La semaine dernière, je faisais mes adieux aux millions d’auditeurs de « Ça fait débat avec WATHI », chronique hebdomadaire diffusée sur Radio France Internationale (RFI) que j’ai animée, avec l’appui de quelques-uns de mes collègues, pendant près de 5 ans. 230 émissions en texte et en audio entre 2019 et 2024 que vous pouvez retrouver sur la page du podcast « Ça fait débat avec WATHI » sur le site web de RFI et sur les réseaux sociaux de WATHI.
Il n’était pas question d’attendre longtemps avant de renouer avec ce lien qui s’est construit au fil des années avec des femmes et des hommes de différents âges, de différents pays, de différentes catégories socio-économiques, que je ne connais pas personnellement pour leur écrasante majorité mais qui se sont habitués à écouter les voix de WATHI sur l’antenne de RFI ou en podcast et qui ont à l’occasion découvert la plateforme, ses articles publiés sur le site internet, les différentes sections de ce site, ainsi que les très nombreux dialogues, entretiens, tables rondes organisées en ligne par WATHI et accessibles à tout le monde sur une variété infinie de sujets. Alors on n’attendra point. Nous avons lancé le podcast « Les voix et voies de WATHI » depuis juillet 2022, pour relayer une partie de nos travaux en version audio courte accessible au plus grand nombre.
À partir de cette semaine, ce podcast devient hebdomadaire et il sera animé par mes collègues et moi-même, l’occasion de partager avec vous, où que vous soyez, quelques minutes, pas plus de cinq, des réflexions sur l’actualité de l’Afrique de l’Ouest, de l’Afrique et du monde, relayer les points clés de certaines publications et des événements de WATHI. Je l’avais dit au moment de tourner la page de « Ça fait débat » sur RFI : plus que jamais, les débats continuent avec les mêmes valeurs cardinales qui sont les nôtres, le respect des faits, la modération, la sacralisation de l’intérêt général, l’attention au bien-être des populations africaines, des êtres humains où qu’ils soient, l’attention à la planète, au vivant.
Je voulais vous dire quelques mots de l’événement à portée planétaire qui se déroulera le 5 novembre, c’est mardi prochain, l’élection présidentielle aux Etats-Unis, la première puissance mondiale, de plus en plus menacée par la Chine dans ce rôle mais encore bien devant, ne serait-ce que sur le plan militaire. Qu’on le veuille ou non, le rapport des forces militaires reste primordial dans les relations internationales et les Etats-Unis font tout pour rester loin devant dans ce domaine.
Alors à la veille de cette élection, un sondage réalisé par Associated Press et le centre NORC lié à l’université de Chicago révèle des données qui me semblent intéressantes à partager avec vous : la plupart des Américains ressentent beaucoup d’émotions à l’approche du jour de l’élection, mais l’excitation n’est pas l’une d’entre elles. Environ 7 Américains sur 10 se disent anxieux ou frustrés par la campagne présidentielle de 2024. Une proportion similaire se dit intéressée. Seul un tiers d’entre eux se disent enthousiastes. Certains groupes sont même plus inquiets qu’ils ne l’étaient il y a quatre ans, alors que l’élection se déroulait alors en pleine pandémie mortelle du Covid-19. Le niveau de frustration des Américains à l’égard de la campagne est très élevé : environ 7 Américains sur 10 déclarent que la frustration décrit leur état émotionnel, comme en 2020.
On le sait : l’élection présidentielle est complètement ouverte. Kamala Harris et Donald Trump ont à peu près les mêmes chances de devenir présidente ou président élu des Etats-Unis au soir du 5 novembre. L’article de Associated Press restituant les résultats de cette enquête d’opinion rappelle les arguments de clôture d’une folle élégance des deux candidats : Kamal Harris a affirmé que M. Trump n’était obsédé que par la vengeance et ses intérêts personnels, tandis que Donald Trump a qualifié sa rivale, lors d’un de ses derniers meetings d’« épave qui a tout détruit sur son passage ».
