catastrophes environnementales, trouvent dans les flots de la Méditerranée le rejet définitif de leur quête d’un avenir meilleur. C’est ainsi que cette mer magnifique est devenue un immense cimetière où de nombreux frères et sœurs se trouvent même privés du droit à une tombe, et où seule est ensevelie la dignité humaine… Les personnes qui risquent de se noyer, lorsqu’elles sont abandonnées sur les flots, doivent être secourues. C’est un devoir d’humanité, c’est un devoir de civilisation ! »
Discours fort aussi à Kinshasa, en République démocratique du Congo, le 31 janvier 2023 devant les autorités politiques, les représentants de la société civile et le corps diplomatique : « Après le colonialisme politique, un “colonialisme économique” tout aussi asservissant s’est déchainé. Ce pays, largement pillé, ne parvient donc pas à profiter suffisamment de ses immenses ressources : on en est arrivé au paradoxe que les fruits de sa terre le rendent “étranger” à ses habitants. Le poison de la cupidité a ensanglanté ses diamants. C’est un drame devant lequel le monde économiquement plus avancé ferme souvent les yeux, les oreilles et la bouche… Retirez vos mains de la République Démocratique du Congo, retirez vos mains de l’Afrique ! Cessez d’étouffer l’Afrique : elle n’est pas une mine à exploiter ni une terre à dévaliser. Que l’Afrique soit protagoniste de son destin ! » Dans ce discours, il parla aussi de la priorité à accorder à l’éducation, à la lutte contre la corruption et le tribalisme.
Plusieurs autres textes du pape François sont à lire, à relire et à partager. Comme le plaidoyer puissant en faveur de de la « sauvegarde de la maison commune » qu’est notre planète, dans l’encyclique Laudato si’ du 24 mai 2015. Tout comme l’encyclique Fratelli Tutti du 3 octobre 2020, un appel à la fraternité universelle. Je ne résiste pas à l’envie de partager un extrait avec vous:
« On s’aperçoit bien des fois que, de fait, les droits humains ne sont pas les mêmes pour tout le monde. Le respect de ces droits est une condition préalable au développement même du pays, qu’il soit social ou économique. Quand la dignité de l’homme est respectée et que ses droits sont reconnus et garantis, fleurissent aussi la créativité et l’esprit d’initiative, et la personnalité humaine peut déployer ses multiples initiatives en faveur du bien commun. Mais en observant avec attention nos sociétés contemporaines, on constate de nombreuses contradictions qui conduisent à se demander si l’égale dignité de tous les êtres humains, solennellement proclamée il y a soixante-dix ans, est véritablement reconnue, respectée, protégée et promue en toute circonstance. De nombreuses formes d’injustice persistent aujourd’hui dans le monde, alimentées par des visions anthropologiques réductrices et par un modèle économique fondé sur le profit, qui n’hésite pas à exploiter, à exclure et même à tuer l’homme ».
Il faut espérer que les paroles du pape argentin François, continuent de faire réfléchir, au moins de temps en temps, ceux qui plongent aujourd’hui le monde dans la guerre de tous contre tous, qui ne croient qu’au rapport de forces et aux gains matériels à court terme, ceux qui incarnent la destruction des liens de fraternité humaine, le mépris ou au mieux l’indifférence pour les êtres qui ne leur ressemblent pas et l’accélération de la destruction de la planète. La voix du pape François sur la marche du monde s’éteint au moment où les personnalités morales qui portent le message de la fraternité humaine, sans équivoque, se font rares.