Auteurs : Media foundations for West Africa
Site de publication: MFWA
Type de publication : Rapport
Date de publication : Décembre 2022
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Organisation des rédactions, genre et sécurité des journalistes
Les conditions physiologiques de la femme, comme la grossesse, la maternité, l’allaitement sont des réalités objectives qui la dispense de certaines tâches. Mais, tout cela n’est pas figé et réglementé si bien que dans une même rédaction, selon le caractère, la personnalité et l’humeur du décideur éditorial, les règles non écrites fluctuent. D’une rédaction à une autre, on observe également des variations dans l’organisation genrée des rôles et des tâches. Ce qu’un média ne demandera pas à une femme de faire du fait de la spécificité de son statut de femme ou de son état physiologique, un autre média le fera sans gêne.
Le genre n’est pas non plus pris en compte sur le plan de la sécurité des journalistes et sur le plan de l’intimité. Dans plusieurs rédactions, les hommes et les femmes partagent les mêmes toilettes, contraignant souvent certaines à une auto-violence physiologique, comme s’abstenir d’aller aux toilettes même quand le besoin d’y aller est pressant. Il n’y a non plus de dispositifs sécuritaires garantissant la sécurité des journalistes, malgré le contexte particulièrement dominé par le terrorisme et l’extrémisme violent. Les hommes comme les femmes journalistes ne bénéficient d’aucune protection particulière.
Les journalistes se déploient au front ou couvrent les assauts lancés contre des terroristes en plein carnage sans le moindre kit de sécurité, comme le gilet pare-balle, le badge PRESSE, etc. Les femmes, qui sont davantage vulnérables et plus exposées du fait de leurs conditions féminines (faible force physique et risque de viol), investissent les terrains périlleux et difficiles sans des mesures de sécurité spécifiques ou tenant compte de leur féminité.
Les violences subies dans les rédactions
Encore appelées violences organisationnelles, les violences subies dans les rédactions désignent toutes formes d’atteinte physique et morale que des membres du corps professionnel subissent de la part d’autres membres. Elles sont ainsi portées par des acteurs du média contre des collègues du même média. Cam et al. précisent qu’elles sont les « violences subies par les journalistes au sein même des rédactions ». Les violences organisationnelles sont alors considérées comme des violences internes, planifiées, décidées et mises en œuvre au sein du microcosme médiatique.
Les femmes, qui sont davantage vulnérables et plus exposées du fait de leurs conditions féminines (faible force physique et risque de viol), investissent les terrains périlleux et difficiles sans des mesures de sécurité spécifiques ou tenant compte de leur féminité
Dans les rédactions, les violences physiques envers les femmes sont rares. Toutes les personnes interviewées disent n’en avoir pas connaissance. Aussi bien entre les femmes elles-mêmes et entre elles et les hommes, le climat est parfois tendu et délétère, mais jamais on en arrive à la violence physique. En revanche, les violences verbales et psychologiques y sont récurrentes. Elles s’expriment au niveau de l’organisation et la division du travail journalistique, aussi bien verticale (attribution des positions dans la chaîne décisionnelle) qu’horizontale (répartition thématique des tâches).
La violence liée à la répartition verticale des tâches touche également aux formes et rondeurs de la femme. Pour la télévision, l’un des critères de sélection des présentateurs / présentatrices est la beauté même si elle reste globalement relative.
Des femmes journalistes disent être choquées de voir cette discrimination fondée sur les apparences physiques et non sur les compétences intellectuelles, vocales et professionnelles. Elles estiment que ces considérations sont sources de démotivation professionnelle, mais aussi de raillerie. Des jeunes filles qui sont à leur début dans le métier sont souvent promues présentatrices au détriment de journalistes d’une certaine expérience. Ces violences sont, dans bien des cas, intériorisées, mais ne sont pas sans conséquences sur l’ambiance au travail et sur l’engagement professionnel.
Le (cyber) harcèlement sexuel
Les hommes comme les femmes journalistes racontent que les stagiaires filles sont les principales « proies » des harceleurs. Il est rare qu’une stagiaire passe un mois dans une rédaction sans recevoir les avances d’un journaliste. Généralement, tout est fait pour qu’elle succombe à la tentative. Ce n’est pas seulement les stagiaires qui sont visés dans les rédactions. Les titulaires en sont également victimes.
La violence liée à la répartition verticale des tâches touche également aux formes et rondeurs de la femme. Pour la télévision, l’un des critères de sélection des présentateurs / présentatrices est la beauté même si elle reste globalement relative
Le harcèlement sexuel est un couteau à double tranchant. Dans certains cas, la victime se retrouve dans une situation délicate. Accepter n’est pas la solution, refuser non plus.
Cette violence sexuelle est quasi systématiquement dirigée contre les femmes célibataires. Celles-ci sont perçues ou présentées comme potentiellement des personnes aux mœurs légères. Leur moindre promotion est alors associée au sexe. Ces préjugés n’épargnent guère les femmes mariées, mais ils sont davantage tenances quand il s’agit des femmes célibataires.
Le phénomène est préoccupant. Il est silencieux, mais conduit certaines victimes à avoir de la répugnance pour le métier ou à la mobilité professionnelle. Mais, la mobilité n’est pas une solution durable, car le (cyber) harcèlement n’est pas géographique et temporel. Il est partout et atemporel.
Des souffrances silencieuses
Les violences organisationnelles et publiques, et particulièrement le harcèlement sexuel est un sujet tabou dans les médias, mais en général elles le sont aussi dans les sociétés africaines. Ce comportement de victime résignée favorise la méconnaissance des droits qui régissent ce délit. Le harcèlement est souvent commis par des hommes de pouvoir, ce qui classe les victimes dans une position de faiblesse, les obligeant à se murer dans le silence assourdissant. Le silence est aussi le fait du regard moqueur que la société portera sur la victime.
Les femmes disent préférer se taire et vivre le mal dans le silence. Certaines femmes affirment avoir dénoncé, mais l’absence de jugement débouchant sur des condamnations et de soutien de la part des collègues les a conduits à retomber dans le silence.
Cette violence sexuelle est quasi systématiquement dirigée contre les femmes célibataires. Celles-ci sont perçues ou présentées comme potentiellement des personnes aux mœurs légères. Leur moindre promotion est alors associée au sexe. Ces préjugés n’épargnent guère les femmes mariées, mais ils sont davantage tenances quand il s’agit des femmes célibataires
Recommandations
o Au ministère chargé du genre
➢ Former les acteurs de la société civile, les leaders religieux et coutumiers et les responsables de partis et formations politiques aux conséquences des cultures conservatrices et patriarcales, des préjugés et des stéréotypes rétrogrades sur l’épanouissement intellectuel et professionnel de la femme journaliste
o Au ministre chargé de la communication
➢ Créer un numéro vert de réception des plaintes et des dénonciations des cas de violences dont sont victimes les femmes journalistes
o Au Conseil supérieur de la communication
➢ Assurer le monitoring des contenus médiatiques afin d’identifier les propos violents envers les femmes en général et les femmes journalistes en particulier
o Aux organisations professionnelles des médias
➢ Mettre en place un service d’assistance psychologique pour une meilleure prise en charge des victimes de violences. o Aux propriétaires de médias
➢ Instituer dans les rédactions des cellules de genre de soutien aux victimes de violences
