

Auteurs : Alamissa Sawadogo , Kadari Traoré, Moulaye Arby, Marc Kircher , Badara Sadia Ndiaye , Olivier Guyrayanam , Chantal Codjo , Lucie Bacon
Site de publication : Pasas-minka
Type de publication : Rapport
Date de publication : Août 2021
Introduction
Le Sahel est devenu un théâtre d’instabilités multiples qui affectent profondément tous les domaines du développement, et l’éducation ne fait pas exception. La convergence des conflits armés, des crises sécuritaires, des déplacements forcés, ainsi que des défis climatiques accentue la vulnérabilité des systèmes éducatifs, déjà fragiles dans cette aire géographique. Cette étude met en lumière l’importance de repenser les mécanismes traditionnels d’aide au développement, insuffisants pour répondre aux besoins croissants et spécifiques de l’éducation en situation de crise.
Il s’agit de dépasser les approches classiques centrées uniquement sur la reconstruction après crise pour intégrer des stratégies plus adaptatives, inclusives et innovantes, capables d’assurer la continuité des apprentissages dans un contexte marqué par l’insécurité, la précarité et la mobilité des populations.
Contexte et défis de l’éducation en situation d’urgence au Sahel
La situation sécuritaire et socio-économique ainsi décrite a causé une désorganisation des communautés vivant au Sahel. En effet, l’insécurité a occasionné des déplacements massifs internes et/ou transfrontaliers des populations, affectant ainsi la cohésion sociale des communautés locales, l’unicité des familles, les moyens d’existence des populations et même la délivrance des services publics qui se fait difficilement dans des zones hautement exposées aux menaces sécuritaires. Les déplacements des populations vers des zones considérées comme sécurisées ont entraîné une forte concentration de population et ont exercé une pression démographique sur l’utilisation des ressources locales déjà durement affectées par les effets du changement climatique.
La démographie dans les pays du G5 sahel est exceptionnellement forte et devrait le rester jusqu’en 2100 selon les projections des Nations Unies. Cette dynamique affaiblit les revenus par personne de ces pays, revenus qui sont déjà parmi les plus faibles de la planète. Cette situation est qualifiée de « bombe démographique » surtout au regard de la faible fertilité des sols et de la saturation de nombreux terroirs. L’accès à l’éducation quant à lui s’est relativement amélioré pour le primaire ces 15 dernières années. Cependant, le temps passé à l’école et la qualité de l’enseignement sont restés plutôt faibles.
Par ailleurs, la fermeture de certains établissements touchés par la crise sécuritaire (COVID-19) laisse présager une baisse de l’effectif des élèves et un recul de l’accès à l’éducation. En plus de ces facteurs, l’avancée du désert, la rareté des pluies, les attaques acridiennes affectent considérablement les moyens d’existence des populations causant ainsi plus souvent de déficit de production céréalière (10%), mais aussi de la pêche et de l’élevage. En effet, il est observé un rétrécissement des pâturages avec un déficit de matière sèche évalué à plus de 46%, une faible valorisation des productions avec des pertes après récolte/capture de 50% pour les céréales et 30% pour le poisson, et une gouvernance limitée de la gestion des ressources naturelles.
Les effets du changement climatique intensifient les tensions existantes entre les communautés pastorales et les agriculteurs avec des conséquences fâcheuses pour les enfants. A cela s’ajoute la pression démographique qui entraîne des conflits autour des ressources qui se font de plus en plus rares. Il est démontré que la coexistence de facteurs démographiques tels qu’une importante population jeune et des pressions exercées sur les ressources, comme les terres, l’eau et les services sociaux de base (éducation et santé) a favorisé l’exacerbation des conflits dans la région du Sahel.
«La fragilité des États sahéliens est également le produit d’une très grande faiblesse de leurs institutions. Leurs administrations à vocation économique en particulier sont aujourd’hui fragmentées en institutions peu coordonnées tant au niveau central que local. Leur mode de fonctionnement en silos constitue autant d’obstacles majeurs pour la mise en œuvre rapide de programmes de développement nationaux permettant d’agir efficacement et rapidement pour améliorer les conditions de vie de la population.»
Justification : Des besoins croissants face à une faible prise en charge
L’éducation se trouve être la victime de ces crises chroniques et multidimensionnelles, qui contraignent souvent les populations à se déplacer. En 2020, plus de 1,8 million de personnes ont été contraintes de se déplacer dans les pays du Sahel central dont 60% d’enfants. L’éducation reste un défi majeur et les attaques de plus en plus fréquentes visent les écoles, les élèves et les enseignants. En 2020, dans les pays du G5 Sahel, 6,9 millions de personnes sont aux prises avec les terribles conséquences des déplacements forcés, dont 4,5 millions de personnes sont des déplacés internes ou des réfugiés. L’insécurité et les attaques perturbent également gravement les services sociaux de base, mettant en péril l’avenir de milliers d’enfants et leur accès à l’éducation.
