

Auteurs: Rosa Mahdjoub, Alain Mingat & Adeleine Seurat
Site de publication : Confemen
Type de publication : Document technique
Date de publication : Décembre 2022
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Le développement des enfants entre 0 et 6 ans
La période entre la naissance et l’âge de 6 ans est cruciale pour le développement physique, cognitif, social et émotionnel de l’enfant. Les soins et l’encadrement durant cette période auront des effets puissants, visibles d’abord dans la scolarité puis à l’âge adulte. Il s’agit d’un moment spécialement opportun pour l’acquisition de certaines compétences qui auront un impact dans la vie des individus. Si ces fenêtres d’opportunité ne sont pas utilisées, l’acquisition de ces compétences deviendra plus difficile et sera souvent incomplète.
Ces fenêtres d’opportunité sont spécialement importantes, car le cerveau se développe tout particulièrement au cours de cette période. À sa naissance, un enfant a environ 100 milliards de neurones (c’est sa base génétique). La plupart de ces cellules ne sont pas encore liées et ne peuvent pas fonctionner toutes seules. En l’absence de stimuli appropriés, ces neurones disparaissent ; leur stimulation, au contraire, via les expériences auxquelles l’enfant est confronté (le rôle de l’environnement), va contribuer à leur organisation en réseaux (synapses) qui vont se renforcer et permettre au cerveau de mieux fonctionner et de véritablement construire la base de ce que sera l’être humain. À 6 ans, le cerveau de l’enfant a atteint environ 90 % du développement qu’il aura à l’âge adulte.
Au cours de la période allant de la naissance à 3 ou 4 ans, le milieu familial est crucial, car c’est là que l’enfant va construire à la fois sa capacité à apprendre et à contrôler ses émotions, son sentiment de bien-être favorisant le développement de son cerveau. C’est aussi au cours de cette période de sa vie que l’enfant va construire les bases de ses capacités langagières, spatiales et psychomotrices.
Ces capacités vont se développer bien sûr sur un temps plus long mais les bases sont fondamentales et un milieu familial stable et stimulant est indispensable. Cela dit, la primauté du rôle de la famille ne signifie pas que des interventions publiques sont inutiles. Au contraire, elles le sont sur un double registre :
- la complémentarité pour les domaines dans lesquels il y a une dimension technique spécifique (enregistrement des naissances, santé néonatale, suivi sanitaire de l’enfant, y compris la vaccination, enfants ayant des besoins spécifiques…) ;
- la substitution lorsque la famille pourrait être pour partie défaillante.
Couverture du préscolaire et disparités sociales
Une convention pour évaluer la couverture scolaire est d’utiliser le taux brut de scolarisation (TBS). On connaît les limites de cet indicateur, aujourd’hui largement remplacé par une approche fondée sur l’estimation des profils de scolarisation. De fait, les problèmes attachés à l’usage du TBS sont renforcés lorsqu’il s’agit du préscolaire.
Les limites de l’usage du TBS au préscolaire
La question n’est pas ici celle des redoublements et des abandons comme dans les cycles scolaires. De fait, la notion même de cycle au préscolaire est floue. Tous les pays n’ont pas officiellement une même durée de cycle (ce qui serait gérable), mais surtout un certain nombre de pays a, à un même moment, plusieurs formules dont les durées peuvent être différentes. En outre, la notion de début et de fin de cycle, si elle est identifiable formellement, est, contrairement aux cycles scolaires, compatible avec des entrées après le début du cycle et/ ou des sorties avant sa fin.
Dans la majorité des pays, avec un cycle dont la durée officielle serait de trois ans, il n’est pas rare que des enfants accèdent au préscolaire en 2e année, et que d’autres en sortent pour entrer au primaire sans avoir fait la dernière année du cycle. Ainsi, la durée variable des formules et les comportements familiaux opportunistes par rapport au préscolaire font perdre au TBS tant son intégrité conceptuelle que son intérêt pour penser la politique éducative.
