L’actualité politique dans le monde reste dominée par des élections ici et là, et l’Afrique n’y échappe pas. Après les élections législatives au Botswana qui ont abouti à une victoire massive de l’opposition et à une alternance historique, ce fut au tour du parti au pouvoir à l’île Maurice de faire l’expérience d’une défaite spectaculaire au terme des législatives du 10 novembre. Le Premier ministre sortant Pravind Kumar Jugnauth a reconnu très rapidement ce qu’il a qualifié de grande défaite. Le vainqueur, Navin Ramgoolam, âgé de 77 ans et ancien Premier ministre, a déclaré que “Le pouvoir du peuple est plus fort qu’une dictature“, ce qui illustre le degré d’animosité plus élevé que d’habitude dans la compétition politique dans cet État insulaire de l’Océan indien dont le revenu par habitant est estimé à 13000 dollars américains en 2024. Ce qui classe ce pays au deuxième rang du continent africain, derrière un autre petit État insulaire, les Seychelles.
Le nouveau Premier ministre, Navin Ramgoolam, a été Premier ministre à deux reprises. Il est le fils de Seewoosagur Ramgoolam, qui a conduit l’île Maurice à l’indépendance en 1968. Le perdant Kumar Jugnauth était quant à lui Premier ministre depuis 2017, après avoir succédé à son père. Malgré la vitalité de la démocratie mauricienne depuis l’indépendance, l’espace politique reste de fait dominé par une poignée de familles. Ces dix dernières années, la satisfaction à l’égard du fonctionnement démocratique du pays a chuté de 40 points de pourcentage selon les enquêtes de l’Institut Afrobaromètre.
Comme au Botswana et dans une moindre mesure en Afrique du Sud, où le parti historique, l’ANC, a perdu sa majorité confortable lors des dernières élections et a dû former une coalition avec le principal parti d’opposition, le mécontentement des populations s’est traduit de manière claire dans le résultat des urnes. C’est un des principaux avantages attendus des élections en démocratie : elles permettent de choisir des gouvernants et des législateurs, de les reconduire ou de les remercier à intervalles réguliers. Cela n’est possible que dans les pays où le choix des électeurs est effectivement respecté et dans les pays où la compétition politique n’est pas verrouillée en amont des élections par la neutralisation par tous les moyens des rivaux politiques potentiels.
En Afrique australe, loin de l’exemple du Botswana, de l’île Maurice et de l’Afrique du Sud, le Mozambique s’enfonce depuis plus d’un mois dans une crise politique violente après les élections générales du 9 octobre et l’annonce de la victoire du parti au pouvoir, le Frelimo, et de son candidat à la présidentielle, Daniel Chapo. Le candidat de l’opposition, Venancio Mondlane, qui a quitté le pays, a appelé à des manifestations populaires, dont la répression a fait au moins 33 morts et des dizaines de blessés. Signe du niveau de violence dans l’espace politique, deux personnalités de l’opposition avaient été assassinées à Maputo le 19 octobre.
Déjà gravement fragilisé par l’insurrection d’un groupe armé affilié au groupe État islamique dans la province de Cabo Delgado, le Mozambique n’est pas près de retrouver la stabilité politique et la cohésion nationale qui lui permettraient de tirer profit de ses immenses réserves de gaz naturel pour améliorer les conditions de vie de ses populations. On peut penser au contraire que la découverte de ces ressources gazières exceptionnelles a rendu la compétition politique encore plus féroce.
Ce 16 novembre, les citoyens gabonais n’élisent pas un président ou des députés mais sont appelés à voter oui ou non pour le projet de nouvelle constitution, 14 mois après le coup d’État du général Brice Oligui Nguema. À la lecture du texte proposé, pas d’innovations institutionnelles qui auraient pu être inspirées par les constitutions des quelques pays dont les systèmes démocratiques fonctionnent le mieux sur le continent. Mais des dispositions originales s’agissant des conditions d’éligibilité à la présidence de la république : il faudra non seulement « être né Gabonais d’au moins un parent gabonais, lui-même né Gabonais », mais aussi « être marié(e) à un (e) Gabonais (e) né(e) d’au moins un parent gabonais, lui-même né Gabonais ».
Même si tout le monde a une idée de la mauvaise expérience récente qui a inspiré ces dispositions rares à l’échelle mondiale, on peut douter que les conditions d’éligibilité à la fonction présidentielle et la nationalité de la conjointe ou du conjoint, soient le facteur le plus crucial pour se débarrasser des pratiques politiques les plus destructrices et de la corruption à grande échelle. Ceci dit, dans une Afrique centrale qui concentre les présidents qui sont au pouvoir depuis plus de quarante ans, les petits pas du Gabon dans la direction d’une démocratisation pendant la période de transition sont déjà une avancée.
En Afrique de l’Ouest, le Sénégal vote aussi ce 17 novembre pour élire de nouveaux députés à l’Assemblée nationale, à l’occasion de législatives anticipées. Les candidats des différents partis et coalitions n’ont pas marqué les esprits par la qualité de leurs propositions pour répondre aux attentes immenses des Sénégalais de toutes les régions du pays et la campagne a plutôt été dominée par des violences verbales et physiques. L’enjeu, la confirmation de la victoire nette de Bassirou Diomaye Faye à l’élection présidentielle de mars 2024, par l’obtention par son parti, le PASTEF présidé par Ousmane Sonko, d’une majorité confortable au parlement.
Pour les candidats de la nouvelle opposition, en particulier le camp de l’ancien président Macky Sall, tête de liste d’une des grandes coalitions alors qu’il réside au Maroc, l’enjeu est la survie politique et peut-être aussi une garantie de sérénité et de protection parlementaire pendant quelques années. Les Sénégalais voteront très vraisemblablement dans le calme et décideront par leurs suffrages de la configuration de la future Assemblée nationale. Dans une majorité de pays d’Afrique de l’Ouest aussi, la foi des citoyens dans leur capacité à avoir une réelle influence sur l’orientation politique de leur nation s’est éteinte au cours des dernières années. Le Sénégal, malgré toutes les insuffisances et limites de sa culture démocratique, résiste et cela est salutaire pour toute la région.
Enfin, il s’agira encore de résultats d’élections le jeudi 21 novembre. Je vous donne rendez-vous pour une table ronde virtuelle de WATHI en partenariat avec l’Institut Delors sur les implications de la victoire du président Donald Trump aux Etats-Unis pour l’Europe, pour l’Afrique et pour le monde. La directrice de l’Institut Delors, Sylvie Matelly et moi-même aurons le plaisir d’accueillir la vice-présidente de l’Institut Delors Nicole Gnesotto et le professeur de sécurité internationale à l’université de New Jersey, Juste Codjo. L’inscription est comme toujours ouverte à toutes et à tous. À la semaine prochaine.