

Aicha Fall
Depuis l’élection de Bassirou Diomaye Faye en avril 2024, le Sénégal réorganise ses rapports économiques avec le monde en mettant en avant des priorités combinant transformation productive, sécurisation des ressources et attractivité des investissements. La diplomatie économique se déploie à travers un ensemble d’acteurs et d’instruments qui définissent la capacité du pays à se positionner dans les réseaux régionaux et globaux.
Les ministères en charge de l’économie et du commerce, les agences publiques d’investissement, les opérateurs privés, les banques multilatérales et les think tanks nationaux et régionaux constituent la cartographie de l’action économique internationale. Ces composantes interagissent dans un contexte où l’état des lieux macroéconomique révèle à la fois un dynamisme attendu et des contraintes structurelles. La Direction de la prévision et des études économiques (DPEE) prévoit pour 2025 une croissance de 8 % et un déficit budgétaire de 7,8 % du Produit intérieur brut (PIB), tout en soulignant les besoins d’investissement dans les infrastructures, l’énergie, l’agriculture et le numérique. La Loi de Finances initiale 2025 confirme l’ampleur de ces engagements et la répartition des ressources publiques.
Dans ce contexte, la diplomatie économique sénégalaise se caractérise par l’articulation simultanée de la continuité et des ajustements. Elle prolonge les stratégies antérieures d’attraction de capitaux et de renforcement des grands projets structurants tout en intégrant des réponses aux contraintes de soutenabilité budgétaire et aux exigences de transformation locale. Les priorités annoncées par l’administration Faye combinent croissance, diversification des partenariats et consolidation des capacités nationales dans un espace où l’État, les partenaires internationaux et les opérateurs privés interagissent dans une configuration complexe et interdépendante.
Cette articulation entre acteurs et objectifs, entre continuités héritées et ajustements nouveaux, définit le cadre dans lequel s’inscrit la diplomatie économique contemporaine du Sénégal. Elle permet de saisir la structure et les dynamiques en jeu sans recourir à un jugement de valeur, en s’appuyant sur des données vérifiables et sur les documents officiels qui matérialisent les orientations stratégiques et les engagements financiers de l’État.
Héritages et lignes de force
Avant l’arrivée de Bassirou Diomaye Faye à la magistrature suprême, la diplomatie économique du Sénégal s’inscrivait dans un cadre solidement structuré, où l’État assumait un rôle d’intermédiaire actif entre la sphère politique et les investisseurs internationaux. Ce positionnement s’appuyait sur le Plan Sénégal émergent (PSE), adopté en 2014, qui visait à transformer le pays en un pôle d’attraction pour les capitaux, tout en consolidant les partenariats bilatéraux et multilatéraux.
Les rapports conjoints de la Banque mondiale et du FMI entre 2018 et 2023 soulignent la constance de la croissance sénégalaise, en moyenne autour de 5 % par an, malgré les perturbations liées à la pandémie. Les flux d’investissements directs étrangers se sont maintenus à un niveau soutenu, portés par les projets énergétiques, miniers et d’infrastructures. Le FMI, dans sa revue de l’article IV publiée en décembre 2023, relevait la solidité relative du cadre macroéconomique et la crédibilité de la politique budgétaire, tout en notant la nécessité d’un approfondissement industriel et d’une meilleure intégration régionale.
Cette phase s’est traduite par un renforcement de la présence du Sénégal sur la scène africaine et internationale. Sous Macky Sall, la diplomatie économique reposait sur une logique de visibilité et de participation aux forums multilatéraux. Les relations avec les institutions financières internationales, notamment la Banque africaine de développement (BAD) et la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), ont servi de socle à la mobilisation de ressources destinées aux infrastructures, à l’énergie et aux transports. À l’échelle régionale, le pays a consolidé son rôle de pivot au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), en se positionnant comme interface entre l’Afrique de l’Ouest et les investisseurs mondiaux.