Les données publiées par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) sur la couverture du préscolaire sont limitées au TBS. Le recours à des analyses secondaires d’enquêtes auprès des ménages a toutefois permis de documenter la proportion des entrants en primaire qui ont bénéficié d’une forme ou d’une autre de préscolaire dans 21 des 25 pays cibles.
S’il y a bien une relation statistique entre le TBS et la proportion des entrants en primaire, on constate sans surprise que la proportion des entrants en primaire avec préscolarisation est toujours supérieure au TBS, et que l’écart entre les deux statistiques est très différent d’un pays à l’autre. En moyenne pour les 25 pays, le TBS est de 29 %, alors que la proportion des entrants en primaire qui ont bénéficié d’une préscolarisation est de 39 %.
Les différences selon le genre sont globalement très faibles, les filles manifestant un petit avantage sur les garçons, respectivement 33,5 % et 32,9 %. Ce n’est pas le cas du milieu de résidence, avec des chances moindres d’accès au préscolaire chez les enfants ruraux que chez les urbains.
Ainsi, sur l’ensemble des pays, la valeur moyenne pour l’accès au préscolaire est de 47 % pour les urbains et de seulement 24 % pour les ruraux (soit près de deux fois moins). Mais il faut noter des situations très différenciées entre pays, les disparités selon le milieu de résidence étant spécialement fortes au Burkina Faso, au Burundi, en Mauritanie, en RDC ou au Tchad, et beaucoup plus modérées en Gambie, au Ghana, en Guinée-Bissau, au Libéria, au Nigéria, à Sao Tomé-et-Principe ou au Togo.
Des différenciations selon les modes d’organisation des structures préscolaires
la rémunération des enseignants du préscolaire est estimée à 4,8 fois le PIB par habitant au Burkina Faso (très au dessus du point de référence dans le groupe des 25 pays qui est de 3 fois le PIB par habitant), alors que le chiffre constaté pour la Sierra Leone ne représente que 2,1 fois son PIB par habitant. Si ces deux pays se situent plus ou moins au même niveau de développement, il est a priori plus facile de financer une extension quantitative du préscolaire pour la Sierra Leone que pour le Burkina Faso. Pour les mêmes raisons, les possibilités sont meilleures pour le Ghana que pour la Côte d’Ivoire, pour le Bénin que pour le Mali.
Outre le rapport élèves-enseignant et la rémunération des enseignants, qui sont des caractéristiques fortes des services préscolaires des différents pays (elles permettent aussi de rendre compte d’une part substantielle de la dépense par élève), il est intéressant d’examiner les dépenses pour les consommables et les petits matériels pour les élèves. Ce n’est pas parce que ce poste représente une forte proportion des dépenses publiques pour le préscolaire ; c’est parce que la disponibilité de ces items joue un rôle crucial au préscolaire, en relation avec son approche pédagogique spécifique qui implique que les élèves manipulent pour apprendre.
Des variations dans les contenus transmis et les approches pédagogiques
Un premier résultat global concerne l’existence d’une très forte diversité sur ces plans, pour partie entre les pays, entre les différentes formules au sein de chacun des pays, et également entre les écoles d’une même formule dans un même pays. Parmi les pays étudiés, il est difficile de reconnaître des principes structurants et appliqués. Alors que le primaire est souvent considéré comme peu normé, le préscolaire semble l’être encore beaucoup moins.
Le premier aspect sur lequel une variabilité existe concerne la langue utilisée au préscolaire. Dans la plupart des pays, la langue qui sera utilisée (fût-ce de façon progressive) dans le primaire est une langue – l’anglais, le français ou le portugais – qui n’est pas la langue maternelle de la grande majorité des enfants (sachant en outre qu’un certain nombre de pays sont caractérisés par une pluralité sur ce dernier plan). Il y a certes une communauté de vues pour que, d’une part, la langue maternelle soit pour partie utilisée au préscolaire et que, d’autre part, la langue du primaire soit aussi introduite.
