

Aly Tounkara
Le 1er juin 2025, le camp militaire de Boulikessi, situé dans la région de Douentza, au centre du Mali a été attaqué par des groupes djihadistes affiliés au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM). Cette attaque a entraîné la mort de plusieurs militaires maliens. Boulikessi occupe une place clé dans le dispositif sécuritaire malien, car elle contrôle des axes de trafic essentiels entre le nord du Mali et le Burkina Faso, notamment pour le transport de carburant, d’armes et de munitions.
Boulikessi est un village devenu un arrondissement avec le nouveau découpage administratif de mars 2023. Il est situé dans le Cercle de Mondoro et dans la Région de Douentza, elle-même appartenant à ce qu’on appelle depuis quelques années « Centre du Mali ». Boulikessi constitue un point stratégique à la frontière du Mali, du Burkina Faso, du Niger et de la Mauritanie. Dans ce contexte sécuritaire, ce rôle de « jonction » suppose un croisement d’activités illicites, notamment de trafics en tous genres.
Boulikessi constitue un point stratégique à la frontière du Mali, du Burkina Faso, du Niger et de la Mauritanie.
Cette position expliquerait la lutte acharnée des différents entrepreneurs de la violence, depuis 2011, notamment le Mouvement de libération de l’Azawad (MNLA) qui a mené des attaques contre les positions des Forces de défense et de sécurité du Mali (en l’occurrence une Unité de la Gendarmerie nationale) en novembre 2011 pour contrôler cette zone. En 2012, le MNLA en a été délogé par le Mouvement pour l’unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO). La vie à Boulikessi est ainsi devenue tributaire des rapports de force du moment.
La localité a été sous l’administration des groupes armés non étatiques tels que le Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) dont un des dirigeants est une des figures importantes du Groupe État islamique, le MNLA, le Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad ainsi que du Groupe Touareg Imghad et Alliés (GATIA). En outre, en avril 2013, l’armée malienne a pris le contrôle de la zone à la suite d’une opération de grande envergure.
Au regard du positionnement des groupes armés non étatiques, l’on pourrait aisément comprendre que Boulikessi était compartimenté sans qu’on ne précise les liens fonctionnels entre les compartiments. A titre d’illustration, le Groupe d’autodéfense touareg Imghad et alliés (GATIA), en collaboration avec certains anciens membres de l’État islamique dont Abdel Hakim Al Saharawi, occupait une zone comprise entre Boulikessi et Ndaki au nord. Quant à Al-Mansour Ag Alkassoum, soutenu par le MNLA et le Mouvement islamique de l’Azawad- (MIA) devenu le Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), il occupait le nord-ouest du village en allant vers Gondoware et Hombori.
Pour plusieurs observateurs, ce sont ces groupes qui ont contribué à la création de la katiba de Serma et à la naissance d’Ansarul Islam qui opère essentiellement en territoire burkinabé. En mars 2015, les katiba de Serma et d’Al mansour, avec la complicité des groupes locaux, ont attaqué la position de la garde nationale à l’ouest du village. L’attaque a été repoussée par les éléments des Forces de Défense et de Sécurité et fera plusieurs victimes parmi les terroristes.
Instrumentalisation de l’implantation du camp militaire par les groupes terroristes
En 2026, un camp militaire a été implanté dans la localité avec des activités structurantes, notamment la dotation de la ville d’une banque locale, de l’électricité et le renforcement de l’approvisionnement en eau potable. Cependant, en 2017, la katiba de Serma et Ansarul Islam ont attaqué violemment la caserne en construction, causant plusieurs morts et emportant une quantité importante de matériels. Cette attaque n’a pas été sans conséquence en termes d’instauration d’un climat de suspicion entre les populations et l’armée.
En avril 2018, une action terroriste a visé un élément des Forces de Défense et de Sécurité au niveau du marché à bétail. En réponse, l’armée y a répliqué de manière jugée disproportionnée par les populations. On se souviendra qu’une enquête avait été ouverte sous la direction de la division des droits de l’Homme de la mission onusienne au Mali. Cette tension entre militaires et populations a été exploitée par les terroristes favorisant le recrutement de jeunes du terroir dans le rang de ces derniers. En novembre 2019, le chef du village de Boulikessi, Ibrahim Diallo dit Amirou Boulikessi a été enlevé par des terroristes pour complicité avec l’armée et est depuis lors porté disparu.
