Auteurs : Commission de la CEDEAO – Thi Hoang et Livia Wagner
Site de publication: ISS
Type de publication: Document de recherche
Date de publication: 2023
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Côte d’Ivoire
Conformément aux tendances régionales, l’augmentation des risques d’OCSEA en Côte d’Ivoire est influencée par une expansion rapide de l’Internet mobile, qui a triplé entre 2016 et 2022. Par exemple, les données de 2021 ont révélé que les jeunes de 13 à 24 ans représentaient un tiers des utilisateurs de Facebook et de WhatsApp, et plus de 40 % des utilisateurs d’Instagram en Côte d’Ivoire. Cette situation accroît les risques numériques et les risques d’OCSEA pour les enfants.
Dans un sondage mené en 2019 par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), environ un quart des 35 000 jeunes Ivoiriens âgés de 13 à 24 ans avaient déclaré avoir été harcelés en ligne. Un tiers ont déclaré que leurs photos et vidéos avaient été partagées sans leur consentement. Sur les 249 enfants victimes identifiés de CSEA qui avaient été exploités dans le cadre du travail sexuel forcé, 70,8 % d’entre eux avaient déclaré utiliser les TIC dans le but de contacter leurs délinquants sexuels.
Avec environ 21 000 incidents de mise en ligne de CSEAM signalés par an entre 2019 et 2022, la Côte d’Ivoire compte le plus grand nombre de signalements NCMEC parmi les pays étudiés et le deuxième plus élevé (après le Nigéria) parmi les pays ouest-africains au cours de la même période. Bien qu’il soit difficile de corroborer leurs propos, les parties prenantes interrogées ont affirmé de manière écrasante que l’OCSEA était en hausse dans le pays.
Les réseaux criminels en Côte d’Ivoire seraient de plus en plus impliqués dans un éventail de trafics facilités par la technologie et d’autres crimes liés au numérique, y compris l’OCSEA. L’augmentation du nombre d’infractions plus vastes liées au trafic facilité par la technologie risque de contribuer à l’augmentation de l’OCSEA. Selon INTERPOL et le FBI, les réseaux criminels basés dans le pays se sont professionnalisés dans l’utilisation de systèmes de sextorsion, utilisent une gamme de techniques de coercition et sont principalement motivés par des gains financiers. Le FBI a souligné que les réseaux opérant en Côte d’Ivoire font partie d’une augmentation inquiétante des combines de sextorsion financière ciblant les garçons mineurs aux États-Unis.
Les réseaux ivoiriens ont également utilisé une gamme de techniques en ligne pour attirer des personnes dans des contextes d’exploitation sexuelle. Des mineures auraient été attirées par des gangs puis abusées sexuellement sur film, sous l’influence de stupéfiants. L’exploitation des enfants dans le travail du sexe forcé est particulièrement répandue à Abidjan. Les réseaux utiliseraient les recrues existantes pour d’autres recrutements via le bouche-à-oreille.
Défis régionaux liés à la réponse à l’OCSEA en Afrique de l’Ouest
Au niveau continental, l’UA a reconnu l’OCSEA comme un défi, en organisant le premier sommet sur l’OCSEA en 2019. En outre, les membres de l’UA se sont engagés à mettre en œuvre le cadre d’un modèle de réponse nationale de WeProtect Global Alliance et à élaborer des politiques nationales en vue de lutter contre la CSEA. Cependant, plusieurs ONG internationales et locales affirment que le sujet de l’OCSEA n’est pas une priorité suffisamment élevée dans l’agenda de l’UA.
Au niveau régional, la Politique de la CEDEAO pour l’enfance 2019-2030 reconnaît la vulnérabilité des enfants face à l’utilisation d’Internet, ce qui marque une étape importante pour attirer l’attention sur l’OCSEA. Toutefois, le plan d’action connexe ne fournit pas d’objectifs concrets ou d’orientations aux décideurs politiques. Un leadership renforcé est donc nécessaire en ce qui concerne ce sujet clé.