Les besoins en éducation restent croissants dans la zone de l’étude. C’est notamment le cas du Sahel Central qui connaît de plus en plus d’attaques des groupes armées non étatiques que les autres parties du Sahel. La présence gouvernementale est régulièrement remise en cause de manière violente dans des zones reculées dans lesquelles les services publics, déjà peu présents, sont contestés par les groupes armés non étatiques. La fermeture des écoles est devenue un phénomène inquiétant.
Les effets du changement climatique intensifient les tensions existantes entre les communautés pastorales et les agriculteurs avec des conséquences fâcheuses pour les enfants. A cela s’ajoute la pression démographique qui entraîne des conflits autour des ressources qui se font de plus en plus rares. Il est démontré que la coexistence de facteurs démographiques tels qu’une importante population jeune et des pressions exercées sur les ressources, comme les terres, l’eau et les services sociaux de base (éducation et santé) a favorisé l’exacerbation des conflits dans la région du Sahel
Au niveau des gouvernements des pays sahéliens, on constate à l’issue de notre étude que l’ESU (Éducation en situation d’urgence) ne rentre pas dans leurs priorités. C’est le cas de la Mauritanie où il n’existe pas de structures étatiques chargées de l’ESU au niveau national et on ne trouve pas d’études sur cette thématique. Depuis le début de la pandémie, le ministère chargé de l’éducation a initié un Plan de riposte de l’éducation en réponse à la pandémie pour assurer la continuité des apprentissages dans les établissements scolaires, notamment grâce à l’appui des agences des nations unies et les partenaires techniques et financiers.
C’est aussi le cas du Sénégal. En effet, jusqu’en 2019, le système éducatif sénégalais n’avait pas été confronté à des crises durables susceptibles d’inciter les autorités à intégrer l’ESU dans la politique sectorielle d’éducation ou dans des programmes d’envergure nationale.
En outre, notons la situation intermédiaire qu’est celle du Niger et du Tchad. Il n’existe pas de stratégie spécifique pour l’éducation en situation d’urgence au Niger. Néanmoins, le pays dispose d’une Stratégie nationale de réponse aux vulnérabilités du Système éducatif (SNRV-SE 2020). En ce qui concerne le Tchad, malgré une longue expérience en matière de gestion des crises, il n’existe pas de stratégie spécifique à l’éducation en situation d’urgence au Tchad. Cependant, deux pays sur les six concernés par le présent travail ont commencé à institutionnaliser la question de l’éducation en situation d’urgence. C’est le cas du Burkina Faso où l’ESU est intégrée dans les politiques publiques suite aux crises sécuritaires auxquelles le pays fait face depuis 2015.
Le Gouvernement a fait adopter en février 2019 une stratégie de scolarisation des élèves des zones à forts défis sécuritaires, la création d’un Secrétariat technique de l’Éducation en situation d’urgence (ST- ESU) en avril 2020. Au regard de l’évolution des besoins en ESU, une stratégie nationale de l’ESU (SN-ESU, 2019-2024) a été élaborée dans le but d’offrir une réponse holistique et cohérente à tous les risques qui peuvent affecter le système éducatif. Le Mali et le Tchad ont inscrit dans leur politique publique l’ESU très récemment.
Les 5 principales recommandations :
Au niveau de pilotage central de l’enseignement en situation d’urgence
Recommandation 1 : Investir dans la coordination des interventions et la collecte de données sur l’ESU
En dépit de la faiblesse des financements, les partenaires techniques et financiers et les ONG s’engagent pour soutenir la réponse des États en matière d’ESU. Ces appuis ne sont cependant pas encore suffisamment coordonnés au niveau national. Le déficit de compétences nationales spécialisées dans le domaine et le pilotage des Clusters par une agence des Nations Unies (UNICEF notamment) avec une ONG internationale comme co-facilitateur (Save The Children et PLAN pour les pays concernés) traduisent l’insuffisance d’appropriation nationale de la thématique.
La faiblesse des données liées à l’éducation en situation des crises limite la capacité des États à construire des réponses appropriées aux besoins. Alors que les systèmes d’information nationaux ont encore des difficultés à produire régulièrement des données de qualité pour soutenir la planification, la gestion des crises dans l’éducation a créé de nouveaux besoins d’information et une fréquence de collecte auxquels les divisions de la statistique et des études des ministères de l’éducation ne sont pas suffisamment préparées. Exception faite du Burkina Faso dans une certaine mesure, les ministères produisent peu d’informations spécifiques utiles au pilotage de l’ESU. Face à ces besoins, diverses initiatives de collecte et différentes sources de données se sont développées. En plus des différents appuis apportés par les partenaires dans l’amélioration des systèmes de données, les Clusters Éducation centralisent les données de l’ESU.
Les besoins en éducation restent croissants dans la zone de l’étude. C’est notamment le cas du Sahel Central qui connaît de plus en plus d’attaques des groupes armées non étatiques que les autres parties du Sahel. La présence gouvernementale est régulièrement remise en cause de manière violente dans des zones reculées dans lesquelles les services publics, déjà peu présents, sont contestés par les groupes armés non étatiques. La fermeture des écoles est devenue un phénomène inquiétant
Au niveau décentralisé
Dans les pays ciblés par l’étude, la décentralisation n’est pas effective, constituant un goulot d’étranglement pour un transfert direct des ressources de l’État et celles des partenaires vers les zones périphériques. Le transfert des ressources et des compétences du centre vers les organes décentralisés des États est peu effectif. Par manque d’appuis réguliers, les responsables décentralisés de l’éducation peinent à assurer les suivis nécessaires sur le terrain afin de déceler ou proposer des pistes de solution aux problèmes identifiés.