En décembre de la même année, une violente attaque a visé le camp, causant plusieurs morts et des disparus. Le camp a été pillé et les terroristes ont ordonné aux villageois de quitter leur maison sous peine de mort. En effet, en décembre 2019, l’armée malienne a repris la caserne et neutralisé plusieurs terroristes, interdisant aux populations de revenir. Le village est alors resté vide depuis lors. En janvier 2020, une attaque combinée de tous les groupes terroristes (Ansarul, les katiba de Macina, de Serma et du Gourma), sous la direction du JNIM, a été conduite contre la caserne qui ne comptait qu’une cinquantaine de militaires.
L’intervention rapide de l’armée française et la bravoure des militaires se trouvant dans le camp ont permis de prendre le dessus sur les assaillants. Plusieurs terroristes ont été neutralisés, des motos et d’autres moyens logistiques ont été également brûlés. Depuis cette date, aucune attaque majeure n’a eu lieu bien que des tentatives de harcèlement se soient multipliées mais toujours déjouées par l’armée malienne.
Pourquoi tous ces groupes voudraient être à Boulikessi ? Qu’est-ce qu’il y aurait à gagner en contrôlant la zone, dans un contexte de réduction, voire d’arrêt des activités économiques licites et de déplacement des populations ?
L’implantation du camp à Boulikessi est hautement stratégique parce qu’il permet de contrôler efficacement les routes de trafic et de réduire le transport d’essence, d’armes et de munitions en provenance du nord du Mali vers le Burkina-Faso. Ce transport exigeant la constitution de colonnes de véhicules pour le carburant, les armes et l’escorte, n’est naturellement plus possible, surtout avec le renforcement des capacités aériennes de l’armée malienne et la mise en synergie des armées nationales des pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES). Par ailleurs, le camp militaire constitue un rempart contre les groupes radicaux violents, car si Boulikessi venait à tomber, Hombori et Mondoro pourraient suivre, et cela entraînerait un embrasement de la situation sécuritaire dans la zone qui exigerait plus de moyens militaires du Mali, en raison de la métastase de la situation sécuritaire.
Aujourd’hui, la menace terroriste est quasi permanente à cause du changement de mode opératoire des groupes radicaux violents. Les colonnes de véhicules et de motos ne sont plus possibles, il est constant d’entendre les groupes opérer en groupes restreints, essentiellement composés de combattants à motos devenus un marché régional. L’intensité des activités criminelles dans cette zone exige assurément un contrôle et une prudence permanents. Tous les faits et gestes sont scrutés, et la moindre faille pourrait être exploitée.
L’implantation du camp à Boulikessi est hautement stratégique parce qu’il permet de contrôler efficacement les routes de trafic et de réduire le transport d’essence, d’armes et de munitions en provenance du nord du Mali vers le Burkina-Faso
Cela expliquerait-il la nouvelle attaque du camp de Boulikessi par les entrepreneurs de la violence le 1er juin 2025 ?
Cette attaque a causé de part et d’autre sans qu’un bilan définitif puisse être donné. Elle porte la signature du Groupe de Soutien à l’islam et aux Musulmans (JNIM), avec l’apport d’une section combattante d’Ansarul, la katiba de Serma, la katiba du Gourma (Arabanda), avec le soutien des combattants et du matériel de la katiba de Macina. Au moins 3500 combattants du JNIM auraient attaqué le camp, face à une centaine de soldats. L’attaque aurait été coordonnée par Sawadogo Ousmane Issa alias Joulhabibou, actuellement responsable du JNIM pour la zone.