Le président sortant Joe Biden, n’a point rendu service à sa candidate à quelques jours du scrutin en qualifiant les partisans de l’ancien président Trump d’ordure. Il répondait certes à un acteur soutenant Trump qui avait traité Porto Rico d’île flottante d’ordures au large des Etats-Unis, attaquant ainsi les citoyens de ce territoire des Etats-Unis au statut particulier.
Le meilleur que la campagne présidentielle états-unienne a offert au monde cette année, c’est une exceptionnelle flopée d’outrances, de propos indécents, d’insultes des migrants traités comme des criminels dont certains mangeraient les animaux de compagnie des honnêtes et gentils Américains authentiques, avec bien sûr Donald Trump en vedette assumée d’une campagne effectivement ordurière.
« Aux Etats-Unis comme dans plusieurs pays européens tous réputés très démocratiques, les campagnes électorales ne semblent plus renforcer ni la démocratie, ni l’Etat de droit, ni la cohésion nationale et encore moins l’intelligence collective de la société. » C’est ce que j’écrivais dans une tribune publiée sur le site de WATHI en décembre 2016 titrée « Sortir de la désillusion démocratique et jeter les bases du « bon gouvernement » en Afrique (et ailleurs) ». Je commentais un des excellents livres de Pierre Rosanvallon, universitaire français qui a travaillé pendant toute sa carrière sur la démocratie en l’inscrivant dans le processus historique de son émergence, de sa diffusion et de ses variations dans différentes régions du monde.
Pour arriver au « bon gouvernement » et passer de ce qu’il appelle la « démocratie d’autorisation » à la « démocratie d’exercice », Rosanvallon met l’accent sur les « figures du bon gouvernant » en insistant sur l’impératif d’un rapport de confiance entre gouvernants et gouvernés. Je le cite : « Avec la notion de confiance, c’est la qualité des gouvernants eux-mêmes qui est envisagée comme moyen de leur donner cette capacité d’exister dans la durée. Deux capacités apparaissent pour cela essentielles. L’intégrité d’abord. Car elle donne une information importante sur la qualité des personnes et l’adéquation morale à une fonction ; elle permet d’opérer une forme d’identification entre ces personnes et les responsabilités qu’elles exercent et par là même de leur donner une épaisseur temporelle. »
Adéquation morale des acteurs politiques à leurs fonctions, intégrité comme exigence du bon gouvernant. Peut-être que le facteur le plus décisif de l’explication de la tournure que les démocraties ont prises aux Etats-Unis et dans beaucoup d’autres pays du monde réside dans l’effondrement de toute référence à l’intégrité au moins comme aspiration, comme horizon, comme valeur désirée au sein de ceux qui veulent exercer le pouvoir au nom d’un peuple.
Peut-être qu’il faut arrêter de penser que ce sont les démocraties seulement qui sont malades. Ce sont les sociétés elles-mêmes qui sont malades, désorientées, avec de grosses minorités ou des majorités qui ne savent plus ce qu’elles veulent comme avenir collectif pour leur pays, pour leurs concitoyens, pour leurs enfants. On oublie souvent que l’élection fait rencontrer une demande politique et une offre politique, ce sont les restes de ma formation de base qui est économique. Les citoyens électeurs ne peuvent faire un choix de président, d’élu, qu’au sein de l’offre politique qui leur est proposée.
Aux États-Unis, l’offre existante depuis quelques décennies a conduit à une polarisation extrême et dangereuse de la société. À la veille du 5 novembre, l’anxiété des populations américaines est fort légitime. Partout ailleurs, vu le statut des États-Unis, nous avons de très bonnes raisons d’être tout aussi angoissées. J’avais dit pas plus de cinq minutes. Celle-ci est spéciale, inaugurant la nouvelle formule des Voix et voies de WATHI. À la semaine prochaine. Et n’hésitez pas à partager autour de vous le podcast de WATHI. On est ensemble.