L’actualité de la fin de l’année 2025 et du début d’année 2026 sera dominée en Afrique par un événement léger et plutôt joyeux. La Coupe d’Afrique des Nations, compétition phare du football africain, a commencé ce dimanche 20 décembre à Rabat, dans le magnifique stade du complexe Prince Moulay-Abdellah de Rabat, symbole des investissements faramineux dans les infrastructures sportives et culturelles au cours des dernières années par le royaume chérifien. Le pays hôte s’est imposé 2-0 face à une combative équipe des Comores.
En septembre dernier, des jeunes de la fameuse génération Z s’étaient soulevés aussi au Maroc, portant un coup à l’image très positive d’un pays qui a connu des transformations économiques, sociales, éducatives, technologiques, plutôt impressionnantes pendant les deux dernières décennies. Les jeunes manifestants, dont plusieurs dizaines furent arrêtées, jugées et condamnées à de lourdes peines de prison ferme, dénonçaient notamment l’ampleur des investissements dans les infrastructures sportives pour accueillir la Coupe d’Afrique 2025 puis la Coupe du monde de football en 2030 avec l’Espagne et le Portugal.
La Gen Z 212 dénonçait les dépenses de prestige visant à donner l’image d’un Maroc hyper moderne, flamboyant, alors que des besoins fondamentaux d’une partie de la population, les classes défavorisées dans les villes et dans les campagnes, étaient loin d’être satisfaits. Ils réclamaient plus d’investissements publics dans les hôpitaux, les centres de santé, les écoles, donc un réalignement des priorités de la part des décideurs politiques, tous soumis à l’autorité incontestée de Mohamed VI, roi du Maroc depuis juillet 1999. Comme d’habitude, l’appareil politique, administratif et sécuritaire très structuré de l’État marocain a répondu par un savant dosage d’écoute, de promesses et d’annonces de réponses aux revendications économiques et sociales d’une part et de répression policière et judiciaire de l’autre. L’heure est désormais à la fête sportive et au soutien populaire et inconditionnel aux Lions de l’Atlas, l’équipe nationale de football, demi-finaliste de la coupe du monde en 2022 et favorite pour emporter la CAN à domicile.
Dans le domaine des résultats sportifs comme dans tous les autres, les réussites solides et durables se construisent par des politiques publiques délibérées, constantes, cohérentes et pragmatiques qui accordent la plus grande importance à la formation des enfants et à des dispositifs institutionnels qui encouragent et récompensent le travail, la détermination et le talent dans ce que chacun fait. En décembre 2024, dans une chronique titrée « Investir dans les institutions de production de savoirs : quelques leçons du Maroc », j’évoquais ce qui me semble être le point fort du Maroc contemporain : la valorisation des compétences et un investissement robuste et permanent dans l’éducation, la formation, la recherche et l’innovation.
Je donnais les exemples du Policy Center for the New South, le think tank marocain le plus influent et le mieux doté, tout comme l’université Mohammed VI Polytechnique (UM6P). Ces deux institutions, et quelques autres dans le royaume, ont été et sont largement financées par une partie des profits de la plus puissante entreprise du Maroc, l’Office chérifien des phosphates (OCP), leader mondial de la production d’engrais à base de phosphate. J’avais terminé la chronique par cette interrogation : Combien de pays africains disposant de ressources naturelles de grande valeur ont su injecter systématiquement une partie des rentes générées vers le financement des institutions de production de savoirs et de conception des politiques publiques ?
Alors oui, la plupart des pays africains ont beaucoup de leçons à apprendre du Maroc. Mais les élites politiques et économiques du royaume doivent davantage répondre aux besoins des jeunes et des moins jeunes Marocains éloignés des pôles économiques régionaux les plus dynamiques qui ne voient pas leurs conditions de vie au quotidien s’améliorer significativement. La mobilisation des jeunes de la Gen Z qui n’a pas disparu aura servi d’alerte nécessaire pour réexaminer la hiérarchie des priorités nationales.
