Auteurs : Paulin Maurice Toupane
Site de publication: ISS
Type de publication : Article
Date de publication : Avril 2020
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Plus de trois mois après le deuxième tour des élections présidentielles du 29 décembre 2019, la Guinée-Bissau s’enfonce dans une impasse post-électorale. Le retour de certains hauts responsables militaires sur la scène politique constitue une menace pour la stabilité du pays et de la région, et appelle à une meilleure coordination de l’action menée par la communauté internationale.
Le manque de bonne volonté et l’incapacité des acteurs politiques et institutionnels bissau-guinéens à dépasser leurs propres intérêts à court terme, ainsi que la réaction timide des acteurs internationaux impliqués dans le processus de stabilisation du pays ont ouvert la porte à l’ingérence de l’armée.
Umaro Sissoco Embaló, déclaré vainqueur par la Commission nationale des élections (CNE), a organisé sa propre investiture alors que la Cour suprême ne s’était pas encore prononcée sur le recours introduit par Domingos Simões Pereira.
Contrairement au passé, la CEDEAO a fait preuve d’un manque de cohérence dans la gestion de la crise post-électorale actuelle
La crise post-électorale que traverse la Guinée-Bissau est le prolongement de celle qui s’est déclarée en août 2015, lors du limogeage de l’ancien Premier ministre Domingos Simoes Pereira — par ailleurs président du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC) —, par l’ancien président José Mario Vaz.
Cette crise s’articule autour d’une lutte de pouvoir pour le contrôle du PAIGC et du pouvoir politique en Guinée-Bissau. Au sein du PAIGC, deux factions étaient opposées : d’une part, les partisans de Pereira qui dirigeaient le parti, et de l’autre, un groupe de dissidents qui soutenaient le président José Mario Vaz. Expulsé du parti, ce groupe coordonné par Braima Camará a créé le Mouvement pour l’alternance démocratique – G15 (MADEM–G15) en 2018.
La CEDEAO est l’acteur principal du processus de stabilisation de la Guinée-Bissau depuis le coup d’État d’avril 2012. L’organisation régionale avait réussi, presque à elle seule, à mettre en place une transition, et avait envoyé une mission diplomatique et militaire chargée de sécuriser les institutions et de soutenir le pays dans la réforme du secteur de la défense et de la sécurité.
La poursuite de la crise et de la paralysie de l’État depuis 2015 ont permis l’irruption des militaires sur la scène politique
L’armée a souvent joué un rôle politique déterminant en Guinée-Bissau. Elle est à l’origine de plusieurs coups d’État, le dernier remontant à avril 2012. Depuis lors, elle était restée hors de la scène politique. Le chef d’état-major général des armées, Biagui Nantam, a souvent rappelé que les militaires resteraient désormais « en dehors des querelles politiques ». Mais le positionnement actuel de la hiérarchie militaire rompt avec cette position de neutralité.
La CEDEAO est l’acteur principal du processus de stabilisation de la Guinée-Bissau depuis le coup d’État d’avril 2012. L’organisation régionale avait réussi, presque à elle seule, à mettre en place une transition, et avait envoyé une mission diplomatique et militaire chargée de sécuriser les institutions et de soutenir le pays dans la réforme du secteur de la défense et de la sécurité
Ce retour de certaines figures controversées de l’armée sur la scène politique pose un risque majeur à l’équilibre civilo-militaire indispensable au bon fonctionnement des institutions.
Les conflits entre les principaux acteurs politiques et leurs soutiens dans la société civile, d’une part et, d’autre part, l’armée constituent un facteur important d’instabilité. La poursuite de la crise et de la paralysie de l’État depuis 2015 ont permis l’irruption des militaires sur la scène politique. Ce qui ne doit pas être pris à la légère.
