

Organisations : NRC, UNHCR, UNICEF
Site de publication : Reliefweb
Type de publication : Analyse
Date de publication : Janvier 2025
Contexte
Cette analyse s’inscrit dans un contexte de crise profonde au Sahel central, une région englobant le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Depuis plusieurs années, cette zone est confrontée à une insécurité croissante, à des déplacements massifs de populations et à une dégradation continue des services sociaux de base, dont l’éducation. Face à cette situation, les agences humanitaires et les gouvernements ont cherché à développer des solutions alternatives, notamment l’apprentissage à distance, pour garantir une continuité éducative malgré les obstacles.
L’objectif du rapport est de dresser une cartographie des solutions existantes et émergentes pour l’apprentissage à distance dans les trois pays du Sahel central, d’analyser leur pertinence, leur efficacité et leur faisabilité, et de formuler des recommandations concrètes pour les acteurs de terrain. L’étude s’appuie sur une revue de littérature, des consultations avec des parties prenantes locales et des entretiens avec des experts et praticiens de l’éducation en situation d’urgence.
Les défis structurels de l’éducation au Sahel central
L’étude commence par rappeler les principaux défis qui entravent l’accès à l’éducation dans la région :
- Insécurité et violence : attaques contre les écoles, menaces sur les enseignants, déplacements forcés de populations.
- Déplacements massifs : des centaines de milliers d’enfants déplacés internes, souvent sans accès à une école d’accueil.
- Infrastructures défaillantes : manque d’écoles, de salles de classe, de matériel pédagogique et d’enseignants qualifiés.
- Pauvreté et inégalités : obstacles économiques, discriminations de genre, barrières linguistiques et culturelles.
- Faible accès à l’électricité, à l’Internet et aux technologies : la majorité des zones rurales ne disposent pas d’infrastructures adéquates pour l’apprentissage numérique.
Typologie des solutions d’apprentissage à distance
L’analyse distingue quatre grandes familles de solutions, classées selon leur niveau de sophistication technologique et leur accessibilité :
Solutions « no-tech » (sans technologie)
Ce sont les approches les plus basiques, mais aussi les plus inclusives. Elles reposent principalement sur la distribution de supports imprimés (livrets d’exercices, manuels scolaires, guides pour parents et enfants). Ces supports peuvent être adaptés aux langues locales et sont particulièrement utiles dans les zones sans électricité ni réseau télécoms. Leur principal avantage est leur accessibilité universelle, mais ils souffrent d’un manque d’interactivité et dépendent souvent de la capacité des parents à accompagner les enfants.
Solutions « low-tech » (technologies basiques)
Elles comprennent principalement :
- L’enseignement par radio : diffusion de programmes éducatifs sur les ondes nationales ou communautaires, parfois accompagnés d’activités interactives (quiz, appels, SMS).
- L’apprentissage par téléphone mobile : envoi de SMS éducatifs, plateformes d’appels interactifs, applications sur téléphones basiques.
Ces approches bénéficient d’une large couverture, notamment grâce à la pénétration des radios et des téléphones mobiles, même dans les zones rurales. Elles permettent une certaine interactivité et un suivi, mais leur efficacité dépend de l’accès à un poste radio, à des piles ou à un téléphone fonctionnel.
Solutions numériques (high-tech)
Elles regroupent les plateformes d’apprentissage en ligne, les applications mobiles, les dispositifs Wi-Fi hors ligne avec contenus préchargés (ex : Asanka, Ideas Cube), et les bibliothèques numériques. Ces solutions offrent un fort potentiel d’innovation, d’interactivité et de personnalisation, mais leur déploiement est limité par le manque d’accès à l’électricité, à Internet et à des équipements adaptés, surtout dans les zones rurales et parmi les populations déplacées.
Approches hybrides et communautaires
Certaines initiatives combinent plusieurs modalités (imprimés + radio + téléphone), ou s’appuient sur des réseaux communautaires (animateurs, groupes de soutien parental, associations locales) pour renforcer l’accompagnement des enfants et la mobilisation des familles.
Analyse comparative des approches
L’étude procède à une analyse détaillée des avantages, limites et conditions de succès de chaque modalité.
Les solutions no-tech sont les plus faciles à mettre en œuvre à grande échelle et les plus inclusives, mais elles risquent de creuser les inégalités si les parents ne sont pas alphabétisés ou disponibles pour soutenir les enfants.
Les solutions radio touchent un large public à faible coût, mais leur impact sur l’apprentissage réel reste difficile à mesurer. L’interactivité est limitée, bien que des innovations (quiz, appels, SMS) puissent améliorer l’engagement des élèves.
Les solutions mobiles permettent un suivi individualisé et une certaine personnalisation, mais l’accès aux téléphones reste inégal, surtout pour les filles et les familles les plus vulnérables.