Ce terroriste notoire, membre du JNIM depuis 2019, serait responsable de plusieurs attaques dirigées contre l’armée burkinabè à Ouahigouya, Sollé, et Djibo, où il possède des unités combattantes bien aguerries. Selon des sources locales, cette attaque serait motivée par Ansarul en raison de la fidélité des populations à l’armée. Un récent changement du commandement militaire a permis de mener une opération dans la zone sans toucher aux civils, ce qui a été félicité par les populations locales. Une autre raison avancée est la rivalité intracommunautaire entre les peuls Dialloube et les Djelgoobes.
Ces derniers recherchent à contrôler la zone et ne rechignent pas sur les moyens en s’attaquant à toute force qui tenterait d’empêcher leur influence sur la zone. Le groupe est homogène (tous des peuls), mais les intérêts y sont divergents. Cette variable sociale est majeure. Dans ces conditions, l’armée est davantage exposée car, ne dit-on pas que, ‘’la meilleure protection du soldat est la population’’.
Il se trouve que celle-ci est « fissurée » à Boulikessi, et cela ne favorise point une meilleure coordination des actions militaires. Cependant, les raisons du succès de l’attaque terroriste contre le camp militaire de Boulikessi devraient également se rechercher ailleurs.
La multiplication des attaques terroristes au Mali et dans les autres pays de l’AES n’annihilerait pas les efforts louables qu’entreprennent les États mais interrogerait à plus d’un titre l’insuffisance des réponses holistiques à cette crise ô combien dynamique, complexe et contextuelle. En outre, les frappes aériennes empêchent certes les regroupements, mais elles sont asymétriques par rapport à des combattants opérant en petits groupes. Aussi, le déplacement forcé de plusieurs villages dans la zone des trois frontières (Burkina, Mali et Niger) crée un vide territorial qui prive les armées de renseignements fiables sur les modes opératoires des groupes terroristes.
Les populations encore sur place craignent d’être prises en sandwich par les armées nationales et les groupes radicaux violents. La réduction, voire l’arrêt des activités économiques dans certains endroits pourrait faciliter le possible rapprochement entre certains jeunes désemparés de ces localités et les groupes radicaux violents. L’insuffisance de perspectives, même à court terme est une menace permanente à la paix et à la sécurité. Dans ces conditions précaires, et afin de préserver la vie des soldats engagés sur le théâtre des opérations et les populations, l’État du Mali et ceux de l’AES en général doivent, en termes de perspectives :
- Renforcer la sécurité des camps militaires : la position stratégique de Boulikessi exige de grands effectifs militaires bien équipés et formés aux menaces sécuritaires récurrentes.
- Diversifier la réponse : au regard de la complexité de la stratification sociale de la zone, il serait pertinent de combiner réponses militaires et ingénierie locale. Des activités économiques méritent d’être développées autour du camp de manière qu’il puisse porter le développement. La bonne et la seine distribution de la justice, la fourniture de services de base aux populations et les opportunités d’activités économiques constitueront les arguments non militaires fiables contre les groupes radicaux.
- Mobiliser les populations locales en tant qu’alliées naturels, capable de détecter des changements de comportement chez un individu ou la présence d’activités inhabituelles.
- Promouvoir un mécanisme de signalement clair et accessible qui protège l’anonymat si nécessaire. La confiance mutuelle et la participation active de tous les acteurs en présence ainsi que la redevabilité participent à la construction d’une défense plus robuste contre la nébuleuse terroriste.
- Miser davantage sur les connaissances et les savoirs locaux des jeunes recrus du terroir pour mieux comprendre et exploiter les dynamiques conflictuelles locales en vue de prévenir et de lutter efficacement et pertinemment contre l’extrémisme violent et le terrorisme.
Crédit photo: Malizine
Aly Tounkara est enseignant-chercheur à l’Université des Lettres et sciences humaines de Bamako (ULSHB). Il est également le directeur exécutif du Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S). Ses recherches portent sur les questions sécuritaires, l’islam politique et le genre. Il a publié de nombreux écrits sur ces thèmes et conduit plusieurs études sur les questions liées à l’extrémisme violent, le fait religieux et la gouvernance locale pour des organisations non gouvernementales nationales et internationales intervenant en Afrique.