Pays cibles : Réponses institutionnelles, juridiques et de la société civile à l’OCSEA
Cadres juridiques
Il existe un certain nombre de cadres juridiques, de conventions et de protocoles internationaux qui traitent de la CSEA. Il convient de noter que lorsqu’un pays a signé une convention, il s’ensuit comme d’habitude d’autres approbations nationales avant sa ratification complète.
Au niveau régional, la CEDEAO a adopté en 2015 l’Acte additionnel relatif à la cybersécurité et à la protection des données à caractère personnel, qui criminalise la production, la distribution et la possession d’exploitation sexuelle des enfants facilitée par la technologie. L’Acte est contraignant pour tous les États membres et les encourage à se doter d’une législation nationale et à l’appliquer pour lutter contre toute forme d’exploitation sexuelle des enfants. Les experts des services répressifs ont clairement exprimé la nécessité d’harmoniser les définitions et les procédures judiciaires dans toute la région afin d’éviter toute marge d’interprétation et d’exploitation criminelle.
Les cadres réglementaires nationaux sont souvent en retard par rapport aux tendances de l’OCSEA, ce qui entrave les enquêtes et les poursuites. La criminalisation complète de tous les aspects de la CSEA et de l’OCSEA est essentielle car les délinquants pédosexuels et les réseaux produisant l’OCSEA sont connus pour « leur course à la juridiction la plus offrante », se déplaçant vers des pays aux législations laxistes et tirant parti des vides juridiques.
Reconnaissant cette situation, l’ICMEC a lancé en 2006 la première législation type et a proposé un « menu » de concepts recommandés à prendre en compte lors de la rédaction d’une législation anti-CSEAM.
Côte d’Ivoire
Bien que le code pénal et la loi relative à la lutte contre la cybercriminalité de la Côte d’Ivoire criminalisent explicitement la « pornographie enfantine », la définition de CSEAM incluse dans la loi relative à la lutte contre la cybercriminalité n’inclut pas les représentations des organes sexuels d’un enfant. En outre, accéder en connaissance de cause au CSEAM par le biais d’appareils ou de systèmes de TIC n’est pas criminalisé, ce qui pourrait encourager certains comportements criminels tels que l’accès uniquement aux documents illicites au lieu de les posséder/télécharger localement.
Les lois ivoiriennes ne contiennent pas de dispositions qui excluent la responsabilité pénale d’un enfant exploité dans l’industrie du sexe, qui pourrait faire l’objet de poursuites pénales s’il sollicite ou tente de solliciter publiquement, ni de ceux impliqués dans la production et la distribution de CSEAM auto-générés, ce qui crée une lacune juridique sur laquelle les criminels pourraient rejeter le blâme et la responsabilité juridique envers les enfants victimes.
Infrastructures institutionnelles
Les trois pays cibles ont adopté des approches institutionnelles différentes et mandaté des entités gouvernementales pour répondre à la CSEA, à l’OCSEA et au CSEAM. Alors que la Côte d’Ivoire et le Ghana sont dotés de laboratoires de criminalistique numérique (ou criminalistique informatique) dédiés à la détection de l’OCSEA, à l’enquête s’y rapportant, ainsi qu’à la suppression du CSEAM, Cabo Verde réprime les pratiques d’OCSEA à travers plusieurs institutions gouvernementales qui travaillent de manière indépendante.
Lines directes et lignes d’assistance téléphonique
Les trois pays disposent d’infrastructures qui soutiennent les mécanismes de protection de l’enfance. En particulier, ils ont tous mis en place des procédures techniques sous la forme de lignes d’assistance téléphonique (ou permanences téléphoniques) nationales d’aide aux enfants et de lignes directes (d’urgence) (ou hotlines) pour aider et supprimer les contenus abusifs, et maintiennent une coopération multisectorielle entre les entités et les départements nationaux. Aucun des pays cibles, voire aucun des États membres de la CEDEAO, n’est membre des lignes directes membres d’INHOPE, un réseau mondial de lignes directes de signalement luttant contre le CSEAM en ligne. Par conséquent, la CEDEAO manque d’expérience et d’échange de renseignements des 50 autres lignes directes de 46 pays (en décembre 2022).
