

Karen Kuntze
Le 26 juillet 2025, la chanteuse américaine de R&B Ciara a bénéficié de la loi sur le retour des Afrodescendants, promulguée le 2 septembre 2024 au Bénin, avec l’initiative « My Afro Origins » pour obtenir la nationalité béninoise. Cette loi stipule que toute personne âgée de 18 ans ou plus, pouvant prouver, par un document attestant de sa généalogie ou par un test ADN, qu’elle a pour ancêtre un ascendant africain subsaharien déporté hors du continent lors de la traite des Noirs, peut demander la nationalité béninoise moyennant des frais de 100 dollars. Le délai de traitement de la demande est de trois mois. Selon le communiqué de presse du gouvernement, c’est « un geste d’âme, un retour aux origines, une main tendue à ceux que l’Histoire, dans sa brutalité, avait arrachés à cette terre ».
Rêve d’un retour en Afrique : une idée récente ?
Le Bénin, à l’instar d’autres pays africains tels que la Sierra Leone, la Guinée-Bissau, le Gabon ou encore le Ghana, a mis en place des politiques visant à encourager le retour des Afrodescendants en Afrique. Cette idée s’inscrit toutefois dans un contexte historique plus large qui a débuté avec la création du Liberia (« terre de liberté ») au XIXe siècle, où les esclaves libres ont pu émigrer pour échapper à l’oppression vécue aux États-Unis. Le projet, porté par l’American Colonization Society (ACS), fondé par des hommes blancs aux motivations souvent ambiguës, visait à bâtir une société noire autonome en Afrique. Mais cette utopie s’est heurtée à de fortes tensions avec les populations locales, révélant dès l’origine la complexité politique et sociale de ces initiatives de retour.
Ces racines historiques ont inspiré des figures intellectuelles et politiques. Marcus Garvey, penseur jamaïcain, fondateur en 1914 de l’Universal Negro Improvement Association, appelait les Noirs à renforcer leur autonomie économique et à bâtir une nation noire en Afrique, à travers son idée « Back to Africa ». Pourtant, ce projet a échoué. Ses rêves n’ont pas abouti mais ont nourri les réflexions de leaders, comme Malcolm X et W.E.B Du Bois qui ont réaffirmé l’importance du lien entre l’Afrique et sa diaspora. Un siècle plus tard, ces débats trouvent une résonance nouvelle.
Le Ghana a proclamé 2019 comme « l’Année du retour », invitant les Afrodescendants à renouer avec leurs racines, à investir et parfois même à s’installer durablement. Le Bénin, lui, multiplie les initiatives culturelles et symboliques pour tisser ce pont avec la diaspora, à travers des programmes d’accueil et de valorisation de la mémoire de la traite des Noirs, avec la Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition (JISTNA), célébrée le 23 août 2025 et la nouvelle loi relative à la reconnaissance de la nationalité béninoise aux Afro-descendants. Dans un contexte mondial où les identités noires revendiquent davantage de reconnaissance et de dignité, l’Afrique cherche ainsi à transformer l’héritage douloureux de l’esclavage et de la colonisation en une opportunité de reconstruction collective.
Le rôle crucial des afrodescendants américains dans les dynamiques diasporiques contemporaines
D’après le rapport de la banque mondiale Harnessing Diaspora Resources for Africa (2011), la diaspora africaine compte plus de 60 millions de personnes dans le monde, dont près de 39 millions rien qu’aux États-Unis. Ce groupe distinct également appelé « Afrodescendants » est l’héritier direct de la traite négrière transatlantique. Le déracinement, l’esclavage et la déculturation ont brisé une partie des liens culturels directs avec l’Afrique. Pourtant, depuis le XIXe siècle, le panafricanisme, mouvement intellectuel et politique, cherche à surmonter la dispersion de la diaspora africaine et de rétablir un sentiment de fierté pour le passé et les valeurs africaines.
