Auteurs : Human rights watch
Site de publication : HRW
Type de publication : Rapport
Date de publication : Septembre 2024
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Contexte
L’élection présidentielle en Guinée, un pays qui dans le passé a souvent connu des violences liées aux élections, devrait se tenir en octobre 2020. Le président Alpha Condé, qui a 82 ans et est au pouvoir depuis 2010, a exercé une forte pression pour faire adopter une nouvelle constitution qui, selon ses partisans, a validé son éligibilité pour le scrutin de cette année. Le 31 août 2020, Condé a accepté la nomination de son parti pour l’élection d’octobre et se présentera pour un troisième mandat. À plusieurs reprises cette année, une coalition de partis d’opposition et de groupes de la société civile – le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) – a organisé des manifestations contre cette constitution qui permet à Condé de se représenter.
Bien que le gouvernement ait parfois autorisé ces manifestations, dans la plupart des cas, il les a interdites et les forces de sécurité ont fait un usage excessif de la force pour disperser les manifestants, notamment en utilisant des gaz lacrymogènes et en tirant à balles réelles. Des dizaines de personnes ont été tuées depuis octobre 2019, quand les manifestations contre la réforme de la constitution ont débuté.
Pour finir, toutefois, le vote a été entaché de violences dans la capitale Conakry et dans toute la Guinée, notamment à Nzérékoré, dans le sud-est de la Guinée ; à Kindia, dans le centre du pays ; et à Kolaboui et Sangaredi, à l’ouest du pays.15 De violents affrontements ont éclaté entre des dizaines de personnes de groupes pro et anti-référendum, et entre des manifestants anti-référendum et les forces de sécurité. Les manifestants ont brûlé des pneus, barricadé des rues, attaqué des bureaux de vote et lancé des pierres sur les forces de sécurité, qui ont répondu par des tirs de gaz lacrymogènes et à balles réelles. Les recherches de Human Rights Watch ont révélé que les forces de sécurité ont tué au moins huit personnes, dont deux enfants, à Conakry le jour du scrutin, et en ont blessé plus de vingt autres.
Élection sanglante à Nzérékoré
La région forestière de Guinée, située entre la Côte d’Ivoire, le Libéria et la Sierra Leone, est coutumière des violences intercommunautaires entre les communautés qui se considèrent comme « autochtones » – comme les Guerzé – et celles perçues comme des nouveaux arrivants ou qui sont associés à des groupes soi-disant non-autochtones, comme les Malinké et les Konianké. Les périodes électorales à Nzérékoré sont particulièrement propices à la violence, les clivages politiques exacerbant les tensions ethniques existantes.
La violence qui a suivi le référendum constitutionnel et les élections législatives à Nzérékoré a duré du 22 au 24 mars et a été de loin la pire des violences électorales de ce mois de mars. Les affrontements entre partisans du gouvernement et de l’opposition le jour du scrutin dans le quartier de Bellevue se sont prolongés avec des violences dans toute la ville, violences au cours desquelles au moins 32 personnes ont été tuées et plus de 90 autres blessées et qui ont occasionné d’importantes destructions de biens, maisons, magasins et églises notamment. De nombreuses victimes ont été abattues, d’autres ont été tuées à l’arme blanche ou battues à mort, et l’une d’entre elles a été brûlée vive.
Les violences étaient souvent liées à des critères ethniques. Des groupes de Guerzé armés, perçus comme sympathisants de l’opposition, ont affronté des groupes composés de membres des ethnies Konianké et Malinké, également bien armés et considérés comme des partisans du parti au pouvoir. Certaines victimes ont déclaré qu’elles étaient apparemment ciblées simplement en raison de leur identité ethnique.
Les responsables du gouvernement et du parti au pouvoir ont déclaré que la violence avait commencé quand des manifestants de l’opposition avaient lancé des pierres sur les bureaux de vote et les électeurs, suscitant de violentes réactions de la part des partisans pro gouvernementaux. « Ce sont les responsables locaux du FNDC qui ont planifié les violences et alimenté les tensions entre les communautés à Nzérékoré », a ainsi déclaré aux journalistes Yaya Kairaba Kaba, le procureur général de la ville de Kankan, dans le nord du pays.
Insuffisance des mesures pour empêcher la violence
Des gendarmes et des policiers ont été déployés à Nzérékoré le jour du scrutin pour sécuriser le vote. Les habitants de Nzérékoré et les médias ont aussi dit avoir vu des soldats déployés en ville et qui répondaient à la violence.
Plus de 20 témoins, issus des communautés Guerzé, Malinké et Konianké, ont déclaré que même quand la police, les gendarmes ou les soldats étaient présents, ou quand on faisait appel à eux, ceux-ci n’étaient pas intervenus pour empêcher des groupes d’hommes armés d’attaquer des personnes ou de détruire des biens. Plusieurs dirigeants de l’opposition, groupes de la société civile et témoins de la communauté Guerzé ont également déclaré qu’ils pensaient que la réponse des forces de sécurité visait à sécuriser le vote et le matériel électoral, plutôt qu’à protéger les vies et les moyens d’existence.