Côte d’Ivoire
Le numéro vert 116 « Allô, enfants en détresse », géré par le Ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfant, sert à la fois de ligne d’assistance téléphonique pour les enfants et de ligne téléphonique nationale pour signaler et dénoncer des actes de violation des droits de l’enfant. En 2018, la ligne 116 a reçu plus de 3 000 appels liés à diverses violations (abus, mariage forcé d’enfants, négligence, disparition, abandon, exploitation économique, refus de scolarité ou violence physique), dont plus de 2 000 ont fait l’objet d’une enquête. À partir de 2021, la ligne aurait également inclus un formulaire Web et une application mobile l’IWF, en collaboration avec plusieurs ministères ivoiriens, dont le ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfant et le Ministère de l’Économie numérique et de la Poste, a lancé le portail de signalement IWF-Côte d’Ivoire, qui permet d’émettre des signalements en français et en anglais. Le fait d’avoir plusieurs canaux de signalement isolés pourrait créer double emploi, compliquer les enquêtes et retarder le secours ou l’intervention des victimes. Une bonne pratique consiste à disposer d’une ligne directe d’urgence centrale dédiée au signalement des différentes formes d’exploitation, si nécessaire, pour les combiner avec la traite des enfants.
Lacunes dans la protection et la prévention
Il existe d’importantes lacunes dans la protection et la prévention dans les trois pays, notamment un manque de sensibilisation au problème, des ressources insuffisantes, une mauvaise coordination entre les agences et les organisations, un manque de formation des travailleurs de première ligne, une application limitée des politiques et un accès restreint aux services d’aide aux victimes.
Dans un tel contexte, ni la Côte d’Ivoire ni le Ghana ne disposent d’un plan d’action national visant à lutter spécifiquement contre la CSEA. En outre, leur stratégie nationale et leur plan d’action national visant à renforcer la protection de l’enfant et à lutter contre la traite et le travail des enfants ne sont pas spécifiquement axés sur la CSEA.
Identification des victimes et signalement des crimes
Faible sensibilisation à l’OCSEA et stigmatisation persistante des victimes de l’OCSEA
En général, la très faible sensibilisation du public, des services répressifs et des instances gouvernementales à l’OCSEA, et même parmi les familles des victimes et les survivants eux-mêmes, est un obstacle majeur à l’identification et au secours des victimes, ainsi qu’à l’intervention auprès de celles-ci. Les parents/tuteurs des victimes ne seraient pas disposés à signaler les affaires d’OCSEA, ou ne seraient pas au courant de ce qui est arrivé à leurs enfants, en partie à cause de leur faible compréhension des risques et des menaces numériques auxquels leurs enfants sont exposés. Le manque de soutien approprié et éclairé de la part des membres de la famille, s’ajoutant à la stigmatisation sociale associée, a probablement fait en sorte que les victimes et les survivants se sentent encore plus pris au piège, isolés et seuls.
Sous-signalement et manque de données agrégées pour évaluer la prévalence et les tendances
La faible sensibilisation et la stigmatisation des victimes ont conduit à un sous-signalement des affaires d’OCSEA. Si les victimes ne s’identifient pas comme telles, elles ne le signalent pas. Dans les trois pays étudiés, selon les entretiens avec les parties prenantes travaillant sur l’OCSEA, il existe des écarts importants entre le nombre de cas signalés et le nombre de cas réels.
Faible réactivité aux signalements d’OCSEA
Entre la CyberTipline du NCMEC, la base de données internationale d’INTERPOL sur l’exploitation sexuelle des enfants (ICSE) et les différents portails de signalement de l’IWF, les pays cibles ont accès à un certain nombre de signalements nationaux et mondiaux sur l’OCSEA et le CSEAM.
Toutefois, en raison d’un manque de ressources humaines et financières, les parties prenantes ne sont pas en mesure de tenir compte de ces signalements, de manière adéquate et en temps opportun. Il est donc crucial que la Côte d’Ivoire et Cabo Verde mettent également en place des unités et des points focaux nationaux spécifiques (tels qu’une unité de lutte contre la cybercriminalité ou une force de police nationale spécialisée) pour tenir compte des signalements d’OCSEA en temps opportun.
