

Juliette Camara
À quelques semaines de la fin de son mandat en février 2025, le président bissau-guinéen Umaro Sissoco Embaló a annoncé le report de l’élection présidentielle à novembre 2025 de façon unilatérale, tout en déclarant sa candidature, en contradiction avec ses précédentes déclarations.
Cette décision s’inscrit dans une série de décisions controversées. En 2023 déjà, il avait dissous le Parlement largement dominé par l’opposition et reporté les législatives qui devaient se tenir en novembre 2024. Ces reports répétés alimentent les inquiétudes sur l’état de la démocratie en Guinée-Bissau.
Pays côtier d’Afrique de l’Ouest, la Guinée-Bissau partage avec le Cap-Vert une histoire commune de lutte pour l’indépendance, menée par le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert (PAIGC). Aujourd’hui, cette République reste fragilisée par une crise politique persistante. Cette décision a aggravé les tensions entre le gouvernement et l’opposition qui conteste la légitimité du mandat du président au-delà de la durée prévue par la constitution.
Cela rappelle les luttes de pouvoir récurrentes qui ont marqué l’histoire politique du pays depuis son indépendance en 1974, caractérisée par une instabilité chronique et plusieurs coups d’État. Le report des élections à Bissau s’inscrit dans une stratégie par laquelle le président Embaló cherche à consolider son influence. En retardant les élections législatives, il prive l’opposition de l’opportunité de s’organiser et de structurer une majorité susceptible de contester son pouvoir.
En repoussant les élections, Embaló entretient le flou électoral lui permettant de gouverner sans opposition réelle et il pourrait aussi organiser les législatives avant la présidentielle pour s’assurer une majorité parlementaire en vue d’un second mandat. En contrôlant le Parlement, il limiterait l’influence de l’opposition et renforcerait son emprise sur les institutions.
La population de la Guinée-Bissau, déjà confrontée à de graves défis économiques et sociaux, est particulièrement affectée par ces reports. La Guinée-Bissau, avec une pauvreté touchant deux tiers de sa population et un taux de mortalité infantile élevé, accuse un retard de développement significatif.
En 2024, Embaló a mis en avant des priorités telles que le développement des infrastructures, et la transformation économique, notamment via un renforcement de l’agriculture vivrière pour réduire la dépendance alimentaire et maîtriser l’inflation. Ces initiatives pourraient renforcer la sécurité alimentaire et le pouvoir d’achat des citoyens. Sur le plan énergétique, l’extension du réseau électrique à Bissau a permis la mise en service de 218 km de lignes haute tension, favorisant l’échange d’énergie renouvelable entre pays membres et réduisant les coûts.
Embaló a également plaidé pour une réforme de l’éducation et un investissement dans la formation scientifique, voyant la jeunesse comme l’avenir du pays. Toutefois, le sous-financement chronique limite la qualité de l’enseignement et la forte dépendance aux financements extérieurs réduit l’autonomie économique et freine les progrès durables.
En 2023, les politiques économiques ont eu un impact accentué sur la population, avec un taux de chômage des jeunes de 3,9 %, reflet d’une formation inadaptée au marché. La forte dépendance à l’exportation de noix de cajou soumise aux fluctuations des prix internationaux, limite les opportunités économiques et fragilise les revenus agricoles. La dissolution du parlement et les reports électoraux ont intensifié l’instabilité politique dissuadant les investissements étrangers et ralentissant les réformes nécessaires à la diversification économique et retardent l’adoption de politiques publiques essentielles pour améliorer les services de santé et d’éducation qui sont des priorités pour répondre aux besoins fondamentaux de la population.
Une démocratie fragilisée par les crises politiques
La Guinée-Bissau traverse une nouvelle phase d’instabilité politique qui menace les fondements de son fragile système démocratique. À l’origine de cette crise : la remise en cause du calendrier électoral, les dissolutions répétées du Parlement et une opposition qui rejette la prolongation du mandat présidentiel au-delà des délais constitutionnels.
La récente tentative de coup d’État de 2023 impliquant la Garde nationale et la libération de ministres accusés de corruption, a conduit le président à dissoudre l’Assemblée nationale.
En effet, le 30 novembre 2023 des membres de la Garde nationale ont libéré deux ministres accusés de corruption, Souleiman Seidi ministre des Finances, et Antonio Monteiro secrétaire d’État au Trésor. Ils étaient détenus pour avoir présumément détourné 10 millions de dollars de fonds publics.
Le président Umaro Sissoco Embaló a procédé immédiatement à la dissolution de l’Assemblée nationale, invoquant une tentative de coup d’État. Ce scénario rappelait celui de 2022, également motivée par des tensions internes que le chef de l’État avait qualifiées de tentative de déstabilisation. Ces décisions sont pourtant contraires à l’article 94 de la Constitution, qui interdit la dissolution du Parlement dans certaines périodes sensibles, notamment les 12 mois suivant les élections législatives ou durant les six derniers mois du mandat présidentiel.
Ce climat d’instabilité complique la tenue des élections, étant donné que la Commission électorale nationale (CEN) composée de magistrats nommés par le Conseil supérieur de la magistrature et élus par le Parlement se retrouve paralysée à chaque dissolution parlementaire.