Les autorités et les forces de sécurité ont déclaré aux médias qu’elles avaient pris des mesures adéquates pour mettre fin à la violence, notamment en imposant un couvre-feu de trois jours le 22 mars, en ordonnant l’arrestation des personnes soupçonnées d’être impliquées dans les violences et en envoyant des renforts de l’armée venus d’autres villes le 23 mars.
La responsabilité première d’assurer la sécurité des vies et des biens pendant les élections incombe aux organes guinéens d’application des lois. Le Code de conduite pour les responsables de l’application des lois impose à tous les agents chargés de l’application des lois un devoir de service à la collectivité. Pendant les élections, ce Code de conduite oblige les forces de sécurité à garantir la sécurité, en même temps qu’elles veillent au respect des lois et règlements régissant la conduite des élections.
Absence de réponse aux premiers actes de violence à Bellevue
Malgré la présence des forces de sécurité à Nzérékoré, des témoins ont décrit en détail plusieurs incidents au cours desquels les forces de sécurité n’ont pas répondu à la violence, à commencer par les premiers affrontements qui ont éclaté dans le quartier de Bellevue.
J’ai d’abord appelé un membre de la Commission électorale nationale indépendante, puis j’ai fait un deuxième appel à la police entre 10 heures et 11 heures, quand les incidents ont commencé. Les manifestants lançaient des pierres contre deux bureaux de vote et des électeurs. Les électeurs et les passants sont partis en courant.
Le rapport de la police guinéenne sur les violences à Nzérékoré a confirmé que Koné avait été abattu le 22 mars et que cette situation « a été l’élément déclencheur du conflit qui a opposé les deux groupes – ceux qui voulaient voter et ceux qui voulaient empêcher le vote. » Le rapport n’a pas fait mention des actions entreprises par les forces de sécurité pour prévenir ou arrêter la violence, mais a suggéré que le quartier de Bellevue avait été « inaccessible » à la police guinéenne en raison de la violence et que « l’armée a été réquisitionnée pour se joindre aux forces de sécurité pour ramener le calme ».
Réponse des autorités locales et des forces de sécurité
Les autorités ont déclaré aux médias qu’elles avaient pris des mesures adéquates pour prévenir et arrêter la violence. Le 22 mars, Mohamed Ismaël Traoré, le gouverneur de la région de Guinée forestière, a imposé un couvre-feu de trois jours et ordonné l’arrestation des personnes soupçonnées d’être à l’origine des violences. Il a déclaré qu’il s’était personnellement rendu dans les zones touchées par la violence à Nzérékoré le 22 mars et qu’il avait rencontré des leaders communautaires et des jeunes armés pour chercher à calmer les tensions.
Les autorités ont également déclaré que les forces de sécurité avaient pris des mesures adéquates pour mettre fin à la violence, notamment en autorisant des renforts de l’armée en provenance d’autres villes, et en arrêtant les responsables des violences.
Détentions dans des camps militaires, mauvais traitements
Selon les recherches de Human Rights Watch et les rapports de plusieurs organisations guinéennes de défense des droits humains, les forces de sécurité ont arrêté plus de 100 personnes pendant et immédiatement après les violences à Nzérékoré. Les autorités ont déclaré que les forces de sécurité avaient donné l’ordre d’arrêter des personnes soupçonnées d’implication dans les violences pour tenter de calmer la situation, mais des ex-détenus, témoins et dirigeants de l’opposition ont déclaré à Human Rights Watch que de nombreuses personnes qui n’avaient pas participé à la violence avaient été arrêtées arbitrairement chez elles et dans des quartiers où s’étaient déroulés des affrontements. La plupart des personnes arrêtées ont été illégalement détenues au camp militaire de Beyanzin à Nzérékoré dans des conditions dégradantes. Certaines d’entre elles ont été battues.
Les ex-détenus ont également déclaré que ceux qui refusaient de porter des armes avaient été battus par des soldats. Un homme de 40 ans, arrêté par l’armée le 24 mars dans le quartier de Boma, a déclaré : Les soldats du camp m’ont donné une arme à feu et m’ont dit de poser pendant que les journalistes nous photographiaient et filmaient la scène.
J’ai obéi parce que ceux qui refusaient de tenir les armes avaient été battus sous mes yeux. Le haut responsable du gouvernement qui se tenait devant nous avec des soldats, des gendarmes, des policiers et des journalistes, a prononcé un bref discours et a déclaré : « Voici les gens qui brûlent, pillent et vandalisent des maisons, voici les ‘mercenaires’, avec leurs armes ». Les journalistes ont demandé au gouverneur s’ils pouvaient nous parler, nous poser des questions, mais il a refusé.
