

Seny Thiam Diawara
En bombardant des territoires iraniens dans la nuit du 21 au 22 juin 2025 sans mandat onusien, les États-Unis défient ouvertement le droit international. Ce qui choque autant que la frappe, c’est l’écho : le silence gêné des chancelleries européennes, plus promptes à défendre les principes lorsqu’ils ne touchent pas leurs alliés. À l’heure où le monde s’enfonce dans une ère de rapports de force, ce deux poids, deux mesures fragilise un peu plus l’édifice juridique international.
Dans un monde qui se prétend régi par le droit, les frappes militaires unilatérales menées par les États-Unis révèlent une réalité inquiétante : Les puissants transgressent les volontés à leur guise, tandis que les autres se taisent, surtout lorsque leurs propres intérêts ne sont pas menacés. L’attaque américaine du 3 janvier 2020, qui a coûté la vie au général iranien Qassem Soleimani sur le sol irakien, reste par ailleurs, l’un des exemples les plus flagrants d’un recours à la force sans base légale claire. Ni la légitime défense immédiate (prévue à l’article 51 de la Charte des Nations Unies), ni l’aval du Conseil de sécurité n’ont été invoqués de manière convaincante. Pourtant, aucune sanction, ni même une condamnation ferme, n’a suivi.
Et ce n’était pas un cas isolé. En Syrie, à plusieurs reprises (2017, 2018, puis 2023), les États-Unis ont lancé des frappes en représailles à des attaques chimiques présumées. Là encore, sans mandat onusien. Ces actions violent le principe fondamental de souveraineté inscrit à l’article 2 § 4 de la Charte des Nations Unies, qui interdit explicitement « la menace ou l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État ».
Face à ces actes, l’Europe reste étrangement silencieuse. Pire encore, certaines capitales, comme Paris ou Londres, s’alignent ponctuellement sur Washington, justifiant leur participation par des motifs moraux ou humanitaires. Un argument commode, qui masque une réalité géopolitique : tant que les intérêts européens — sécurité, approvisionnement énergétique, alliances stratégiques — ne sont pas directement menacés, le droit peut attendre.
Comme le souligne Mary Ellen O’Connell, professeure de droit international à l’Université de Notre-Dame : « Le recours à la force militaire hors du cadre de la légitime défense ou d’un mandat onusien n’est pas simplement un abus de pouvoir — c’est une infraction au droit international, qui affaiblit les règles mêmes censées protéger tous les États ».
Ce silence est lourd de conséquences. Il fragilise l’idée même d’un ordre mondial fondé sur des règles, et donne aux puissances autoritaires un prétexte rêvé : si Washington peut frapper à l’étranger sans rendre de comptes, pourquoi Moscou, Pékin ou Ankara s’en priveraient-ils ? Ce relativisme juridique ouvre la voie à une ère de désordre légitimé par la force.
L’Afrique marginalisée, malgré des conséquences directes
Dans ce concert diplomatique inégal, une autre absence frappe : la voix de l’Afrique. Alors même que le continent africain subit de plein fouet les conséquences géopolitiques, économiques et sécuritaires de ces violations du droit international, ses prises de position sont rarement écoutées, encore moins relayées. Ce silence n’est pas le signe d’un désintérêt, mais le reflet d’un déséquilibre structurel : dans un système dominé par les puissances militaires et les sièges permanents au Conseil de sécurité, les pays africains peinent à se faire entendre — même quand leur stabilité est en jeu.
Et pourtant, les répercussions sont bien réelles. L’effondrement du cadre juridique mondial et la multiplication des interventions unilatérales créent un climat de tension globale qui touche de plein fouet les économies africaines : hausse des prix du pétrole et des céréales, insécurité alimentaire, détérioration des balances commerciales. À cela s’ajoute une instabilité politique croissante, nourrie par les rivalités d’influence entre puissances étrangères. Dans ce contexte, l’absence de réaction internationale face à ces violations fragilise encore davantage la capacité de l’Afrique à peser dans les décisions globales.
Alors même que le continent africain subit de plein fouet les conséquences géopolitiques, économiques et sécuritaires de ces violations du droit international, ses prises de position sont rarement écoutées, encore moins relayées
Comme le souligne l’universitaire camerounais Achille Mbembe :
« L’Afrique est toujours conviée à subir l’histoire des autres, rarement à y participer. » (Achille Mbembe, Sortir de la grande nuit, La Découverte, 2010).
Face à cette marginalisation, une dynamique plus discrète, mais prometteuse, prend forme : celle d’une Afrique qui se réinvente, renforce ses coopérations internes et cherche à parler d’une voix plus unie. Des initiatives comme la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), les efforts de médiation menés par l’Union africaine, ou encore l’émergence de coalitions diplomatiques sur des enjeux communs montrent une volonté croissante de ne plus rester spectatrice des rapports de force mondiaux.
Cette réorientation est porteuse d’espoir. Car c’est bien dans une coopération africaine renforcée, affranchie des tutelles et ancrée dans une solidarité régionale, que réside la clef pour exister dans le concert des nations. Une voix africaine unifiée, articulée autour de priorités partagées — sécurité, développement, gouvernance, souveraineté économique — a le potentiel non seulement d’exister sur la scène internationale, mais d’y peser avec force et légitimité.
La construction d’un véritable multilatéralisme ne pourra se faire sans l’Afrique ; encore faut-il qu’elle puisse s’y affirmer en tant que puissance collective. Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’Union africaine affirmait devant l’Assemblée générale de l’ONU, en septembre 2022 que : « L’Afrique ne peut pas rester en marge du monde qui se construit. Elle doit être au cœur de l’histoire, avec sa voix, ses intérêts, et sa vision. »
Crédit photo: IFRI
Seny Thiam Diawara est juriste en droit international public et Directeur exécutif d’APIC-Assos.