Les échanges bilatéraux ont également été soutenus par une diplomatie de terrain. Entre 2019 et 2023, les visites officielles de Macky Sall au Qatar, en Arabie saoudite, en Chine et en France avaient pour objectif de consolider des partenariats énergétiques et industriels. La coopération avec Pékin a conduit à plusieurs accords dans les infrastructures et les télécommunications, tandis que les échanges avec Ankara ont débouché sur des contrats dans le secteur du bâtiment et de la logistique. Ces déplacements visaient à inscrire le Sénégal dans des réseaux économiques diversifiés, capables de limiter la dépendance vis-à-vis d’un nombre restreint de partenaires.
La Banque mondiale et la BAD ont décrit cette période comme celle d’un volontarisme économique affirmé, marqué par une accumulation de grands projets structurants. L’aéroport international Blaise-Diagne, la modernisation du port de Dakar et le développement du Train Express Régional (région de Dakar) s’inscrivent dans cette trajectoire. Ces projets symbolisent la manière dont l’État a mobilisé la diplomatie pour attirer financements et expertises tout en consolidant son image de stabilité politique et de sécurité juridique.
Sous Macky Sall, la diplomatie économique reposait sur une logique de visibilité et de participation aux forums multilatéraux. Les relations avec les institutions financières internationales, notamment la Banque africaine de développement (BAD) et la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), ont servi de socle à la mobilisation de ressources destinées aux infrastructures, à l’énergie et aux transports
Cependant, cette phase préparatoire comportait aussi des limites clairement identifiées par les institutions régionales. Le rapport de la BCEAO sur la compétitivité 2023 souligne la persistance d’un déficit industriel, la concentration des exportations sur un nombre restreint de produits primaires et une faible capacité d’intégration des chaînes de valeur régionales. L’UEMOA et la Commission économique pour l’Afrique mettaient de leur côté en avant la nécessité d’une montée en gamme de la production locale et d’une diplomatie commerciale plus tournée vers la valorisation des ressources nationales.
Ainsi, à la veille de l’alternance de 2024, le Sénégal présentait un profil de diplomatie économique bien établi, efficace dans la mobilisation des partenaires et la sécurisation de financements extérieurs, mais encore limité dans la transformation de son appareil productif. Cet héritage, porteur de résultats tangibles mais aussi de fragilités structurelles, constitue le socle à partir duquel la nouvelle administration a entrepris de redéfinir ses priorités économiques et diplomatiques.
Entre audit, diversification et refonte : les marqueurs de rupture
L’élection de Bassirou Diomaye Faye en avril 2024 a ouvert une séquence politique inédite dans laquelle la diplomatie économique s’impose comme un instrument central de la réorientation stratégique de l’État. Cette inflexion ne constitue pas une rupture brutale mais une recomposition des priorités et des canaux de négociation, où l’objectif affiché est d’articuler souveraineté, attractivité et efficacité.
Dès les premières semaines de son mandat, le président a défini un agenda économique structuré autour de trois orientations : la consolidation de la transparence dans les secteurs extractifs, la diversification des partenaires internationaux et la révision des cadres d’investissement. L’audit des filières pétrolière, gazière et minière annoncé au printemps 2024 a symbolisé la volonté de renforcer le contrôle public sur des secteurs stratégiques dont les retombées économiques restent déterminantes pour les équilibres macroéconomiques du pays. Cette démarche s’inscrit dans un contexte où les institutions financières internationales, notamment le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, insistaient sur la nécessité de préserver la soutenabilité budgétaire à mesure que les premiers revenus du gaz et du pétrole se matérialisent.
Ainsi, à la veille de l’alternance de 2024, le Sénégal présentait un profil de diplomatie économique bien établi, efficace dans la mobilisation des partenaires et la sécurisation de financements extérieurs, mais encore limité dans la transformation de son appareil productif
La politique économique de l’administration Faye repose également sur une redéfinition de la place du Sénégal dans les alliances économiques régionales et globales. Les déplacements présidentiels témoignent d’une intensification de la diplomatie économique bilatérale et multilatérale. En septembre 2024, le président a participé à Pékin au Forum sur la coopération sino-africaine où il a défendu l’idée d’une coopération plus équilibrée et d’un transfert accru de technologies dans les projets d’infrastructures.