Mais sur cette base commune, le poids donné à ces deux perspectives peut varier considérablement. Dans certains cas, la langue du primaire n’est introduite que de façon homéopathique, alors que dans d’autres, on mise principalement sur la langue utilisée dans le primaire. Les pays font à cet égard des choix différents, sachant qu’à l’intérieur des pays, les structures privées choisissent souvent de cibler fortement la langue utilisée dans le primaire.
L’incidence du préscolaire sur les résultats constatés en début de cycle primaire
Les élèves qui ont bénéficié d’une préparation préscolaire ont tendance à redoubler moins en début de cycle primaire mais la différence n’est pas conséquente puisque, sur les 14 pays, la moyenne de la statistique utilisée est de 0,33 pour ceux qui ont été préscolarisés, contre 0,36 pour ceux qui ne l’ont pas été. En outre, on note que les élèves préscolarisés dans le public redoublent davantage (0,38) que ceux qui n’ont pas été préscolarisés (0,33). L’écart (0,05) n’est certes pas considérable, mais il se vérifie dans près de la moitié des pays.
Les redoublements au début de primaire sont en revanche notablement plus faibles chez les élèves qui ont fréquenté le préscolaire privé (0,25), cet avantage se retrouvant dans la grande majorité des pays. Il ne faut pas pour autant tirer des conclusions hâtives sur la valeur du préscolaire privé, car les enfants qui l’ont fréquenté sont, d’une part, issus en moyenne de milieux plus favorisés et, d’autre part, plus susceptibles de suivre une scolarité primaire dans le privé (où les redoublements sont de façon générale moins fréquents que dans le public).
L’encadrement des élèves
Une autre caractéristique est l’intensité avec laquelle les enseignants sont utilisés. Un premier aspect de cette intensité est la durée d’exercice sur l’année, avec des chiffres de 530 heures en RDC ou au Sénégal et de 790 en République du Congo ; nous avons indiqué qu’une durée annuelle de l’ordre de 600 à 650 heures (sur deux années) était appropriée pour une bonne préparation au cycle primaire. Mais un autre aspect de l’intensité du travail de l’enseignant doit aussi intégrer le fait qu’il encadre en moyenne 17 élèves au Burkina Faso, 28 élèves au Togo, 37 au Libéria ou 48 en Gambie.
Certes, il ne fait pas de doute que le coût unitaire du préscolaire est, toutes choses égales par ailleurs, inférieur lorsque le rapport élèves-enseignant est de 40 plutôt que de 20 (on peut ainsi assurer une couverture plus large du préscolaire pour un même budget dans le premier pays que dans le second). Mais on peut nourrir une inquiétude légitime quant à l’idée que la qualité des services préscolaires pourrait être moindre avec 40 élèves dans la classe plutôt qu’avec 20 élèves. Avec des effets intenses sur la quantité et des effets éventuellement négatifs sur la qualité, le choix du rapport élèves-enseignant est crucial pour la politique éducative du préscolaire.
Langues, contenus, approches pédagogiques et gouvernance
En complément à l’usage des langues et des apprentissages langagiers, les contenus ciblés dans les programmes proposés aux élèves du préscolaire doivent aussi être soigneusement considérés. De façon générique, les contenus au préscolaire tournent autour de deux grands pôles : la socialisation de l’enfant et la construction de connaissances et compétences plus formelles, notamment dans la perspective du cycle primaire.
L’interprétation de ce deuxième bloc peut se structurer entre, d’une part, des apprentissages (pré-lecture, pré-numération, écriture et graphisme) proches de ceux qui seront construits au début du cycle primaire et, d’autre part, des apprentissages cognitifs plus généraux, qui pourront être mobilisés en début de cycle primaire Ces types de contenus sont visés dans les 12 pays dans lesquels des analyses ont pu être menées, mais cela est sans doute plus largement valable pour les 25 pays.