Manque de ressources humaines possédant des moyens appropriés et de financement
Les experts des organisations multilatérales qui dispensent une formation technique spécialisée aux praticiens de la justice pénale se sont dits préoccupés par le fait que le taux élevé de roulement du personnel (en particulier par le biais d’un redéploiement vers d’autres unités/rôles) compromet l’impact de la formation. Cette situation se traduit par une perte d’expertise en matière de traitement de l’OCSEA.
À titre d’exemple, la Plateforme de lutte contre la cybercriminalité de Côte d’Ivoire est chargée d’analyser, de cartographier et d’enquêter sur les données et les comptes de médias sociaux liés à l’OCSEA, ainsi que d’infiltrer les réseaux criminels. Elle ne comptait que 15 policiers mandatés pour traiter en moyenne 5 000 signalements par an.
Protection et soutien aux victimes
Les procédures légales de protection et de soutien apportés aux victimes feraient défaut. Les entités gouvernementales des pays étudiés s’appuient principalement sur des ONG et des organisations de la société civile travaillant sur la traite, qui manquent de ressources et de financement, pour fournir des services d’aide aux victimes.
La Convention de Lanzarote exige que des programmes d’intervention soient mis en place et surveillés pour les délinquants sexuels potentiels et condamnés. De tels programmes n’avaient pas été établis dans les pays concernés par l’étude.
Poursuites
La faiblesse des capacités techniques des responsables de l’application des lois et de la justice pénale est un obstacle majeur aux poursuites. Bien que des lois régissant la recevabilité et l’utilisation des preuves soient en vigueur, les services répressifs manquent de connaissances sur les méthodes de conservation des preuves numériques, et bien souvent, les juges et les procureurs ne sont pas en mesure de les reconnaître, de les comprendre et de les accepter.
Dans certains cas, les parents de la victime auraient accepté de négocier avec les agresseurs. Les agresseurs leur auraient offert une grosse somme d’argent et trompé les parents en leur faisant croire que le CSEAM serait détruit/supprimé, afin d’amener les parents à abandonner l’affaire et les accusations. Ces règlements extrajudiciaires ont parfois entravé le processus judiciaire.
Les obstacles courants qui empêchent les victimes et les témoins de l’OCSEA de coopérer dans les procédures pénales comprendraient notamment la lenteur du processus judiciaire, la bureaucratie conduisant à une enquête et à des poursuites prolongées et l’absence d’une approche centrée sur la victime. Par exemple, les survivants doivent souvent comparaître plusieurs fois devant le tribunal pour les audiences, ce qui accroît le risque de revictimisation. Les victimes étrangères préfèrent souvent retourner dans leur pays d’origine plutôt que de porter plainte sans connaître le délai du processus.
Pratiques encourageantes
Sensibilisation
Les gouvernements des trois pays cibles ont de plus en plus mis en œuvre des campagnes de sensibilisation aux signes d’exploitation sexuelle des enfants, à la sécurité sur Internet, à la protection des données à caractère personnel ainsi qu’aux services dans les réseaux sociaux en ligne qui sont destinées aux enfants et aux personnes chargées de s’occuper des enfants.
En Côte d’Ivoire, la campagne 2021-2022 « Réinventons une Côte d’Ivoire sans violence faite aux enfants » a également engagé des multi-parties prenantes, notamment le gouvernement, le secteur privé et les médias traditionnels et sociaux, à collaborer et à fournir des solutions innovantes pour éliminer la violence à l’égard des enfants. En outre, le gouvernement ivoirien a signé des accords formels avec l’opérateur de téléphonie mobile MTN pour sensibiliser le public à l’OCSEA dans le pays à travers plusieurs campagnes numériques ciblant les parents, les enseignants et les enfants utilisateurs d’Internet.