Il faudra bien profiter de la fête du football africain du 21 décembre 2025 au 18 janvier 2026 et bien sûr des retrouvailles familiales et amicales traditionnelles en fin d’année pour se changer les idées et entamer une nouvelle année avec entrain et optimisme. Au-delà de ce qui détermine pour chacune et chacun de nous les chances de considérer une année particulière comme bonne, moyenne, mauvaise ou très mauvaise, essentiellement les circonstances insondables de nos vies humaines, nous nous intéressons en tant que plateforme de réflexion collective sur l’Afrique de l’Ouest aux tendances générales, pays par pays, aux tendances régionales et aux dynamiques partout dans le monde interconnecté qui est le nôtre.
Près de la moitié des 50 chroniques de WATHI tout au long de l’année 2025 ont été consacrées à des développements sécuritaires et politiques graves ou préoccupants dans les pays du Sahel central ouest-africain, dans les pays côtiers voisins, et dans les autres régions du continent. La tentation est parfois forte, y compris pour nous, de considérer qu’il est de notre devoir de promouvoir et d’incarner un narratif africain aussi positif que possible sur le passé, le présent et les futurs possibles africains. Mais le rôle d’un think tank, même citoyen, engagé et atypique comme WATHI, est d’abord de coller autant que possible aux faits observables, aux tendances qu’ils dessinent, et de représenter un espace où la circulation des idées, des analyses et de perspectives diverses mais sérieuses, permet de proposer des pistes d’action pour augmenter la probabilité de voir advenir les meilleurs scénarios pour nos pays et pour éloigner les scénarios les plus sombres.
Notre responsabilité est de continuer à porter un regard exigeant, critique et lucide sur l’état des différents pays ouest-africains, sur la région dans son ensemble et sur ses perspectives. La dernière chronique de l’année 2024 avait pour titre « De 2024 à 2025 : passer de l’ivresse du pouvoir au pouvoir des idées ». J’y décrivais une année 2024 caractérisée par une fascination, un peu partout dans le monde, pour l’expression de la puissance, de la loi du plus fort affranchie de toute contrainte morale, que ce soit dans les pratiques politiques internes ou dans les politiques extérieures des États. La tendance ne s’est point inversée en 2025, au contraire.
Des gouvernants autoritaires, militaires comme civils, dans un nombre toujours croissant de pays ouest-africains, ont continué par leurs choix politiques d’affaiblir encore davantage les piliers de la cohésion, de la sécurité et d’une paix durable dans leurs pays respectifs et d’aggraver encore la fragmentation et les tensions au sein de la région. Ils sont accompagnés dans cette direction par une myriade de personnes qui agissent dans l’ombre pour noyer les opinions publiques africaines sous un flot continu de fausses informations, de manipulations, de tromperies de plus en plus sophistiquées. Il n’y a aucune raison de penser que les partisans de la loi du plus fort et du plus cynique, ainsi que les grandes et les petites mains de la désinformation et du mensonge, ne concourront pas à faire basculer en 2026 un, deux ou trois pays supplémentaires dans l’instabilité et l’insécurité. C’est à chacun de nous de contribuer à ce que cela n’arrive pas.
L’année qui s’achève est aussi celle de la célébration des dix ans d’activité de WATHI. Nous avons organisé un colloque en septembre sous le signe de la promotion de toutes les institutions de savoirs, think tanks, centres de recherche, universités ; puis en novembre une soirée festive sous le signe de la convivialité, de la bienveillance et de la joie de vivre africaine. Nous avons aussi publié sur nos réseaux des témoignages d’anciens et d’actuels membres de l’équipe de WATHI, qui évoquent les valeurs qui fondent notre action et qui nourrissent leurs trajectoires professionnelles et personnelles. C’est un tel bonheur de voir mes collègues plus jeunes porter en eux la curiosité, le souci du bien commun et celui du travail bien fait, une obsession à WATHI.
Alors que se termine cette année 2025, je remercie toutes ces belles âmes qui dans les quatre coins du monde, nous suivent, apprécient notre travail et nous le font savoir, nous soutiennent, et qui portent en elles les véritables bonnes raisons d’espérer des lendemains meilleurs pour notre partie du monde et pour notre monde passablement désorientés. Joyeuses fêtes et lumineuse année 2026 !