« Ces politiques de « diaspora destination marketing » relèvent d’une forme de « soft power ». L’approche combine mesures juridiques (octroi de citoyenneté, facilités de séjour, droit au retour), opportunités économiques (investissements, entrepreneuriat), mais aussi leviers culturels et émotionnels. L’enjeu est clair : créer un sentiment d’appartenance et permettre à ces populations de renouer avec leurs racines. »
Leur but est de viser les sentiments et émotions de ce groupe, en créant un sentiment d’appartenance et en permettant à ces populations de se réapproprier leurs racines. Ce retour symbolique et concret en Afrique est aussi alimenté par des réalités contemporaines. Comme l’a rappelé une émission de la Deutsche Welle « The 77 Percent » de la Deutsche Welle consacrée au Ghana, l’une des raisons poussant les participants à quitter les États-Unis était le racisme vécu dans ce pays, surtout avec l’arrivée de Donald Trump au pouvoir.
Ces politiques de « diaspora destination marketing » relèvent d’une forme de « soft power ». L’approche combine mesures juridiques (octroi de citoyenneté, facilités de séjour, droit au retour), opportunités économiques (investissements, entrepreneuriat), mais aussi leviers culturels et émotionnels. L’enjeu est clair : créer un sentiment d’appartenance et permettre à ces populations de renouer avec leurs racines
L’Année du retour 2019 au Ghana : une initiative mémorielle et symbolique
Une des politiques les plus ambitieuses dans ce cadre est le « Year of Return » 2019 au Ghana, succédé par le projet « Beyond the Return », prévu pour une période de 10 ans, de 2020 à 2030. L’année 2019 n’avait pas été choisie au hasard, elle marquait les 400 ans de l’arrivée documentée des premiers Africains réduits en esclavage en Virginie, en 1619, à Jamestown.
C’est le seul partenariat public-privé organisé à l’échelle nationale par un pays africain pour commémorer le quatre-centième anniversaire de l’arrivée des Africains aux États-Unis. Le Ghana cible précisément les afrodescendants au regard des relations privilégiées qu’il entretient avec les Afro-Américains depuis son indépendance. Des figures majeures comme W.E.B. Du Bois, intellectuel et militant panafricaniste, et Maya Angelou, avaient déjà choisi le Ghana comme terre d’accueil et symbole de retour aux racines.
Une première initiative légale au Ghana était « Right to Abode Act » de 2000. Il accorde aux personnes d’ascendance africaine et à la diaspora des droits illimités de voyager, travailler et résider dans le pays. Et dès 1993, le Ministère du Tourisme a été rebaptisé Ministère du Tourisme et des Relations avec la Diaspora, signe de la volonté politique de faire de la diaspora un acteur du développement national.
L’initiative du « Year of Return » a donné lieu à 130 événements, rassemblant des célébrités telles que les chanteurs et acteurs Akon, Samuel L. Jackson, Idris Elba et Naomi Campbell. Le Ghana a connu une augmentation de 27% du nombre de visiteurs internationaux par rapport à l’année précédente, générant environ 3,3 milliards de dollars de recettes. De plus, 126 nationalités afro-américaines ont obtenu la citoyenneté ghanéenne, et cinq cents acres de terre ont été réservés pour environ 1 500 familles de rapatriés. L’Année de retour a montré qu’au-delà du tourisme mémoriel, le retour symbolique pouvait devenir un levier de développement, de diplomatie culturelle et de soft power africain.
Fin 2024, lors d’une interview à la radio, le directeur général de l’Autorité du tourisme du Ghana, Akwasi Agyeman, a qualifié cette initiative de véritable succès. « Nous avons utilisé nos sites touristiques comme un outil pour reconnecter la famille africaine mondiale. Il existe une population croissante d’Afro-Américains et de Caribéens qui dépensent beaucoup d’argent dans les voyages et le tourisme. Ils se rendaient souvent à Disney, en France et dans d’autres endroits, mais le lien avec leur pays d’origine n’était pas très fort. Cette initiative a permis de créer ce lien. », a-t-il proclamé.
En comparaison avec les projets d’autres pays comme le Bénin, les afrodescendants demandant la nationalité ghanéenne ne sont pas tenus de prouver leur connexion avec le pays par un test génétique, ce qui souligne l’approche panafricaniste du Ghana. Par ailleurs, en plus de la coopération économique qui est encouragée dans tous les pays qui mènent de tels projets, le Ghana ajoute un aspect spirituel et historique en liant la politique à l’année 1619.
