Auteur : Mapto Kegne Valèse
Site de publication : AUF
Type de publication : Rapport
Date de publication : Août 2023
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Introduction
La question de la transition entre le primaire et le secondaire est devenue un sujet prioritaire pour les systèmes éducatifs africains. Au Cameroun, cette transition reste marquée par de nombreux blocages structurels, pédagogiques et sociaux, qui compromettent l’objectif d’une éducation de qualité pour tous. Dans le sillage des réformes éducatives entreprises ces dernières années et dans le cadre de l’atteinte des Objectifs de Développement Durable (notamment l’ODD 4), le gouvernement camerounais s’est engagé dans la mise en œuvre de l’enseignement fondamental. Cette réforme vise à fusionner le cycle primaire et le premier cycle du secondaire dans une dynamique cohérente de continuité pédagogique et institutionnelle.
Cependant, pour que cette réforme soit réellement porteuse de changement, il est indispensable d’identifier et de comprendre les obstacles majeurs qui freinent la transition des élèves de l’école primaire au collège. Il ne s’agit pas uniquement de garantir l’accès au secondaire, mais aussi d’assurer que cette transition soit fluide, équitable et propice à la réussite des apprenants.
Cadre contextuel et institutionnel de la transition
L’analyse des politiques éducatives camerounaises révèle une volonté croissante d’assurer la continuité du parcours scolaire. Toutefois, cette ambition se heurte à une fragmentation institutionnelle persistante entre les ministères en charge du primaire et du secondaire. Cette discontinuité institutionnelle rend difficile la mise en œuvre de politiques transversales. L’absence d’un cadre de pilotage unifié entre les deux cycles contribue à la redondance, à l’incohérence pédagogique et à une faible coordination entre les acteurs éducatifs.
Par ailleurs, le contexte socio-économique du Cameroun, marqué par des inégalités territoriales, un taux élevé de pauvreté et une instabilité dans certaines régions, accentue la difficulté de mise en œuvre d’une politique nationale cohérente. De nombreuses zones rurales et périurbaines souffrent d’un déficit criant d’infrastructures, de personnels qualifiés, et de ressources pédagogiques, ce qui aggrave les ruptures dans le parcours scolaire des élèves.
La transition école-collège, censée incarner la continuité de l’éducation de base, devient ainsi une zone de fragilité du système éducatif. Cette zone est aujourd’hui le théâtre de multiples déperditions, de redoublements et de ruptures d’apprentissage. Comprendre les dynamiques qui s’y jouent est fondamental pour transformer l’approche éducative actuelle.
Les goulots d’étranglement pédagogiques
L’un des principaux obstacles à une transition réussie réside dans l’inadéquation pédagogique entre le primaire et le secondaire. Les contenus, les méthodes et les outils pédagogiques présentent peu de continuité. Les élèves qui arrivent au collège se retrouvent confrontés à un changement brutal dans l’organisation des apprentissages, les exigences académiques, la diversité des disciplines et la posture des enseignants. Ce choc pédagogique contribue à désorienter de nombreux apprenants.
Le passage d’un système souvent centré sur un enseignant unique au primaire à un modèle disciplinaire éclaté au collège constitue une rupture que les élèves, surtout issus de milieux défavorisés, ont du mal à gérer. De plus, le manque d’harmonisation entre les curricula du primaire et ceux du collège empêche toute cohérence dans la progression des compétences. Les enseignants du secondaire sont peu formés à prendre en compte les acquis réels du primaire, ce qui favorise les répétitions inutiles ou, à l’inverse, l’introduction de notions trop complexes dès les premières semaines du secondaire.
À cela s’ajoute un déficit de formation continue et de concertation entre les enseignants des deux niveaux, qui entrave l’élaboration de séquences pédagogiques articulées. L’absence d’un langage pédagogique commun entre le primaire et le secondaire bloque la mise en œuvre d’une réelle continuité des apprentissages.
Les freins liés aux conditions d’apprentissage et à l’environnement scolaire
Les conditions d’accueil dans les établissements du secondaire ne favorisent pas une transition sereine. Le surpeuplement des classes, la vétusté des infrastructures et le manque de matériels didactiques sont autant de facteurs qui déstabilisent les élèves nouvellement arrivés. Dans certaines régions, les collèges sont très éloignés des communautés, ce qui rend l’accès difficile, surtout pour les filles.
Les problématiques liées à la sécurité scolaire (harcèlement, violences, insécurité routière) sont également des facteurs dissuasifs. Les élèves, surtout ceux issus de familles modestes, doivent parfois parcourir de longues distances, sans moyens de transport adéquats, exposés à des risques divers.
De plus, le manque d’encadrement psychosocial au sein des établissements du secondaire rend la transition encore plus difficile à gérer sur le plan affectif et émotionnel. L’absence de dispositifs d’orientation scolaire et de soutien individualisé empêche une prise en charge personnalisée des élèves en difficulté.
