Auteurs : Adama Traoré, François Bertrant Akoa, Jean-Gaspard Ntoutoume Ayi
Site de publication : P4H Network
Type de publication : Rapport
Date de publication : Juillet 2024
Introduction
Dans un contexte national où moins de 10% de la population bénéficie aujourd’hui d’une protection sociale en santé, notamment en raison de la prédominance des paiements directs qui forcent souvent les ménages à renoncer aux soins, l’établissement d’une couverture sanitaire universelle est devenu une priorité stratégique. L’objectif est de garantir un accès égal et financier sûr aux services de santé essentiels pour toute la population.
Ce travail s’inscrit donc dans une logique de recherche de solutions institutionnelles et financières durables permettant d’assurer la gestion efficace de la CSU, tout en garantissant la viabilité du système sur le long terme, la transparence dans la gestion des fonds, ainsi que l’adhésion des différents acteurs, y compris les populations ciblées.
Le rapport s’emploie à analyser les spécificités du contexte camerounais, à s’inspirer des expériences réussies dans d’autres pays, et à proposer trois scénarios institutionnels principaux pour structurer cette future entité de gestion.
Contexte et justification
Situation socio-économique et sanitaire du Cameroun
Le Cameroun est un pays à diversité sociale et économique particulièrement marquée. Sa population se répartit entre zones urbaines et rurales, avec une forte prédominance du secteur informel dans l’économie. Ces réalités génèrent d’importantes disparités en termes d’accès aux services de santé.
Le système de santé camerounais doit composer avec un double défi : assurer la disponibilité et la qualité des soins, tout en rendant leur accès financièrement soutenable pour l’ensemble des citoyens. La morbidité liée aux maladies infectieuses comme le paludisme, la tuberculose, et d’autres pathologies tropicales reste élevée, tandis que les maladies non transmissibles gagnent en importance.
Les statistiques indiquent que le risque de pauvreté augmente considérablement dès que les ménages doivent assumer directement les frais de santé, ce qui constitue un obstacle majeur à la fréquentation des structures sanitaires. De plus, la faible couverture sociale en santé expose les plus vulnérables à des difficultés financières souvent catastrophiques.
Bilan des dispositifs existants
Historiquement, différentes tentatives visant à améliorer la protection sociale en santé ont été menées :
– Les mutuelles de santé communautaires ont permis l’accès à certaines populations, mais leur couverture reste limitée, bénéficiant souvent à des groupes restreints et avec des moyens financiers insuffisants.
– L’Assistance Médicale Universelle (AMU) repose sur des mécanismes d’exonération et d’aide ciblée, mais les bénéficiaires restent une minorité et les ressources allouées sont limitées.
– La Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) couvre exclusivement les travailleurs du secteur formel, laissant hors du système une grande partie des populations rurales et des travailleurs informels.
Ces mécanismes fragmentés ne permettent pas d’atteindre la couverture universelle ni de réduire significativement les inégalités. La prise de conscience politique récente a conduit à l’adoption d’une loi spécifique de mise en place de la CSU, ainsi qu’à la création du Comité Technique National chargé de piloter sa mise en œuvre.
Justification de l’étude
L’enjeu fondamental est de déterminer la meilleure option institutionnelle pour la gestion de la CSU, capable de fédérer les ressources, d’optimiser les procédures et d’assurer une gouvernance transparente et efficace. Les choix sont lourds de conséquences pour la pérennité financière, l’équité d’accès, ainsi que pour la qualité des services proposés.
Ce rapport vise donc à fournir aux décideurs un éclairage précis, s’appuyant sur une analyse rigoureuse du contexte camerounais et sur une revue comparée des modèles appliqués dans d’autres pays. L’objectif est d’identifier une solution qui puisse être rapidement mise en œuvre tout en ayant une capacité d’adaptation et d’évolution, conformément aux exigences nationales et aux standards internationaux.