L’année de retour a montré qu’au-delà du tourisme mémoriel, le retour symbolique pouvait devenir un levier de développement, de diplomatie culturelle et de soft power africain
Les enjeux liés à l’intégration
Si l’ Année du retour a été saluée comme une réussite, elle a aussi révélé des tensions et contradictions profondes. L’arrivée des Afrodescendants, souvent mieux dotés financièrement que la population locale, entraîne une hausse des prix et des disparités économiques. Là où certains ghanéens souhaitent quitter le pays en raison des difficultés économiques et du manque d’opportunités, les Afro-Américains, eux, arrivent avec des capitaux, des projets d’affaires et des ambitions académiques.
Ce contraste nourrit parfois un sentiment d’injustice, relevé dans l’émission « 77 Percent » de la Deutsche Welle. Sur le plan mémoriel, l’utilisation de l’année 1619 pourrait aussi être perçue comme une instrumentalisation de cet événement à des fins économiques au risque de marginaliser d’autres épisodes de la traite des Noirs, plus anciens et tout aussi significatifs.
Toutefois, les tensions les plus vives concernent la question foncière. Des litiges éclatent régulièrement entre communautés locales et projets de rapatriement. Certains agriculteurs ont vu leurs terres vendues sans leur consentement, sans aucune compensation financière. En octobre 2023, une injonction de la Haute Cour a ordonné la suspension des travaux de construction sur les 123 acres appartenant à la famille Akoa Anona. Malgré cela, l’injonction n’a jamais été appliquée, et la construction du Pan-Africa Village s’est poursuivie. Ce n’est pas le premier conflit de ce genre : à l’est du Ghana se trouve Fihankra, une colonie de 200 acres créée dans les années 1990 pour accueillir les Afro-Américains. Les tensions ont tourné au drame en 2015, lorsqu’un groupe d’assaillants a assassiné deux femmes afro-américaines.
Si l’année du retour a été saluée comme une réussite, elle a aussi révélé des tensions et contradictions profondes. L’arrivée des Afrodescendants, souvent mieux dotés financièrement que la population locale, entraîne une hausse des prix et des disparités économiques. Là où certains Ghanéens souhaitent quitter le pays en raison des difficultés économiques et du manque d’opportunités, les Afro-Américains, eux, arrivent avec des capitaux, des projets d’affaires et des ambitions académiques
Gorée : et si l’île devenait la porte du retour ?
Le Sénégal, avec son histoire singulière et ses lieux de mémoire universellement reconnus, comme l’île de Gorée, symbole mondial de la traite des Noirs, possède tous les atouts pour devenir un acteur majeur de cette dynamique panafricaine. En s’inspirant de l’expérience ghanéenne, Dakar pourrait concevoir des politiques ambitieuses de « diaspora destination marketing » afin de renforcer ses liens avec les Afrodescendants, qu’ils soient aux États-Unis, en Amérique latine ou dans les Caraïbes. Ce type de stratégie pourrait non seulement favoriser des retombées économiques et culturelles, mais aussi consolider l’image du Sénégal comme terre d’accueil, de mémoire et de renaissance africaine.
Depuis des décennies, Gorée est visitée par des personnalités politiques, spirituelles et culturelles qui y voient un lieu de recueillement et d’hommage. Des figures comme Nelson Mandela, Barack Obama ou encore le pape Jean-Paul II ont fait le déplacement, conférant à l’île une aura universelle. Pourtant, ce capital symbolique reste sous-exploité sur le plan stratégique. Aujourd’hui, l’île de Gorée est surtout perçue comme un lieu touristique de mémoire, où les visiteurs viennent se confronter à l’histoire de l’esclavage. Mais, elle pourrait devenir un pilier d’une diplomatie culturelle et économique plus ambitieuse. L’enjeu n’est pas seulement de rappeler le passé, mais de transformer ce passé en tremplin pour l’avenir, en bâtissant des passerelles entre le Sénégal et les diasporas afrodescendantes dispersées à travers le monde.
Crédit photo : Music in Africa
Karen Kuntze est étudiante en quatrième année de Gouvernance internationale et européenne à Sciences Po Lille et à l’Université de Münster. Elle s’intéresse également aux dynamiques institutionnelles dans la région du Sahel. Actuellement, elle effectue un stage au sein du think tank WATHI.