Les solutions numériques sont prometteuses pour le développement de compétences du 21e siècle, mais leur accessibilité est très limitée. Elles nécessitent des investissements importants en infrastructures, en formation et en maintenance.
Les approches hybrides apparaissent comme les plus résilientes, car elles permettent de combiner les avantages de plusieurs modalités et de s’adapter aux réalités locales.
Facteurs de succès et conditions de mise à l’échelle
L’analyse identifie plusieurs facteurs clés pour la réussite et la pérennisation des solutions d’apprentissage à distance :
- Adaptation au contexte local : Les contenus doivent être adaptés aux langues, cultures et niveaux scolaires des enfants. L’implication des communautés et des autorités locales est essentielle pour l’acceptation et la durabilité des dispositifs.
- Formation et accompagnement des enseignants : Les enseignants jouent un rôle central dans la médiation pédagogique, même à distance. Leur formation à l’utilisation des outils, à la pédagogie à distance et au soutien psychosocial est indispensable.
- Mobilisation des parents et des communautés : Le soutien parental est crucial, surtout pour les plus jeunes. Des dispositifs d’accompagnement (groupes de parents, animateurs communautaires) peuvent renforcer la motivation et limiter le décrochage.
- Suivi, évaluation et adaptation : Il est nécessaire de mettre en place des mécanismes de suivi de la participation et des apprentissages, afin d’ajuster les contenus et les modalités en fonction des retours du terrain.
- Financement et coordination : La mise à l’échelle des solutions nécessite des ressources financières pérennes, ainsi qu’une coordination étroite entre gouvernements, ONG, bailleurs et acteurs locaux pour éviter la duplication des efforts et mutualiser les ressources.
Les solutions numériques sont prometteuses pour le développement de compétences du 21e siècle, mais leur accessibilité est très limitée. Elles nécessitent des investissements importants en infrastructures, en formation et en maintenance
Limites et défis persistants
Malgré la diversité des solutions identifiées, plusieurs défis majeurs subsistent :
- Inégalités d’accès : Les enfants déplacés, les filles, les enfants handicapés et ceux vivant dans les zones rurales isolées restent les plus exposés au risque de décrochage. Les solutions numériques, en particulier, risquent d’accentuer la fracture éducative si elles ne sont pas accompagnées de mesures d’inclusion.
- Faible disponibilité de données d’impact : Peu d’études documentent l’efficacité réelle des approches à distance sur les apprentissages, surtout dans les contextes d’urgence. Il existe un besoin urgent d’évaluations rigoureuses et de partage de bonnes pratiques.
- Soutenabilité financière : Les dispositifs d’apprentissage à distance, surtout les plus technologiques, nécessitent des investissements importants et des coûts récurrents (maintenance, renouvellement des équipements, formation).
- Risques psychosociaux : L’isolement, le stress et l’insécurité affectent la motivation et le bien-être des enfants. Les programmes d’apprentissage à distance doivent intégrer un soutien psychosocial et des activités de protection de l’enfance.
Recommandations opérationnelles
Le rapport formule une série de recommandations à l’intention des gouvernements, des partenaires techniques et financiers, et des acteurs de terrain :
- Privilégier les approches inclusives et flexibles : Combiner plusieurs modalités (imprimés, radio, mobile, numérique) pour maximiser la couverture et s’adapter aux contraintes locales.
- Renforcer la formation et l’accompagnement des enseignants, des animateurs et des parents, pour garantir la qualité et la pertinence des apprentissages.
- Adapter les contenus pédagogiques aux langues et aux contextes locaux, en veillant à l’inclusion des filles, des enfants handicapés et des déplacés.
- Développer des dispositifs de suivi et d’évaluation pour mesurer l’impact des programmes et ajuster les stratégies en temps réel.
- Investir dans les infrastructures de base (électricité, connectivité, équipements) dans les zones prioritaires, notamment urbaines et périurbaines accueillant des déplacés.
- Assurer la coordination et la mutualisation des ressources entre tous les acteurs impliqués, pour éviter la fragmentation des initiatives et renforcer l’efficacité collective.
- Intégrer le soutien psychosocial et la protection de l’enfance dans tous les dispositifs d’apprentissage à distance.
Perspectives
L’analyse conclut que l’apprentissage à distance n’est pas une solution miracle, mais un ensemble de réponses complémentaires qui doivent être adaptées, contextualisées et accompagnées pour répondre aux besoins spécifiques des enfants du Sahel central. La crise actuelle offre une opportunité unique d’innover, de renforcer la résilience des systèmes éducatifs et de bâtir des solutions durables pour l’avenir.
Le rapport appelle à une mobilisation collective, à la fois politique, technique et financière, pour garantir que chaque enfant, où qu’il se trouve, ait accès à une éducation de qualité, même en temps de crise. Il insiste sur l’importance de tirer les leçons des expériences passées, de documenter les bonnes pratiques et de mettre l’accent sur l’inclusion, l’équité et la participation communautaire.