Leçons et enseignements tirés
Plusieurs facteurs ont été identifiés comme clés dans la réussite des systèmes étudiés:
– La mise en place d’une gouvernance forte, inclusive et transparente, associant les usagers, les professionnels de santé et les pouvoirs publics.
– L’utilisation de systèmes d’information performants, permettant le suivi précis des bénéficiaires, des paiements et des prestations, tout en assurant la confidentialité des données.
– La progressivité dans l’élargissement du champ des populations couvertes, avec la mise en place de mécanismes spécifiques pour intégrer les travailleurs du secteur informel et les populations rurales.
– L’importance de la spécialisation institutionnelle, souvent sous la forme de caisses autonomes ou d’établissements publics dédiés, qui bénéficient d’une expertise ciblée et d’une capacité d’adaptation rapide.
– La flexibilité dans la gestion des recours et des délégations, notamment par le biais de fonds spéciaux ou d’opérateurs régionaux, permettant de piloter la réforme à différentes échelles.
Ces enseignements guident les propositions formulées dans le rapport pour le contexte camerounais.
Scénarios institutionnels proposés
Sur la base de l’analyse contextuelle et du benchmarking, trois scénarios principaux sont proposés pour l’organisation de la gestion de la couverture sanitaire universelle au Cameroun.
Scénario 1 : Création d’une caisse publique autonome
Ce modèle envisage la création d’un établissement public à caractère administratif, spécifique à la gestion de la CSU. Cette caisse autonome serait chargée de prendre en charge l’ensemble des missions : recensement et inscription des bénéficiaires, collecte des cotisations ou contributions, gestion des prestations, contractualisation avec les prestataires de soins, et suivi du contrôle de la qualité.
Les avantages de ce scénario résident dans la clarté des responsabilités, la concentration des compétences, l’autonomie pédagogique et administrative, ainsi que dans la visibilité institutionnelle accrue, qui facilitent la communication et la confiance des populations.
Cependant, la création d’une nouvelle structure implique des délais, des coûts initialement élevés, une lourdeur administrative à lever, et la nécessité d’adapter la législation existante pour encadrer cette nouvelle entité.
Scénario 2 : Arrimage à la CNPS
Dans ce cas, la gestion de la CSU serait intégrée à la Caisse nationale de prévoyance Sociale, organisme déjà actif dans la gestion des prestations sociales pour les travailleurs du secteur formel.
Ce choix présente l’intérêt de capitaliser sur une structure opérationnelle existante, avec des ressources humaines formées, des systèmes informatiques déployés, et une expérience en matière de gestion financière et contractuelle.
Néanmoins, la CNPS devra s’adapter à de nouveaux publics, notamment les travailleurs informels et les populations rurales, qui diffèrent du secteur formel par leurs modes de vie et leurs attentes. Des adaptations importantes seront nécessaires au niveau de la gouvernance, du système d’information, et de la gestion des procédures, afin d’assurer un accès équitable à tous.
Scénario 3 : Fonds spécial avec délégation de gestion
Ce scénario propose la création d’un fonds public dédié à la CSU, qui agirait comme un gestionnaire financier et stratégique tout en déléguant une partie des activités opérationnelles à des opérateurs externes ou à des structures régionales.
Cette solution hybride offre une plus grande souplesse, permettant notamment la mise en place progressive de la couverture, l’expérimentation dans différentes zones, et l’adaptation des mécanismes en fonction des retours d’expérience.
Cependant, elle nécessite la définition très claire des rôles et responsabilités, un dispositif de contrôle renforcé, et un cadre de gouvernance capable de piloter la multiplicité des acteurs.
Analyse comparative des scénarios
L’analyse comparative a évalué chaque scénario en fonction de plusieurs critères déterminants pour la réussite de la CSU :
Faisabilité institutionnelle :capacité à être mise en œuvre rapidement dans le contexte camerounais existant.
Couverture effective de la population : potentiel à atteindre les groupes les plus vulnérables et exclus.
