Auteur : Ndjalla, A. et Wayep, G. A
Site de publication : EAS Publisher
Type de publication : Article
Date de publication : septembre-octobre 2022
Introduction
La pandémie de COVID-19 a mis en lumière l’importance cruciale de la communication sanitaire dans la gestion des crises sanitaires mondiales. Au Cameroun, la circulation de l’information sanitaire a constitué un enjeu majeur pour la lutte contre le virus, face à un système de santé fragile et à une population diverse, souvent éloignée des centres urbains. L’étude de Ndjalla et Wayep analyse les mécanismes, les stratégies, ainsi que les défis liés à la diffusion de l’information sanitaire dans ce contexte inédit, en mettant en exergue les forces et faiblesses de la communication gouvernementale et médiatique.
L’objectif principal est de fournir un état des lieux précis et contextualisé de la gestion de l’information sanitaire dans la riposte, facteur clé pour renforcer la résilience du système de santé face aux pandémies actuelles et futures.
Contexte général
Le Cameroun a enregistré ses premiers cas de COVID-19 en mars 2020. Rapidement, des mesures sanitaires strictes ont été mises en place, combinant confinement, campagnes de sensibilisation et renforcement de la surveillance épidémiologique. Face à une menace nouvelle, la circulation fluide et fiable des informations sanitaires est devenue une priorité pour coordonner actions et ressources.
Le système d’information sanitaire camerounais est traditionnellement caractérisé par une organisation hiérarchique : les données collectées dans les formations sanitaires sont transmises aux districts, puis aux délégations régionales, avant de parvenir au Ministère de la Santé Publique. Cependant, au début de la pandémie, cette circulation a révélé plusieurs lacunes : délais de transmission élevés, données parfois fragmentées, faibles capacités en équipements numériques, et difficultés à intégrer l’information des secteurs privé et communautaire.
Par ailleurs, la communication publique autour de la COVID-19 a nécessité une coordination étroite entre diverses instances gouvernementales, les partenaires internationaux, les médias, et les acteurs communautaires pour diffuser des messages clairs, lutter contre la désinformation et maintenir la confiance.
Objectifs et cadre d’analyse
Ce rapport répond à un ensemble d’objectifs spécifiques :
– Évaluer la qualité, la rapidité et la complétude de la circulation de l’information sanitaire liée à la COVID-19, à tous les niveaux du système national.
– Identifier les mécanismes de collecte, de traitement et de diffusion des données, ainsi que les outils et supports utilisés.
– Analyser les freins et difficultés rencontrés par les acteurs dans la gestion de l’information.
– Mettre en lumière les bonnes pratiques, innovations et adaptations développées durant la crise.
– Proposer des recommandations ciblées pour l’amélioration durable du système d’information sanitaire, dans une perspective de préparation aux futures pandémies.
Le cadre analytique repose sur la dynamique de circulation de l’information selon trois dimensions clés :
– La collecte ponctuelle et continue de données sanitaires.
– La transmission fluide, structurée et sécurisée entre les échelons territoriaux et sectoriels.
– L’utilisation effective des données pour la planification, le suivi et la communication vers les populations.
Résultats principaux
Collecte des données
Au niveau des formations sanitaires, la collecte initiale des données sur les cas suspects, confirmés, les décès, les hospitalisations et les mesures de prévention a été mise en place rapidement, en s’appuyant sur les structures existantes et les indicateurs standards recommandés par l’OMS.
Les agents de santé ont exprimé que malgré la surcharge liée à la pandémie, ils ont déployé des efforts importants pour rendre compte de manière régulière, avec des fiches et rapports adaptés à la COVID-19.
Cependant, plusieurs limites sont apparues :
– L’absence ou la faiblesse de formation spécifique dans certains sites, notamment en milieu rural, a entraîné des erreurs de saisie ou des oublis.
– Le sous-équipement des centres, notamment en matériel informatique, a parfois conduit à la rédaction manuelle, Suisse à des retards et à une moindre fiabilité.
– La faible intégration des données issues du secteur privé et des structures communautaires a créé des zones d’ombre dans la surveillance.
Transmission et traitement des données
La transmission des données des formations sanitaires vers les districts, puis vers les délégations régionales et le ministère a reposé principalement sur un système mixte papier-électronique.
Les résultats montrent que :
– Dans les centres urbains bien équipés, la transmission électronique via des plateformes dédiées (notamment DHIS2) a permis un délai de remontée des données satisfaisant, souvent quotidien.
– En revanche, dans les zones rurales et moins équipées, la transmission papier a causé des retards importants, pouvant atteindre plusieurs jours voire semaines.
– La qualité et la complétude des données transmises varient considérablement en fonction des ressources disponibles et de la formation des opérateurs.
– L’absence d’une plateforme unique et intégrée a parfois généré des doublons ou des incohérences entre rapports.
Utilisation de l’information pour la prise de décision
Au niveau central, les équipes du Ministère de la Santé Publique et des partenaires ont mobilisé des compétences analytiques avancées pour exploiter les données collectées, permettant une vision actualisée de la situation épidémiologique. Cette information a alimenté la gestion des stocks de matériels et médicaments, l’ajustement des mesures sanitaires, ainsi que la communication publique. Toutefois, au niveau régional et district, les capacités d’analyse demeurent limitées. L’information reçue est souvent considérée comme un simple formulaire à transmettre plutôt qu’un outil utile pour ajuster localement les activités.
Communication publique et gestion de l’information
La sensibilisation au COVID-19 a été un volet important, intégrant messages radio, télévision, campagnes sur les réseaux sociaux, et interventions de terrain par les agents communautaires.