Renforcement des compétences du personnel
Il existe des plateformes qui permettent aux pays de renforcer les compétences de leur personnel pour lutter contre l’OCSEA. Pour les représentants des services répressifs, l’ACAMS (la plus grande organisation internationale dédiée aux professionnels de la lutte contre la criminalité financière) propose un cours en ligne gratuit pour mieux comprendre le CSEAM et l’évolution de la technologie qui le facilite. La formation donne une vue d’ensemble exhaustive des actifs cryptographiques et des techniques du renseignement de source ouverte (RSO) pour améliorer les enquêtes, ainsi que des connaissances pratiques tirées d’études de cas visant à mettre fin à l’OCSEA.
Formation de coalitions
Au niveau régional, le Groupe de travail régional pour la protection de l’enfance, qui a été créé en 2019 en tant que coalition de 15 organisations de la société civile et ONG internationales, a pour objectif commun de renforcer les mesures de protection de l’enfance dans la région de l’Afrique de l’Ouest. Selon les experts, ce groupe de travail régional est davantage un mécanisme de coordination qu’un moyen de mettre en œuvre des projets conjoints. Leur objectif principal est de consolider la protection en ligne des enfants et des jeunes migrants à Cabo Verde en renforçant le réseau national de parties prenantes et leur formation sur le mécanisme et les outils standard. Le projet multi-parties prenantes capverdien OBSERVE vise à établir des mécanismes de lutte contre la traite des êtres humains, ainsi qu’à faciliter l’identification et la protection des victimes, y compris les victimes d’OCSEA.
Bonnes pratiques mondiales en réponse à l’OCSEA : tirer parti de l’expérience de l’Asie
À l’échelle mondiale, les réponses ont pris du retard par rapport à l’accélération de l’OCSEA, et il est essentiel de tirer parti des meilleures pratiques émergentes à l’échelle internationale. À ce jour, le modèle de réponse nationale (MRN) de WeProtect Global Alliance est l’un des cadres les plus pertinents et les plus sophistiqués conçus pour guider les réponses nationales à l’OCSEA. Le cadre se compose de 20 compétences nécessaires pour traiter l’OCSEA. Celles-ci sont classées en six domaines thématiques : politique, législation et gouvernance ; justice pénale ; soutien aux victimes et leur autonomisation ; société et culture ; industrie ; et, recherche et données.
Selon l’enquête de l’UNICEF sur les réponses mondiales à l’OCSEA, très peu de pays disposent d’une unité spécialisée ; au lieu de cela, la plupart mandatent leurs unités de lutte contre la cybercriminalité pour enquêter sur l’exploitation sexuelle des enfants. Cette approche favorise un manque de sensibilisation à l’OCSEA et à l’absence d’approches sensibles aux enfants et au genre.
En ce qui concerne la justice pénale, le MRN recommande en outre que les procureurs et les magistrats reçoivent une formation spécialisée sur l’OCSEA, la mise en place d’un système de gestion des délinquants qui offre des programmes de réadaptation aux délinquants et l’utilisation de la base de données ICSE d’INTERPOL.
Le Plan d’action régional est un exemple de la mise en œuvre réussie du cadre du MRN, car il favorise une approche multi-parties prenantes et sectorielle pour lutter contre l’OCSEA. Un autre exemple de programme de recherche novateur est le projet Disrupting Harm financé par le End Violence Fund. L’objectif est de produire des données probantes de haute qualité sur la façon dont la technologie pourrait faciliter l’exploitation sexuelle des enfants et de concevoir des feuilles de route adaptées aux pays afin de renforcer leurs systèmes de prévention et de réponse. Des pays comme le Cambodge, l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, la Thaïlande et le Viêt Nam contribuent à ce projet de recherche en impliquant directement les parents et les victimes d’abus.
Rôle des acteurs de la technologie dans la réponse à l’OCSEA
Les acteurs de la technologie jouent un rôle crucial dans la prévention et la détection de l’OCSEA ainsi que dans les poursuites pour OCSEA, notamment en élaborant et en mettant en œuvre des mesures de détection, de signalement et de suppression du CSEAM de ses plateformes. En général, ces mesures comprennent la prévention du CSEAM en : appliquant des mécanismes et des politiques centralisés de sauvegarde ; mettant en œuvre des approches de « sécurité dès la conception » qui adaptent les produits aux besoins de l’utilisateur ; investissant dans les technologies d’intelligence artificielle et d’apprentissage automatique afin d’identifier et de signaler de nouveaux CSEAM potentiels ; partageant les renseignements, les expériences et les enseignements tirés avec d’autres acteurs du secteur privé et de la société civile ; et, en collaborant avec des agences internationales chargées de l’application des lois telles qu’INTERPOL pour traquer et poursuivre les délinquants.