En octobre 2024, il s’est rendu à Riyad pour la huitième édition du Future Investment Initiative, plaidant pour une diversification des investissements dans l’énergie renouvelable, le numérique et l’agro-industrie. Ces visites successives ont servi à réaffirmer la place du Sénégal comme plateforme économique stable dans un environnement régional marqué par les tensions politiques et les réorientations commerciales au sein de la CEDEAO.
Le choix des destinations n’est pas fortuit. Les déplacements à Istanbul et à Doha à la fin de 2024 ont mis l’accent sur la consolidation des partenariats avec des pays qui combinent capacités financières et appétit pour les marchés africains émergents. En Turquie, le forum bilatéral sur l’investissement a donné lieu à des échanges sur la logistique portuaire et la transformation agro-alimentaire, deux domaines identifiés comme leviers de croissance inclusive. À Doha et à Abou Dhabi, les discussions ont porté sur la coopération dans la formation professionnelle, l’agriculture durable et les infrastructures numériques. Ces séquences diplomatiques révèlent une stratégie de présence ciblée fondée sur la complémentarité plutôt que sur la dépendance.
Sur le plan interne, cette diplomatie économique s’accompagne d’une révision des instruments institutionnels. La refonte du code des investissements, du code minier et du code fiscal engagée à partir de décembre 2024 vise à instaurer un cadre plus lisible pour les partenaires extérieurs tout en renforçant les exigences de contenu local. La création d’un guichet unique pour les investisseurs étrangers, annoncé au premier semestre 2025, illustre la volonté de rationaliser les circuits de décision et d’accélérer les procédures administratives. Le ministère de l’Économie a par ailleurs lancé une révision des partenariats publics-privés afin de renforcer la part des entreprises nationales dans les grands chantiers.
Dès les premières semaines de son mandat, le président a défini un agenda économique structuré autour de trois orientations : la consolidation de la transparence dans les secteurs extractifs, la diversification des partenaires internationaux et la révision des cadres d’investissement
Le positionnement international du Sénégal s’inscrit également dans une dynamique régionale. Le pays a réaffirmé son engagement au sein de l’UEMOA, notamment sur les questions de stabilité monétaire et de coordination budgétaire, tout en plaidant pour une plus grande intégration économique dans la zone. Au sein de l’Union africaine, Dakar soutient l’accélération de la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), considérée comme un vecteur de diversification des marchés d’exportation et d’opportunités d’investissement pour les entreprises sénégalaises.
Les orientations de la politique étrangère économique se lisent aussi à travers les forums tenus sur le territoire national. La deuxième édition du Forum Invest in Sénégal, organisée à Diamniadio en octobre 2025, a mis en avant les nouvelles priorités gouvernementales : industrialisation, économie verte, économie bleue et transition numérique. Les documents budgétaires et macroéconomiques de la DPEE et du ministère de l’Économie confirment ces axes, soulignant que la croissance projetée pour 2025, estimée à 8 %, repose sur la combinaison entre investissements directs étrangers, relance du secteur privé national et démarrage de la production d’hydrocarbures.
Cette diplomatie économique de nouvelle génération se distingue par sa tentative de concilier ouverture et consolidation interne. Elle privilégie une logique d’interdépendance maîtrisée plutôt qu’un repli souverainiste, tout en cherchant à renforcer la capacité de négociation du Sénégal dans les enceintes internationales. Les ajustements institutionnels et les signaux envoyés aux partenaires traduisent une volonté de continuité dans la stabilité, mais de rupture dans les méthodes et les priorités.