Coût et efficience de gestion : optimisation des ressources humaines, matérielles et financières.
Gouvernance et transparence : possibilité d’instaurer des mécanismes de suivi, d’évaluation, et de contrôle.
Acceptabilité sociale et politique : soutien des populations et des partenaires institutionnels.
Le scénario de la caisse autonome est celui offrant la meilleure perspective de durabilité institutionnelle et de spécialisation, permettant de maîtriser l’ensemble du système et de garantir une visibilité claire aux usagers.
Cependant, il est également associé à des délais plus longs et à un besoin important de ressources pour sa création. C’est pourquoi une phase transitoire d’arrimage, soit auprès de la CNPS, soit via un fonds spécial, est recommandée pour assurer le démarrage rapide de la CSU tout en préparant la montée en charge progressive vers une structure autonome.
Recommandations
Renforcement du cadre juridique et institutionnel
Il est indispensable d’adopter rapidement une loi claire instituant la couverture sanitaire universelle et définissant précisément les responsabilités et missions de l’organisme gestionnaire. Cette loi doit prévoir des modalités de gouvernance inclusives, intégrant aussi bien les autorités publiques que les représentants des usagers et des professionnels de santé.
Mise en place d’une gouvernance moderne et inclusive
Un conseil d’administration représentatif, doté de règles de transparence rigoureuses, permettra d’assurer une supervision efficace et une relation de confiance avec les populations. Une coordination étroite avec les différents ministères, les mutuelles et les partenaires techniques est également recommandée.
Renforcement des capacités techniques et humaines
Le choix d’un modèle nécessite des ressources qualifiées. Il est primordial de développer des plans de formation et de recrutement pour garantir des équipes compétentes, capables de gérer des systèmes complexes d’information, de suivi financier et d’évaluation.
Communication et mobilisation sociale
La réussite de la CSU repose sur l’adhésion des populations et des professionnels. Un programme ambitieux de communication et de sensibilisation permettra de renforcer cette acceptation, en insistant sur les bénéfices de la couverture et sur les droits et devoirs des bénéficiaires.
Assurer la pérennité financière
Le financement durable doit s’appuyer sur un mix de sources : cotisations des assurés, subventions publiques, contributions fiscales, appuis internationaux. La mobilisation de ces ressources nécessite une gestion rigoureuse et un suivi comptable transparent.
Phasing et évaluation continue
La mise en œuvre doit être progressive, privilégiant les zones pilotes et les catégories prioritaires, avec une évaluation régulière permettant de corriger les parcours et d’adapter les dispositifs aux réalités du terrain.
Conclusion
Ce rapport souligne l’importance cruciale de la création d’un organisme de gestion dédié à la Couverture Sanitaire Universelle au Cameroun, dans l’objectif d’assurer à tous les citoyens un accès équitable et financier aux soins de qualité.
Il apparaît que le scénario privilégié est celui d’une caisse publique autonome, capable de centraliser les fonctions essentielles, d’assurer une gouvernance transparente et une gestion spécialisée. Ce choix constitue un levier fort pour structurer durablement le système et atteindre les objectifs nationaux de santé publique.
Néanmoins, compte tenu des réalités actuelles, il est préférable de prévoir une phase transitoire durant laquelle des solutions d’arrimage à la CNPS ou l’utilisation d’un fonds spécial permettront d’accélérer la couverture et d’expérimenter les modalités opérationnelles.
La mise en place réussie reposera sur une volonté politique confirmée, un cadre réglementaire clair, un engagement fort des acteurs, une communication adaptée, ainsi qu’un financement stable et sécurisé.
La couverture sanitaire universelle représente un pilier important pour l’équité sociale, la réduction de la pauvreté, et l’amélioration du bien-être général. Ce rapport fournit aux autorités camerounaises et aux partenaires un guide structuré et documenté pour réaliser cette ambition majeure.
