

Aboubakar Alfa Bah et Jean françois Latyr Niane
Les Camerounais sont conviés aux urnes à la date du 12 octobre 2025 pour élire leur futur Président de la République. Le chef d’État le plus agé en exercice dans le monde se présente pour un huitième mandat consécutif. Âgé de 92 ans, le président Paul Biya est à la tête du Cameroun depuis près de 42 ans, une longévité exceptionnelle rendue possible par un système de parti dominant.
Son parti, le Rassemblement démocratique camerounais (RDC), est l’héritier de l’Union Démocratique du Cameroun (UDC), mouvement politique fondé par le premier Président du Cameroun, Ahmadou Ahidjo. Dans sa forme de gouvernance actuelle, l’État du Cameroun fonctionne de fait comme un « État-Parti ». En effet, Paul Biya et le RDPC contrôlent toutes les institutions gouvernementales, dont la commission électorale et le pouvoir judiciaire. L’élection présidentielle au Cameroun repose sur un scrutin uninominal majoritaire à un tour. Le candidat arrivé en tête est déclaré Président de la République, indépendamment de l’ampleur de son avance sur les autres candidats ou d’un score relativement faible.
En 2008, la Constitution du Cameroun est modifiée. La limite du cumul des mandats est annulée, permettant ainsi au Président Paul Biya de continuer à se présenter à l’élection présidentielle du Cameroun. En 2018, le scrutin a été vivement contesté par l’opposition menée par Maurice Kamto, arrivé deuxième derrière Paul Biya. Cette élection s’est soldée par un contentieux électoral, où le Conseil Constitutionnel a rejeté le recours introduit par Kamto demandant l’annulation du scrutin. À l’occasion, le Monde titrait, « Et à la fin, c’est encore Paul Biya qui gagne ». Dans la perspective de la présidentielle de 2025, sur les 83 dossiers de candidature déposés, seuls 12 ont définitivement été acceptés par le Conseil constitutionnel à l’issue du contentieux pré-électoral.
Une opposition à l’épreuve de l’unité
A l’approche de l’élection présidentielle du 12 octobre, 11 candidats se dressent face à Paul Biya, au pouvoir depuis 1982. Classé 140ème sur 180 pays selon l’indice de perception de la corruption de Transparency International, le Cameroun connaît une mal-gouvernance omniprésente et où l’appareil étatique est fortement verrouillé par le régime Biya. Dans ce contexte, la fragmentation de l’opposition ne joue clairement pas en faveur de ses propres acteurs. Bien au contraire, elle constitue un “suicide collectif”, comme l’affirme le journaliste Mathieu Olivier dans Jeune Afrique. Autrement dit, le morcellement flagrant des partis d’opposition corrompt leur mission initiale et vient consolider le pouvoir en place. Plusieurs tentatives de rassemblement ont vu le jour, mais aucune n’a abouti.
En 2008, la Constitution du Cameroun est modifiée. La limite du cumul des mandats est annulée, permettant ainsi au Président Paul Biya de continuer à se présenter à l’élection présidentielle du Cameroun
L’un des faits marquants de cette période pré-électorale est le rejet de la candidature du professeur Maurice Kamto, principal opposant au Président Biya, en raison du dépôt par un autre candidat d’un dossier sous la même bannière du Manidem. “La décision de m’écarter de l’élection présidentielle de 2025 a été prise de longue date par le régime du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC)“, clame le candidat banni des urnes. Cette invalidation n’a suscité aucune protestation notable, en contraste avec l’émoi soulevé récemment en Côte d’Ivoire autour de la candidature de Tidjane Thiam.
Aujourd’hui, l’opposition est principalement incarnée par deux figures originaires du Nord du Cameroun dont : Bello Bouba Maïgari et Issa Tchiroma Bakary. Leurs relations sont symptomatiques d’un clivage idéologique profond, doublé d’une rivalité personnelle que chacun tente de gérer dans le cadre d’une « retenue institutionnelle de façade ». Plus largement, on note que la désunion persistante entre opposants s’explique également par le tribalisme, facteur profondément enraciné dans le paysage camerounais.
Ce dernier mériterait une analyse socio-ethnique approfondie, tant son impact sur la sphère politique reste majeur. L’opposition camerounaise peine à s’unir et à faire front commun contre le parti au pouvoir, le RDPC. Cette incapacité à parler d’une même voix affaiblit les chances d’une alternance à la tête du Cameroun. C’est dire que, malgré un désir poignant de changement, la résignation l’emporte, nourrie par un désintérêt croissant pour la chose politique.
