Auteur : Centre d’études stratégiques de l’Afrique
Site de publication : Africa center
Type de publication : Article
Date de publication : février 2024
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Cette année sera une charnière pour la trajectoire de la transition de la Guinée vers un retour à la démocratie. Une junte militaire dirigée par le colonel Mamady Doumbouya a pris le pouvoir des mains du premier président démocratiquement élu de la Guinée, Alpha Condé, en septembre 2021. Dans le cadre d’une feuille de route de transition en 10 points négociée avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la junte s’est engagée à organiser des élections présidentielles et législatives d’ici décembre 2024.
La situation de la Guinée se différencie également par le fait que l’armée a renversé un président qui avait violé la limite de deux mandats fixée par la Constitution, et ce malgré les nombreuses manifestations populaires contre l’extension de cette limite et ses justifications juridiquement douteuses. La junte guinéenne a d’ailleurs permis un certain débat public relatif aux véritables réformes constitutionnelles (tout en excluant d’importantes voix de l’opposition). Les réformes proposées consistent notamment à soumettre les nominations de l’exécutif à la surveillance parlementaire, à renforcer la protection des organes indépendants contre les ingérences politiques et à renforcer la limite de deux mandats présidentiels.
Malgré l’engagement déclaré de la junte guinéenne à poursuivre la transition, sa mise en œuvre a manqué de transparence, de respect des délais et d’allocations budgétaires adéquates, ce qui amène les dirigeants civils à se demander si le calendrier sera respecté ou si la junte ne fait que retarder le retour à un régime constitutionnel démocratique. Parmi les principaux points de discorde figure le projet de la junte d’organiser un recensement avant les élections, qui servirait ensuite de base à l’établissement d’un nouveau fichier électoral. Doumbouya a également annoncé des plans pour un référendum constitutionnel en 2024, bien que le document lui-même reste à rédiger et que les détails sur le processus soient rares.
Les principaux partis politiques guinéens et les organisations de la société civile, regroupés sous la bannière des Forces vives de la Guinée (FVG), ont organisé des manifestations périodiques pour faire valoir ces points et exiger de la junte qu’elle respecte le calendrier de la transition dans le cadre d’un processus transparent et participatif.
La junte guinéenne a d’ailleurs permis un certain débat public relatif aux véritables réformes constitutionnelles (tout en excluant d’importantes voix de l’opposition). Les réformes proposées consistent notamment à soumettre les nominations de l’exécutif à la surveillance parlementaire, à renforcer la protection des organes indépendants contre les ingérences politiques et à renforcer la limite de deux mandats présidentiels
La junte a parfois répondu à ces défis en intimidant les journalistes et les dirigeants de la société civile qui l’ont critiquée. Elle a notamment eu recours à des milices armées et à des arrestations pour réprimer les manifestations, que la junte a interdites depuis 2022. L’espace médiatique demeure restreint, plusieurs médias étant interdits et l’accès à l’internet périodiquement suspendu.
Cette résistance au régime militaire témoigne de la résilience de la société civile et du mouvement démocratique guinéens. La Guinée a été l’un des derniers pays africains à organiser des élections multipartites compétitives, qui n’ont eu lieu qu’en 2010. Cette étape n’a été franchie qu’après le tristement célèbre massacre de plus de 150 manifestants civils du stade de Conakry de 2009 et le viol de douzaines de femmes orchestrés par le gouvernement militaire de Moussa Dadis Camara. Le procès des responsables, longtemps retardé, n’a commencé qu’en 2022, sous la junte de Doumbouya, bien qu’il se soit déroulé par à-coups.
La résistance civile guinéenne s’est construite sur un long héritage de régime répressif et non redevable. Les Guinéens ont beaucoup souffert sous le règne dictatorial de 25 ans (1958-1984) de Sékou Touré, suivi du régime de 24 ans (1984-2008) du général Lansana Conté. Ces épreuves et ces droits acquis de hautes luttes ont gravé dans la psyché guinéenne un profond engagement en faveur de la démocratie. La limitation des mandats est une question particulièrement viscérale compte tenu des décennies de règne des régimes précédents. C’est pourquoi la résistance au troisième mandat anticonstitutionnel d’Alpha Condé a été si passionnée et généralisée.
