

Reihaanne Adam Gado
La confiance ne se décrète pas, elle se construit. Pour nombre d’Organisations non gouvernementales (ONG) locales africaines, ce défi est devenu vital. Entre gouvernance approximative, pressions des bailleurs et exigences de conformité parfois déconnectées du terrain, leur crédibilité s’effrite. Pourtant, ces organisations restent des acteurs essentiels du développement. Restaurer cette confiance passe par une gouvernance alignée, une transparence sincère et des pratiques adaptées à leurs réalités institutionnelles et financières.
Dans de nombreux pays africains, les ONG locales peinent à consolider leur position comme acteurs crédibles du développement. Si le manque de financements constitue un défi constant, un autre phénomène plus insidieux menace leur impact : le désalignement entre leur mission initiale et les priorités des bailleurs.
En cherchant à répondre coûte que coûte aux critères des appels à projets, beaucoup d’organisations adaptent leurs activités aux attentes externes plutôt qu’à leur plan stratégique. Résultat : leurs actions deviennent dispersées, leur identité floue et leurs résultats difficilement mesurables. Cette course aux financements, sans ancrage stratégique, fragilise leur gouvernance, dilue leur vision et réduit la confiance des partenaires.
Ces difficultés récurrentes trouvent leurs racines dans des facteurs structurels, organisationnels et culturels. Beaucoup d’ONG fonctionnent sans manuels de gouvernance, de gestion financière ou de passation des marchés. Les rôles entre direction, conseil d’administration et équipe opérationnelle se confondent, générant des chevauchements et une absence de redevabilité claire. Les plans stratégiques, souvent élaborés pour répondre à une exigence administrative, ne sont pas utilisés comme outils de pilotage. Les indicateurs ne sont pas suivis, les résultats ne sont pas mesurés et les rapports produits traduisent mal la progression vers les objectifs fixés.
Si le manque de financements constitue un défi constant, un autre phénomène plus insidieux menace leur impact : le désalignement entre leur mission initiale et les priorités des bailleurs
Sous la pression de la survie financière, certaines organisations répondent à tous les appels d’offres, même hors de leur mission. Cette dispersion fragilise leur cohérence et leur réputation auprès des bailleurs. Enfin, la culture de la transparence reste faible : peu d’audits externes, de reporting irrégulier avec une communication limitée sur les résultats. L’ensemble alimente un cercle vicieux où la perte de cohérence conduit à une faible performance et à une dépendance accrue aux financements externes.
Des leviers concrets pour renforcer la gouvernance et la confiance
Rebâtir la crédibilité des ONG locales suppose de rétablir un équilibre entre stratégie, compétences et exigences de redevabilité. Quatre leviers apparaissent essentiels pour y parvenir.
Le premier consiste à recentrer la gouvernance sur le pilotage stratégique. Chaque organisation doit se concentrer sur les domaines où elle dispose d’un ancrage réel, de compétences éprouvées et d’un impact mesurable. Cette approche favorise la spécialisation des ONG et la création de réseaux sectoriels où les organisations collaborent de manière transparente.
Elle encouragera aussi les jeunes structures à se développer sous la tutelle de pairs expérimentés, facilitant ainsi la co-soumission de projets et la mutualisation des ressources. Une telle approche renforcerait la cohérence globale de l’écosystème, limiterait les dérives opportunistes et créerait un environnement plus équitable et exigeant, dans lequel les organisations les mieux structurées accéderaient plus facilement aux financements.
Le deuxième levier porte sur la formation des dirigeants. La qualité de la gouvernance dépend aussi directement des compétences de ceux qui la portent. Trop souvent, les ONG confient la gestion à des équipes engagées mais peu formées aux exigences techniques et réglementaires du secteur. Rendre la formation continue systématique pour les coordinateurs, administrateurs financiers ou présidents d’ONG est essentiel. Les thématiques clés incluent la planification stratégique, la redevabilité financière, le reporting et la gestion des risques.
Beaucoup d’ONG fonctionnent sans manuels de gouvernance, de gestion financière ou de passation des marchés. Les rôles entre direction, conseil d’administration et équipe opérationnelle se confondent, générant des chevauchements et une absence de redevabilité claire
Au-delà du renforcement individuel, l’enjeu est de créer une véritable culture d’apprentissage permanent, où chaque acteur comprend les obligations, les attentes des bailleurs et les principes de bonne gouvernance. Cette professionnalisation crée une culture d’apprentissage permanent et une gouvernance mieux outillée, gage de stabilité et de fiabilité.
