Auteur : Vincent foucher
Site de publication : The conversation
Type de publication : Article
Date de publication : novembre 2024
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En Guinée, voici un peu plus de trois années, le 5 septembre 2021, un coup d’État venait mettre une fin précoce au troisième mandat fraîchement acquis du président Alpha Condé. Pour s’assurer ce mandat, Condé venait d’utiliser un arsenal de manœuvres illibérales, de la modification abusive de la Constitution à la répression brutale des manifestations d’opposants. La chute de Condé avait suscité de vifs espoirs au sein de la population guinéenne.
La junte avait d’abord mené une politique d’ouverture politique, libérant les opposants et engageant des discussions avec les partis d’opposition et les organisations de la société civile. Cette période s’est vite refermée. Le nouveau régime, dirigé par le colonel – maintenant général d’armée – Mamadi Doumbouya, se montre plus répressif encore que le précédent. Dernier épisode de cette répression, la dissolution d’une cinquantaine de partis politiques ainsi que la suspension et la “mise sous observation” de dizaines d’autres, au nom de la conformité avec les lois sur les formations politiques.
“Assainissement” de la scène partisane
Le 29 octobre dernier, le ministre de l’Administration du territoire et de la Décentralisation annonçait la dissolution de 53 partis politiques et la suspension de 54 autres sur les 211 partis que compte le pays. D’autres partis étaient placés sous « observation ». Cette mesure faisait suite à une « mission d’évaluation des partis politiques » menée par le ministère.
Le nouveau régime, dirigé par le colonel – maintenant général d’armée – Mamadi Doumbouya, se montre plus répressif encore que le précédent. Dernier épisode de cette répression, la dissolution d’une cinquantaine de partis politiques ainsi que la suspension et la “mise sous observation” de dizaines d’autres, au nom de la conformité avec les lois sur les formations politiques
A la lecture du rapport du ministère, l’objectif du gouvernement semble bien inoffensif : il s’agissait d’« assainir l’échiquier politique ». À cette fin, l’équipe chargée de cette mission a demandé aux partis politiques de fournir un ensemble de documents justifiant de leur existence et de leurs activités. Le rapport met en avant l’utilisation d’un « logiciel d’évaluation » qui attribue une « note finale d’évaluation » à chaque parti, « ce qui permet de garantir la transparence et l’équité du processus ».
Fragiliser l’opposition
Dès 2021, la junte avait coopté Ousmane Gaoual Diallo, grande figure de l’UFDG et adversaire déclaré de Dalein Diallo. En juin 2022, Gaoual Diallo avait été exclu du parti à la suite de son entrée dans le gouvernement de transition, mais il conteste son exclusion et ne cache pas son envie de prendre le contrôle du parti. En février 2024, la junte a nommé au poste de Premier ministre Amadou Bah Oury, membre fondateur de l’UFDG et autre rival de Dalein Diallo. En 2016, il avait été lui aussi exclu du parti.
La « mise sous observation » du parti semble être une manœuvre de plus pour fragiliser le contrôle de Dalein Diallo sur l’UFDG. L’une des raisons alléguées pour cette décision est que le parti n’a pas organisé de congrès depuis 2015. De fait, le congrès a été plusieurs fois annoncé depuis, et chaque fois reporté, et il est aujourd’hui programmé pour 2025. La tenue du congrès est sensible car Dalein Diallo est en exil. Il a en effet quitté la Guinée peu après la prise du pouvoir de la junte, lorsque celle-ci a fait saisir et démolir sa maison de Conakry hors de toute procédure judiciaire, en affirmant qu’elle était un bien mal acquis.
Re-fermeture de l’espace public
Cette mesure s’inscrit dans une logique d’écrasement plus large de toutes les forces contestatrices. Depuis sa prise de pouvoir, la junte a d’abord interdit les manifestations (mai 2022). Elle a ensuite dissous le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), mouvement citoyen qui avait mené la lutte contre le troisième mandat d’Alpha Condé (août 2022). Elle a enfin fermé les principaux médias audiovisuels privés (mai 2024) et suspendu la délivrance des agréments aux associations et organisations non gouvernementales (septembre 2024).
En juillet 2024, deux hauts responsables du FNDC ont été arrêtés par des hommes en uniforme non identifiés. Ils n’ont pas été revus depuis. Les autorités judiciaires ont affirmé n’avoir aucune information à leur sujet et des organisations de défense des droits humains ont exprimé leur crainte d’une exécution extra-judiciaire. La mort de figures publiques de cette importance serait une première pour le pays depuis la démocratisation des années 1990.
Doumbouya candidat ?
Maintenant qu’il a neutralisé ses adversaires politiques, consolidé son contrôle sur l’appareil d’État, la voie est libre pour Doumbouya. Il avait pourtant promis de rendre le pouvoir à un gouvernement civil au terme de la transition. La charte de la transition prévoyait, assez classiquement, que les membres des institutions de transition ne pouvaient être candidats lors des élections de fin de transition.
Mais le ton a changé : on entend de plus en plus fréquemment des affidés de Doumbouya – récemment, le porte-parole de la présidence ainsi que le porte-parole du gouvernement – défendre son droit à briguer la présidence. Au pouvoir depuis déjà plus de trois ans, il semble donc vouloir s’installer à la tête du pays pour une durée indéterminée.
La junte et ses compagnons de route civils, qui se veulent subtils et entendent se présenter comme soucieux de légalité, instrumentalisent donc la « rationalisation » de la vie politique pour mieux la contrôler. C’est là un outil de plus dans une entreprise méthodique de mise au pas des différents segments de la société, avec sans doute la perspective d’une élection très fermée. Le journal satirique guinéen Le Lynx titrait sans se tromper : « Le parti unique is back ».