Un climat politico-sécuritaire latent
Longtemps perçu comme un pays relativement stable, le Cameroun est confronté depuis près de 10 ans à une crise sécuritaire qui semble largement méconnue. Cette insécurité se manifeste sur deux fronts, d’une part dans les régions anglophones du NOSO (Nord-ouest et sud-ouest) communément appelé «la crise anglophone » et d’autre part dans l’extrême Nord du pays avec la lutte contre Boko Haram.
L’un des faits marquants de cette période pré-électorale est le rejet de la candidature du professeur Maurice Kamto, principal opposant au Président Biya, en raison du dépôt d’une candidature sous la même bannière du Manidem
La crise dans la partie anglophone du Cameroun résulte de la dénonciation de « la francisation » du personnel enseignant et du système juridique. Cette dénonciation est animée par un accroissement de la frustration et un sentiment de discrimination pour les populations de cette partie du Cameroun, par rapport aux autres. En octobre 2016, une grève menée par les enseignants et avocats éclate dans le NOSO. Le régime réprima sévèrement les manifestations, coupa Internet et procéda à plusieurs arrestations.
La crise s’enlise en 2017. La situation dégénère en conflit opposant ouvertement les forces armées camerounaises, notamment la Brigade d’intervention rapide (BIR) aux groupes séparatistes. Au courant de la même année, les groupes séparatistes déclarent l’indépendance de la République d’Ambazonie. Les manifestations sont violemment réprimées ce jour, faisant une trentaine de morts tandis que les forces de maintien de l’ordre procèdent à une centaine d’arrestations.
Le Cameroun sombre alors dans la tourmente, les groupes séparatistes multiplient les attaques contre les forces de sécurité et les symboles de l’État. La crise sécuritaire dans cette partie du Cameroun eu un lourd impact sur les élections de 2018, le déroulement des campagnes et des scrutins ont été compromis. Les séparatistes ont intensifié les attaques, dont les kidnapping, et la destruction des bulletins de votes, contraignant Elecam (Election Cameroon) à réduire les bureaux de vote dans le Noso de 2300 à 74, au titre des préoccupations sécuritaires. Le jour de l’élection, une douzaine de personnes perdent la vie, illustrant la gravité de la situation en période électorale.
En 2024, soit à la veille de la nouvelle élection, la crise avait fait plus de 6 500 morts et déplacé plus de 584 000 personnes à l’intérieur du pays. Ce précédent illustre combien les élections au Cameroun sont vulnérables aux tensions sécuritaires. À l’approche de la prochaine échéance électorale, les tensions dans les régions anglophones du Cameroun planent encore et rappellent que l’insécurité pourrait avoir un impact négatif sur le processus électoral dans la partie anglophone du pays.
Dans l’extrême nord du Cameroun, Boko Haram multiplie les attaques contre les populations. L’extrême nord du Cameroun est frontalier à l’État nigérian de Borno, le lieu de naissance de Boko Haram. Ce rapprochement à faciliter l’infiltration de ce groupe sur le sol camerounais. Depuis 2013, le groupe terroriste multiplie les attaques, le vol de bétail, les enlèvements, et se sert de cette région comme zone de repli. Ces dernières années, malgré l’affaiblissement de Boko Haram, il faut tout de même noter que des attaques isolées se poursuivent et la question du vote dans cette partie du territoire se pose. En effet, cette région compte plus de 732 000 personnes en situation de déplacement forcé. Cette situation pourrait empêcher des milliers de ressortissants camerounais d’exercer leur droit de vote.
Crédit photo: APA News
Aboubakar Alfa Bah est assistant de recherche à WATHI. Il s’intéresse aux questions liées aux inégalités sociales, à la politique et à la sécurité en Afrique de l’Ouest et dans les pays du sud. Jean François Latyr Niane est diplômé de l’Institut libre d’étude des relations internationales (ILERI) en relations internationales et sciences politiques. Il poursuit actuellement un Master 2 en intelligence économique à l’École européenne d’intelligence économique (EEIE). Ses centres d’intérêt portent sur la veille stratégique, la prospective, ainsi que sur les enjeux politiques et sécuritaires au Sahel.