Le rôle de la circulation rapide de l’information entre les niveaux administratifs et vers le public a permis d’adapter les messages, de diffuser les consignes sanitaires et d’alerter la population sur l’évolution de la pandémie.
Néanmoins, le rapport souligne que la prolifération d’informations non vérifiées, la méfiance de certaines communautés, et le manque de coordination entre acteurs ont conduit à une circulation parallèle d’informations parfois erronées, alimentant la désinformation.
Analyse critique
L’analyse met en exergue plusieurs facteurs fondamentaux ayant influencé la qualité de la circulation de l’information sanitaire durant la lutte contre la COVID-19 au Cameroun.
Facteurs facilitants
– Le déploiement rapide d’outils numériques à l’échelle nationale, notamment la digitalisation partielle des procédures.
– L’implication des partenaires techniques internationaux assurant appui matériel, formation et expertise.
– L’engagement fort des autorités sanitaires et le renforcement des comités de coordination multisectorielle.
– L’adoption d’indicateurs harmonisés et standardisés facilitant la collecte en temps réel.
– La mobilisation des médias et des plateformes numériques pour la communication de masse.
Limitations et freins identifiés
– Les disparités territoriales en matière d’équipements, de formations et d’accès à internet, pénalisant les zones rurales et périphériques.
– Une architecture fragmentée du système d’information, avec coexistence de multiples supports et plateformes générant des redondances et des ruptures dans le partage de l’information.
– Le faible investissement chronique dans les ressources humaines dédiées à la surveillance active et à la gestion des données.
– La complexité de l’intégration des données provenant du secteur privé et des acteurs non étatiques, créant des lacunes dans la vision complète de la pandémie.
– Les difficultés d’appropriation locale des données pour la prise de décision, limitant l’adaptation fine des stratégies.
– La circulation parallèle d’informations non validées, alimentant les rumeurs et la défiance dans certains groupes.
Recommandations stratégiques
Pour améliorer durablement la circulation de l’information sanitaire en situation de crise épidémique, y compris pour la poursuite de la lutte contre la COVID-19 et la préparation aux futures pandémies, plusieurs axes prioritaires sont recommandés.
Renforcer la digitalisation et l’intégration des systèmes
– Généraliser l’utilisation de plateformes électroniques intégrées et interopérables permettant la saisie, la transmission et le traitement en temps réel des données sanitaires.
– Assurer un déploiement adéquat des infrastructures informatiques, notamment dans les zones rurales isolées, avec accès garanti à internet.
– Favoriser la mutualisation des ressources numériques entre les différents programmes de santé publique pour optimiser l’utilisation.
Former et accompagner les acteurs à tous les niveaux
– Mettre en place des programmes réguliers de formation et de renforcement des capacités pour les agents impliqués dans la collecte, la saisie, l’analyse et la diffusion d’informations sanitaires.
– Développer des guides pratiques et outils simplifiés, adaptés aux différents échelons du système.
– Instaurer des mécanismes de supervision et de suivi pour assurer la qualité des données.
Améliorer la coordination et la gouvernance de l’information
– Clarifier les rôles, responsabilités et procédures relatives à la gestion de l’information sanitaire, en particulier dans les situations d’urgence.
– Créer ou renforcer les instances nationales et régionales de coordination de la surveillance sanitaire, avec une implication multisectorielle.
– Mettre en œuvre un cadre légal protégeant la qualité, la confidentialité et l’intégrité des données.
Diversifier et sécuriser les sources d’information
– Intégrer de manière systématique les données issues du secteur privé, des laboratoires indépendants, et des réseaux communautaires pour une vision complète.
– Utiliser les technologies mobiles et les innovations numériques pour faciliter la remontée rapide des données.
– Cultiver des partenariats avec les médias et la société civile pour une meilleure circulation des informations validées.
Promouvoir l’utilisation des données pour la prise de décision locale
– Encourager les acteurs régionaux et locaux à analyser et utiliser les données dans leur contexte spécifique, en leur fournissant l’appui technique nécessaire.
– Développer des indicateurs et tableaux de bord accessibles, intelligibles et pertinents pour les gestionnaires de terrain.
– Valoriser les retours d’expérience pour améliorer en continu les pratiques.
Lutter contre la désinformation et renforcer la communication de crise
– Mettre en œuvre une communication coordonnée, proactive et transparente visant à diffuser des informations fiables et adaptées aux publics.
– Impliquer les leaders communautaires, les organisations civiques et les autorités locales dans la diffusion des messages sanitaires.
– Suivre et combattre activement la circulation des fausses informations et des rumeurs.
Conclusion
L’évaluation de la circulation de l’information sanitaire liée à la COVID-19 au Cameroun révèle un système disposant d’une base institutionnelle, technique et humaine qui a su s’adapter rapidement à une crise inédite. Des progrès notables ont été accomplis en matière de collecte et de transmission des données, grâce à un engagement politique marqué et au soutien des partenaires.
Cependant, des défis structurels importants limitent encore la fluidité, la qualité, et l’efficacité du système. Ces insuffisances sont liées principalement aux disparités territoriales, au sous-équipement technologique, à la fragmentation des outils d’information, au manque de formation continue et à la faible intégration des acteurs privés et communautaires.
Afin d’accroître la résilience du système de santé camerounais face à la pandémie actuelle et futures urgences sanitaires, il est impératif de renforcer la digitalisation, la formation et la gouvernance du système d’information sanitaire. La circulation rapide et fiable de l’information constitue la pierre angulaire d’une lutte efficace, véritable moteur d’une prise de décision adaptée, d’une coordination efficiente, et d’une communication maîtrisée.