Recommandation 2 : Développer des outils de financement à l’égard des institutions sectorielles décentralisées des États
Tout en travaillant au niveau central en appui aux autorités nationales pour un transfert effectif des ressources vers les structures déconcentrées et celles décentralisées, développer des mécanismes et des outils de financement destinés aux autorités provinciales, régionales et départementales en charge de l’éducation pourrait améliorer la prise en charge des besoins actuels. Considérer les structures éducatives décentralisées sur le registre des financements des ONG, avec les mêmes obligations de redevabilité, pourrait améliorer la situation de suivi et d’accompagnement des écoles en contexte de crise. Il conviendrait aussi d’apporter des appuis au renforcement des compétences des acteurs aux niveaux déconcentré et décentralisé en matière d’ESU afin d’améliorer leurs capacités opérationnelles.
Au niveau des camps, sites et villages concernés par les crises
Recommandation 3 : Financer l’amélioration des conditions d’enseignement en contexte des crises (capacités d’accueil et diffusion des enseignements)
Concernant cet aspect, des efforts considérables ont été consentis par les partenaires techniques et financiers des États sahéliens. L’une des contraintes majeures de l’éducation dans les contextes de crises est la disponibilité de salles de classe. e. Compte tenu de la situation actuelle où la sécurité préoccupe autant que les problèmes de l’éducation, exiger la construction ou la reconstruction immédiate des écoles serait irréaliste, mais à défaut de disposer des bâtiments qui peuvent répondre aux normes classiques, les solutions palliatives restent la réponse la plus adaptée.
L’objectif est de permettre de désengorger les salles de classes dans les zones d’accueil afin d’améliorer le ratio élèves/enseignants. Les expériences de riposte au Covid-19 ont aussi mis en avant la nécessité de développer l’enseignement à distance. En complément des efforts d’amélioration des conditions d’accueil, un soutien aux programmes d’enseignement à distance permettrait de toucher le maximum d’enfants privés momentanément ou de façon durable de structures d’éducation.
Recommandation 4 : Investir dans les alternatives éducatives et dans la formation professionnelle
Compte tenu du nombre important d’enfants hors école dans les cinq pays et de l’impact des crises sur l’accentuation des phénomènes de non-scolarisation et de déscolarisation, le soutien aux alternatives éducatives pour les exclus des systèmes éducatifs formels et à la formation des jeunes reste une priorité. Afin de garantir un encadrement post cycle primaire aux enfants ou adolescents scolarisés, un centre de formation technique peut-être utile pour l’insertion professionnelle. Au vu de l’immensité des besoins, la reproduction des centres de formation professionnelle de type classique s’avère peu réaliste.
Il s’agira plutôt de soutenir le renforcement des centres existants autour des zones des crises et d’investir dans des formules alternatives moins coûteuses et plus centrées sur les métiers locaux comme l’agriculture et l’élevage. Le modèle des initiatives développées par l’ONG TECHNIDEV analysées dans le rapport pays Tchad ou celles appuyées par Expertise France au Burkina Faso pourraient faire l’objet d’un soutien technique et matériel afin d’en assurer la dissémination dans le Sahel.
L’objectif est de permettre de désengorger les salles de classes dans les zones d’accueil afin d’améliorer le ratio élèves/enseignants. Les expériences de riposte au Covid-19 ont aussi mis en avant la nécessité de développer l’enseignement à distance. En complément des efforts d’amélioration des conditions d’accueil, un soutien aux programmes d’enseignement à distance permettrait de toucher le maximum d’enfants privés momentanément ou de façon durable de structures d’éducation
Recommandation 5 : Financer la mobilisation des communautés sur l’éducation inclusive et le maintien des enfants à l’école dans les zones appuyées par les partenaires
Les résultats de terrain montrent que dans les quatre pays les plus touchés par la crise sécuritaire (Burkina Faso, Mali, Niger et le Tchad), les communautés sont au cœur des stratégies de continuité éducative. L’étude a montré aussi que certains enfants dans les zones de crises ne vont pas à l’école parce que les parents perçoivent leurs activités quotidiennes nécessaires à la survie. Il est alors indispensable de maintenir la sensibilisation des communautés sur l’importance de l’éducation inclusive afin d’espérer un changement de comportement sur du long terme.
Les Associations des Mères d’Élèves (AME), celles des parents d’élèves ainsi que les autorités traditionnelles ont besoin d’appuis concrets multiple-formes pour garantir la continuité éducative dans des contextes crises, mais aussi prévenir les conflits et renforcer la cohésion entre les groupes sociaux (notamment dans les zones refuges entre populations déplacées et hôtes) Ce processus de mobilisation des communautés et de renforcement des capacités des communautés locales pourrait être accompagné par les ONG qui bénéficieraient de subventions à cet effet.