Entre legs et césure : une trajectoire nuancée
Avant son accession à la présidence en avril 2024, Bassirou Diomaye Faye était perçu comme une figure susceptible d’introduire des inflexions dans la gouvernance économique du pays. Son association avec Ousmane Sonko et son positionnement sur des thématiques panafricanistes avaient contribué à l’image d’un président incarnant une rupture avec certaines logiques traditionnelles de partenariat, en particulier celles perçues comme issues de relations néocoloniales. La question de la monnaie, notamment le Franc CFA, constituait un symbole fort de cette posture. Avant sa prise de fonction, il déclarait qu’une souveraineté réelle supposait une souveraineté monétaire et évoquait la nécessité de repenser l’arrimage à l’euro.
La deuxième édition du Forum Invest in Sénégal, organisée à Diamniadio en octobre 2025, a mis en avant les nouvelles priorités gouvernementales : industrialisation, économie verte, économie bleue et transition numérique
Depuis son arrivée au pouvoir, cette rupture se traduit par des mesures et orientations concrètes. L’audit des secteurs stratégiques, la diversification des partenaires internationaux et la réforme du cadre d’investissement illustrent une volonté de rationaliser et de sécuriser la gestion des ressources tout en orientant la diplomatie économique vers des secteurs jugés prioritaires comme l’énergie verte, l’agro-industrie, la transformation et le numérique. Les visites officielles en Asie, au Golfe et en Turquie ont permis de consolider ces approches et de présenter le Sénégal comme un partenaire attractif capable de dialogue équilibré avec différents acteurs internationaux.
Cependant, cette ambition de rupture se heurte à des contraintes structurelles profondément ancrées. L’économie sénégalaise demeure fortement intégrée à la zone UEMOA, les projets d’infrastructures hérités des mandats précédents mobilisent des financements significatifs et le pays conserve une dépendance à l’égard des institutions financières internationales et des flux d’investissements extérieurs. Ces éléments limitent la capacité à transformer radicalement les orientations de politique économique et imposent une continuité implicite dans la gestion des engagements passés.
La diplomatie économique du Sénégal depuis 2024 se caractérise par un équilibre entre continuité et inflexion. Elle combine une ouverture soutenue aux investisseurs et partenaires internationaux avec une attention accrue à la souveraineté et à la transformation locale. Les choix stratégiques de l’administration Faye traduisent la tentative de transformer l’image symbolique de rupture en résultats tangibles, tout en naviguant dans un environnement où l’héritage économique et institutionnel reste déterminant pour les marges de manœuvre.
Ainsi, la trajectoire de la diplomatie économique sénégalaise ne se réduit pas à un simple retour à l’ancien modèle ni à une remise à zéro radicale. Elle se déploie dans une zone grise de transition, entre continuité structurelle et inflexion stratégique. L’issue dépendra de la capacité de l’État à donner corps à ses engagements dans un environnement global incertain, tout en maîtrisant les effets de l’héritage économique et monétaire.
Crédit photo : dakaractu.com
Journaliste économique et financière, Aicha Fall œuvre aujourd’hui au sein de WATHI comme chargée de recherche en économie, statistiques et finance. Son travail porte sur l’analyse des politiques économiques et des dynamiques financières. De Polytechnique Insights à Parlons Finance, en passant par Certifive, Seneweb, Afrique XXI, Décideurs Magazine et Le Parisien Matin, elle s’est forgée une solide expérience dans la compréhension et la mise en perspective des enjeux macroéconomiques.

3 Commentaires. En écrire un nouveau
Bravo chère Die Aïcha Fall,
Tous mes encouragements et félicitations sincères. Clair précis et net.
Tonton Mamoudou FATY
Bravo aicha : j’adore te lire car tu restes factuelle et ton récit est porteur de sens et de compréhension des faits
Bonne continuation
Très bel article bien fouillé à l’écriture très facilement consommable. Félicitation à WATHI pour ces analyses très pertinentes. Bonne continuation à cette journaliste. Il y’a des motifs à ne pas se décourager, surtout quand on voit le niveau de nos journalistes qui ne parlent que de politiques politicienne et très souvent de manière superficielle.