Le troisième levier vise à adapter les exigences d’audit et de conformité. Le Système comptable des entités à but non lucratif (SYSCEBNL) constitue un socle essentiel de transparence et de rigueur, mais son application uniforme à toutes les ONG peut s’avérer contre-productive. Pour les petites structures, certaines obligations comme la désignation d’un commissaire aux comptes représentent un coût disproportionné. Il devient donc nécessaire d’instaurer des paliers de conformité où les obligations augmentent avec la capacité de l’organisation. Pour les organisations mobilisant moins d’un certain seuil de ressources, la soumission d’états financiers pourrait suffire ; au-delà, un audit externe complet serait exigé. Mettre en place une approche graduée, où les obligations augmentent avec la capacité de l’organisation, encouragerait une amélioration progressive plutôt qu’une contrainte décourageante.
Parallèlement, il convient de distinguer l’audit des projets, généralement exigé par les bailleurs à la fin de chaque financement, de l’audit organisationnel imposé par le SYSCEBNL. Ces deux démarches poursuivent des finalités différentes. Leur harmonisation permettrait de réduire les redondances et de renforcer la cohérence entre les exigences des bailleurs, des pouvoirs publics et des ONG. En outre, la mise en place de mécanismes d’accompagnement tels que des subventions dédiées aux audits, des dispositifs d’appui-conseil ou la mutualisation des services entre ONG pourrait transformer cette contrainte en un véritable outil de pilotage et de confiance partagée.
Enfin, il est essentiel de promouvoir un cadre de partenariat plus équitable et durable. La crédibilité et la stabilité financière des ONG locales dépendent largement de la qualité et de la prévisibilité de leurs partenariats. Les financements à court terme fragilisent leur action, tandis que l’absence de stratégie claire conduit certaines à multiplier les projets sans cohérence, au risque de s’éloigner de leur mission. Pour renforcer leur autonomie, les ONG doivent pouvoir s’appuyer sur des partenariats durables, fondés sur la confiance, la co-construction et une vision pluriannuelle.
Le premier consiste à recentrer la gouvernance sur le pilotage stratégique. Chaque organisation doit se concentrer sur les domaines où elle dispose d’un ancrage réel, de compétences éprouvées et d’un impact mesurable. Cette approche favorise la spécialisation des ONG et la création de réseaux sectoriels où les organisations collaborent de manière transparente
Ces partenariats devraient aussi encourager une diversification maîtrisée des ressources, en mobilisant à la fois des financements locaux, régionaux et internationaux, mais toujours dans le respect de la cohérence stratégique de chaque organisation. Une telle approche permettrait aux ONG de planifier à long terme, de rester fidèles à leur mission et de devenir moins vulnérables aux aléas politiques ou budgétaires des bailleurs internationaux.
Vers une transparence sincère et non simplement formelle
La transparence doit aussi être redéfinie au-delà du simple respect des normes. Elle se réduit trop souvent à une conformité apparente : rapports soignés, tableaux équilibrés, indicateurs alignés. Mais la véritable transparence ne réside pas dans la forme ; elle repose sur la fidélité de l’information. Les chiffres, résultats et récits doivent refléter sincèrement la réalité des activités menées. Cela suppose un système comptable fiable, une traçabilité des dépenses et une culture fondée sur la sincérité : reconnaître ses écarts, assumer ses limites, corriger ses pratiques.
En plaçant la sincérité au cœur de leur reporting, les ONG locales renforceront leur crédibilité, attireront des partenaires de confiance et gagneront en autonomie stratégique. Mais au-delà de cette exigence de transparence, c’est une véritable dynamique de transformation interne et systémique qu’il convient d’engager. Restaurer la crédibilité des ONG locales suppose en effet de repenser leurs modes de fonctionnement, leurs compétences et leur gouvernance.
Proches des communautés, elles portent des solutions adaptées aux besoins réels du terrain, mais leur potentiel reste souvent limité par des faiblesses structurelles et un manque de cohérence stratégique. Pour inverser cette tendance, les ONG doivent renforcer leur gouvernance, adopter une transparence sincère et s’appuyer sur un cadre de conformité proportionné, fondé sur des paliers réalistes de contrôle. Elles gagneront aussi à construire des partenariats équitables et durables, ancrés dans la confiance, la co-construction et des financements pluriannuels. De leur côté, les bailleurs et autorités publiques ont un rôle déterminant à jouer en adaptant les exigences aux capacités réelles, en harmonisant les normes d’audits, en soutenant les démarches de renforcement institutionnel et en encourageant la planification à long terme.
C’est à cette condition, avec une gouvernance lucide, une exigence adaptée, une transparence sincère, un écosystème structuré et spécialisé que les ONG locales pourront redevenir maîtresses de leur trajectoire, fidèles à leur mission et crédibles aux yeux de leurs partenaires.
Crédit photo : ongtamounte.org
Reihaanne Adam Gado est titulaire d’un Master 2 en audit et finance. Ancienne directrice administrative et financière au sein d’une organisation à but non lucratif, elle consacre aujourd’hui ses travaux et réflexions aux enjeux de gouvernance, de transparence et d’inclusion dans le secteur associatif.