La transition scolaire n’est donc pas qu’un simple passage administratif. Elle représente un véritable changement de monde scolaire, dans lequel les élèves sont souvent abandonnés à eux-mêmes.
Inégalités territoriales et sociales dans la transition
L’analyse du rapport montre que les inégalités territoriales sont l’un des facteurs les plus déterminants dans les difficultés de transition. Entre zones urbaines, rurales et enclavées, l’accès au collège et la qualité des services éducatifs varient considérablement. Certaines régions bénéficient d’un encadrement renforcé, d’un suivi pédagogique stable et d’infrastructures relativement modernes, tandis que d’autres sont confrontées à un sous-encadrement chronique et à un déficit d’équipements.
Ces inégalités se traduisent par des taux de transition très disparates, avec des poches de décrochage scolaire marquées dans les zones rurales, les régions en crise (notamment le Nord-Ouest et le Sud-Ouest), ou les quartiers informels des grandes villes.
À ces disparités géographiques s’ajoutent des facteurs sociaux. Le niveau d’instruction des parents, la langue parlée à la maison, la situation économique du foyer et les représentations sociales de l’école influencent largement la capacité des élèves à faire la transition. De nombreuses familles marginalisées n’ont pas les moyens de soutenir leurs enfants dans cette étape cruciale du parcours éducatif.
Les filles sont particulièrement vulnérables dans ce processus. Elles sont plus susceptibles de quitter l’école après le primaire, en raison de contraintes domestiques, de mariages précoces, ou d’un environnement scolaire perçu comme hostile ou peu accueillant.
Gouvernance et coordination insuffisantes
La question de la gouvernance éducative est centrale dans les blocages identifiés. La mise en œuvre de l’enseignement fondamental suppose une coordination étroite entre les différents échelons de l’administration éducative. Or, le rapport révèle une absence de mécanismes formels de collaboration entre les directions du primaire et du secondaire.
Le pilotage des établissements se fait de manière cloisonnée, sans dialogue ni harmonisation des pratiques. Les cadres intermédiaires (inspecteurs, chefs d’établissement, conseillers pédagogiques) disposent de marges d’action limitées pour impulser des dynamiques de changement structurel. Le manque de pilotage stratégique et de vision partagée entre les deux cycles empêche toute cohérence dans la mise en œuvre de la réforme.
Le système souffre aussi d’un déficit d’évaluation et de remontée d’informations pertinentes sur les blocages rencontrés dans les établissements. Les données disponibles sont souvent parcellaires, peu fiables ou mal exploitées pour l’aide à la décision. Cela réduit la capacité d’intervention ciblée pour résoudre les difficultés spécifiques à la transition école-collège.
Réforme de l’enseignement fondamental : opportunité ou mirage ?
La réforme de l’enseignement fondamental représente une opportunité majeure de transformation du système éducatif camerounais. En intégrant le primaire et le collège dans une logique unifiée, elle vise à renforcer la cohérence des apprentissages, à limiter les redondances, à favoriser une pédagogie de la continuité et à améliorer les taux de rétention scolaire.
Mais cette ambition ne pourra se concrétiser que si elle s’appuie sur des mécanismes solides de planification, de formation, de suivi et d’évaluation. La réforme reste encore largement théorique. Sur le terrain, les acteurs éducatifs ne sont ni suffisamment formés, ni correctement informés des objectifs et des modalités pratiques de la réforme. Il n’existe pas encore de dispositifs institutionnels clairs pour accompagner cette transformation.
L’adhésion des enseignants, des parents et des élèves repose sur une compréhension partagée du sens de la réforme, ce qui est encore loin d’être le cas. En outre, l’absence de ressources dédiées et d’un calendrier de mise en œuvre réaliste rend incertaine la portée réelle de cette politique.
Vers des perspectives d’action stratégique
Pour lever les blocages identifiés, le rapport plaide en faveur d’une stratégie multisectorielle articulée autour de plusieurs axes :
- Harmonisation pédagogique entre le primaire et le collège : par la révision des curricula, l’instauration de modules communs de formation initiale et continue, et la création d’espaces de dialogue entre enseignants des deux niveaux.
- Renforcement des capacités des établissements : en infrastructures, équipements, ressources humaines, dispositifs d’accueil et d’accompagnement des élèves vulnérables.
- Coordination institutionnelle renforcée : à travers la création de comités mixtes de pilotage, la réforme de la gouvernance éducative et une meilleure synergie entre les différents ministères.
- Réduction des inégalités sociales et territoriales : par la mise en œuvre de politiques de discrimination positive, le déploiement de ressources ciblées dans les zones défavorisées et l’accompagnement des filles dans leur parcours scolaire.
- Communication et mobilisation sociale : pour impliquer les parents, les collectivités locales et les acteurs communautaires dans le soutien à la transition scolaire.
