Auteur : David Zounmenou
Site de publication : ISS
Type de publication : Article
Date de publication : Septembre 2021
Lien vers le document original
Le 5 septembre 2021 au matin, les Guinéens ont appris la nouvelle d’un coup d’État militaire mené contre le président Alpha Condé. Ce qui n’était au départ que des rumeurs s’est vu confirmé avec la diffusion d’images, sur les réseaux sociaux, de Condé aux mains de militaires. Le président, déshonoré et désormais captif, a été conduit dans les rues de Conakry, sous les acclamations de la foule.
Ce coup d’État met fin au troisième mandat contesté de Condé, âgé de 82 ans, qu’il avait remporté après qu’une modification de la Constitution du pays lui a permis de se présenter aux élections d’octobre 2020. Ses manœuvres constitutionnelles ont provoqué des manifestations, au cours desquelles environ 400 personnes ont été arrêtées. De nombreux militants sociaux et personnalités politiques ont été emprisonnés, et certains sont morts en détention. À l’instar des régimes précédents, les victimes de la répression politique n’ont pas obtenu justice.
Cette absence de responsabilité constitue un frein majeur à la transition de la Guinée vers la démocratie et la stabilité. Pour éliminer les coups d’État de la culture politique du pays, ses dirigeants doivent promouvoir et faire respecter la justice et mettre fin à l’impunité de manière systématique.
L’absence de responsabilité est un frein majeur à la transition de la Guinée vers la démocratie
Le renversement militaire a fait resurgir l’éternelle tension qui existe entre démocratisation et militarisation de la politique. C’est pourtant cette dernière qui semble gagner du terrain en Afrique de l’Ouest. Les expériences des différents régimes militaires depuis les années 2000 montrent qu’à quelques exceptions près, les insurrections ne sont plus organisées par des généraux. La plupart des meneurs de coups d’État récents sont issus des échelons militaires subalternes ; il s’agit principalement de capitaines et parfois de colonels. Cela met en évidence la vulnérabilité, voire le manque de cohésion, de l’appareil de sécurité national.
C’est la troisième fois que l’armée interfère dans la politique nationale de la Guinée depuis l’indépendance du pays en 1958. À la mort de son premier président Ahmed Sékou Touré en 1984, le colonel Lansana Conté avait pris le pouvoir par un coup d’État et s’y était maintenu pendant 24 ans, jusqu’à son décès en 2008. Il fut rapidement remplacé par un autre dirigeant militaire, le capitaine Moussa Dadis Camara, lors d’un renversement qui a plongé la Guinée dans plusieurs années de répression politique violente.
Le coup d’État en Guinée semble avoir reçu l’aval de la majorité des citoyens en raison de la mauvaise gouvernance et de la répression de Condé, ainsi que de la pauvreté généralisée qui prévaut dans le pays. Les réponses apportées aux niveaux national, régional et continental aux principaux défis de gouvernance de la Guinée se sont révélées inefficaces.
Depuis 1984, la Guinée en est à sa cinquième tentative d’adopter un véritable régime démocratique
Les expériences passées du pays sont riches d’enseignements quant au recours à la violence politique pour s’emparer du pouvoir et le conserver. Ces leçons doivent être intégrées par les nouvelles institutions démocratiques afin de garantir leur résilience et leur durabilité.
Contrairement au sentiment populaire, la récente succession de coups d’État en Afrique centrale et de l’Ouest (deux au Mali en moins d’un an, puis au Tchad et maintenant en Guinée) ne devrait pas soulever de questions quant à l’applicabilité de la démocratie en Afrique. Le problème découle plutôt de la défaillance de systèmes de gouvernance corrompus, du manque de responsabilité et de décennies de médiocrité dans la prestation de services.
Les pays africains doivent systématiquement s’attaquer aux ambiguïtés liées à la mauvaise gouvernance et aux changements anticonstitutionnels de gouvernement. L’UA et d’autres forums politiques ont largement mis en évidence les conditions qui légitiment ces processus. Il s’agit notamment de dirigeants autoritaires, d’un pouvoir constitutionnel inefficace et de l’ingérence de l’armée dans les affaires de l’État.
L’UA et les Communautés économiques régionales doivent se pencher en priorité sur comment traiter les cas de conservation inconstitutionnelle du pouvoir dans leurs États membres. Pour éliminer les coups d’État de la culture politique d’un pays, il faut commencer par condamner et sanctionner ouvertement les dirigeants qui abusent de leur pouvoir.
