Auteur: Félicité Djilo, Paul-Simon Handy
Site de publication: IssAfrica
Type de publication: Article
Date de publication: Mai 2022
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En avril, le Cameroun a renouvelé un accord de coopération militaire avec la Russie, alors que Moscou intensifiait son offensive en Ukraine. Ce moment confirme sans aucun doute l’affirmation de la Russie selon laquelle son isolement international est relatif. Il soulève également des questions sur la politique étrangère du Cameroun, à l’heure où les votes des pays africains à l’Assemblée générale des Nations Unies sont scrutés.
L’accord militaire reflète une tendance de la politique étrangère et commerciale du Cameroun, qui consiste à maintenir une distance égale avec les grandes puissances. Si le pays d’Afrique centrale est l’un des principaux bénéficiaires de la coopération française au développement en Afrique subsaharienne, son principal créancier est de loin la Chine. Le Cameroun entretient également des relations étrangères et commerciales étroites avec le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Allemagne.
Cet exercice d’équilibriste international perd cependant de son attrait pour l’Afrique et l’Union africaine (UA). En mai, le Cameroun a présidé le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA après avoir été réélu pour un mandat de trois ans. La relative indifférence des décideurs, des leaders d’opinion et de la société camerounaise à cette présidence tournante contraste avec les efforts diplomatiques considérables déployés pour assurer sa réélection.
La politique étrangère et commerciale continentale indécise du Cameroun se retrouve également en Afrique centrale
Yaoundé est également prêt à garantir un soutien constant de l’UA à la base logistique de la Force africaine en attente située à Douala et à la Force multinationale mixte régionale contre Boko Haram dans le bassin du lac Tchad.
Malgré les nombreux enjeux transnationaux contemporains auxquels l’Afrique est confrontée – menace terroriste croissante, activation de la Zone de libre-échange continentale africaine et résurgence des coups d’État –, la politique du Cameroun envers l’UA et l’Afrique reste floue. Elle se caractérise également par un engagement limité au niveau des chefs d’État, où se prennent en dernier ressort les décisions de l’UA.
Le président Paul Biya est connu pour son absence aux sommets de l’UA. Malgré cela, le Cameroun a réussi à faire élire ses ressortissants commissaires au sein des Commissions Konaré/Ping (2003-2011) et de la première Commission Faki (2017-2021). Mais ces nominations politiques ne compensent guère le faible nombre de Camerounais à la tête de la Commission de l’UA ni l’absence de lignes directrices communes pour l’action du pays au sein de l’UA.
La politique étrangère du Cameroun est notoirement obscure car les documents officiels sont rarement rendus publics
La politique étrangère du Cameroun est notoirement obscure, car les documents officiels décrivant ses intérêts et ses objectifs stratégiques sont rarement rendus publics. Même les diplomates camerounais peinent à donner une vision unifiée de l’action du pays en Afrique et à l’international. Il n’existe pas de forum unique réunissant les diplomates et leur hiérarchie, et la dernière conférence des ambassadeurs remonte à 1985.
L’accent mis sur le président et ses préférences personnelles a empêché la diplomatie camerounaise d’être guidée par des principes. C’est également le principal obstacle à la conduite de la politique étrangère par le ministère des Affaires étrangères plutôt que par la présidence. Mais face à l’instabilité croissante en Afrique centrale, des lignes directrices claires pour l’engagement régional et continental du Cameroun deviendront plus cruciales que jamais.
La politique étrangère du Cameroun devrait commencer par l’élaboration d’une politique de voisinage. En tant que partenaire commercial majeur en Afrique centrale, le Cameroun a un intérêt direct à la stabilité de la région. Il est donc surprenant que d’autres États moins touchés règlent de plus en plus leurs crises à sa porte.
Pour repositionner l’Afrique centrale et l’Afrique dans la politique étrangère du Cameroun, le pays doit également rectifier le préjugé répandu qui considère comme prestigieux uniquement les postes diplomatiques dans les capitales des pays du Nord. Négliger les opportunités faciles de la diplomatie africaine porterait préjudice à l’image du pays.