La Guinée-Bissau traverse une nouvelle phase d’instabilité politique qui menace les fondements de son fragile système démocratique. À l’origine de cette crise : la remise en cause du calendrier électoral, les dissolutions répétées du Parlement et une opposition qui rejette la prolongation du mandat présidentiel au-delà des délais constitutionnels
Les tensions entre le président Embaló et son opposant Domingos Simões Pereira, leader du PAIGC, parti historique de l’indépendance accentuent l’instabilité. Porteur du slogan « PAI Terra Ranka » (Le pays démarre), le PAIGC reste une force politique majeure. Depuis l’élection contestée de 2019 où Embaló a été déclaré vainqueur avec 53,55 % des voix, les tensions n’ont cessé de croître. Pereira, qui avait recueilli 46,45 % des suffrages, n’a jamais reconnu les résultats, dénonçant des irrégularités. La confrontation entre Embaló et Pereira, au-delà d’une rivalité de pouvoir est une lutte pour l’avenir de ce pays entre son passé révolutionnaire et les défis d’une démocratie fragile.
Cette rivalité s’inscrit dans un contexte de conflits institutionnels depuis 2015, quand le président José Mário Vaz a limogé Pereira de son poste de Premier ministre, déclenchant une crise politique persistante.
Le trafic de drogue a infiltré les hautes sphères du pouvoir de ce pays. Malam Bacai Sanha Jr. fils de Malam Bacai Sanha, ancien président de Guinée-Bissau a plaidé coupable aux États-Unis pour trafic d’héroïne visant à financer un coup d’État. José Américo Bubo Na Tchuto, ex-chef de la marine a été condamné en 2016 pour trafic de cocaïne. De son côté, le général Antonio Indjai est soupçonné d’avoir négocié une taxe avec des trafiquants colombiens. Ces affaires illustrent l’interconnexion croissante du trafic de drogue qui a corrompu les institutions, alimenté l’instabilité et consolidé un réseau mafieux.
Rejet de la médiation régionale et incertitude électorale
Le mandat du président Umaro Sissoco Embaló, censé s’achever en février 2025, a été prolongé dans un climat de vives tensions. Initialement réticent à briguer un second mandat sur les conseils de son épouse, selon ses propres propos Embaló a finalement annoncé sa candidature, affirmant qu’il l’emporterait dès le premier tour. Face à ce contexte fragile, la CEDEAO et le Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS) ont lancé des missions préventives en vue de garantir des élections inclusives et pacifiques.
Mais ces efforts diplomatiques ont buté sur un refus catégorique du président Embaló, qui a dénoncé une ingérence étrangère et menacé d’expulser les organisations internationales intervenant dans la gestion de la crise. Sous pression, les missions ont dû quitter le pays précipitamment. Dans une tentative d’affirmer sa souveraineté, le président Embaló a déclaré que « la Guinée-Bissau n’est pas une République bananière », rejetant ainsi les critiques croissantes sur sa gouvernance.
Conformément aux instructions de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO, une mission d’évaluation s’est tenue du 21 au 28 février 2025. Elle a permis de consulter les principales parties prenantes nationales : autorités publiques, partis politiques, institutions électorales et société civile.
Face à ce contexte fragile, la CEDEAO et le Bureau des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS) ont déployé une mission préventive en vue de garantir des élections inclusives et pacifiques. Conformément aux instructions de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO, une mission d’évaluation s’est tenue du 21 au 28 février 2025. Elle a permis de consulter les principales parties prenantes nationales : autorités publiques, partis politiques, institutions électorales et société civile.
Mais ces efforts diplomatiques ont buté sur un refus catégorique du président Embaló, qui a dénoncé une ingérence étrangère et menacé d’expulser les organisations internationales intervenant dans la gestion de la crise. Sous pression, les missions ont dû quitter le pays précipitamment. Dans une tentative d’affirmer sa souveraineté, le président Embaló a déclaré que « la Guinée-Bissau n’est pas une République bananière », rejetant ainsi les critiques croissantes sur sa gouvernance. Malgré ce retrait, la CEDEAO a rédigé un projet de feuille de route électorale, qu’elle a commencé à soumettre aux différentes parties nationales, espérant parvenir à un consensus.
Au-delà des tensions internes, la situation en Guinée-Bissau représente une menace pour la stabilité régionale. L’ONU a appelé les acteurs concernés et les citoyens au calme pour préserver la paix. Une instabilité croissante dans le pays pourrait avoir des répercussions inquiétantes sur les pays voisins et compromettre la sécurité régionale.
En fin de compte, il est impératif que toutes les parties prenantes fassent preuve de retenue en privilégiant le dialogue pour résoudre les différends politiques. L’avenir politique de la Guinée-Bissau reste incertain et les élections fixées pour le 30 novembre 2025, lorsqu’elles auront lieu devront être libres, transparentes et crédibles pour restaurer la confiance dans les institutions. Le pays a besoin d’une stabilité politique durable pour lancer des réformes économiques et sociales qui pourraient améliorer la vie des citoyens.
Crédit photo: Vatican News
Juliette Camara est étudiante en Diplomatie et géostratégie. Elle s’intéresse aux enjeux de gouvernance et de sécurité en Afrique de l’Ouest.
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Bon travail
Merci!
Bien dit
Courage