Renforcement des exigences réglementaires
De nombreuses entreprises de TIC actives en Afrique de l’Ouest, mais ayant leur siège ou des bureaux dans d’autres pays disposant des mesures réglementaires de prévention, de détection et de signalement d’OCSEA doivent se conformer à ces réglementations. Les efforts de conformité déployés au niveau central renforcent également les mesures prises au niveau de la CEDEAO. Cependant, l’absence de lois nationales amenuise la responsabilité locale. L’absence (ou l’application limitée) des exigences légales nationales imposées aux fournisseurs de services électroniques de signaler les cas d’OCSEA aux unités nationales de lutte contre la cybercriminalité est l’un des principaux défis à relever.
Coopération limitée avec les agences chargées de l’application des lois
La coopération entre le secteur privé et les services répressifs est limitée. Les entreprises multinationales ont exprimé leur frustration face au fait que de nombreux signalements de l’industrie n’ont pas été correctement traités par la police locale. Pendant ce temps, les services répressifs ont du mal à collaborer avec le secteur privé en raison de l’identification incorrecte des fournisseurs d’accès, des bureaucraties et des longs délais dans l’obtention de permis légaux pour accéder aux informations à caractère personnel d’un utilisateur de plateforme auprès d’un procureur
Engagement multi-parties prenantes à la traîne
L’engagement multi-parties prenantes plus large dans la lutte contre l’OCSEA – avec le gouvernement, le secteur privé, la société civile et les organisations internationales des Nations Unies et les services répressifs– s’améliore dans la CEDEAO. Toutefois, cet engagement demeure faible par rapport à l’évolution dans d’autres régions. Par exemple, Meta, Western Union et d’autres entreprises multinationales qui opèrent dans la région ont fait état d’une étroite collaboration avec d’autres entités du secteur privé telles que LinkedIn, se réunissant régulièrement via une coalition technologique mondiale pour échanger et partager des hachages, des expériences et une collaboration intersectorielle.
L’exploitation sexuelle des enfants en ligne est un crime qui découle de deux faiblesses : la sensibilisation en ligne et la capacité d’intervention ; et, celle de la sensibilisation à la traite des êtres humains, à l’exploitation sexuelle et à l’exploitation des jeunes et de la capacité d’intervention. Il est donc particulièrement crucial de renforcer le rôle de la société civile dans les deux domaines d’intervention.
Recommandations
À l’intention de la CEDEAO
- Élaborer une directive relative à la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants telle que facilitée par la technologie ; une telle directive devrait également inclure l’harmonisation des lois, des peines, des termes et des définitions statistiques entre les États membres, ainsi que la formalisation des canaux et voies de collaboration et d’enquête transfrontaliers.
- Soutenir les efforts régionaux et internationaux de renforcement des capacités pour améliorer les mesures de politiques et les mesures opérationnelles afin qu’elles tiennent compte de l’intérêt supérieur des enfants dans l’espace numérique, y compris le partage d’outils performants d’apprentissage et de sensibilisation.
- Assurer à l’échelle internationale et régionale une coordination efficace des travaux entre les diverses organisations et les différents organismes intervenant dans le soutien des efforts gouvernementaux, notamment en organisant régulièrement des tables rondes régionales intersectorielles.
À l’intention des États membres
- Continuer d’améliorer l’éducation numérique des enfants, des écoles et des adultes, y compris en ce qui concerne l’hygiène digitale et les risques d’OCSEA.
- Mettre en place des groupes de travail régionaux pour faciliter l’échange de bonnes pratiques et travailler sur des initiatives concrètes pour produire des résultats tangibles. Les groupes de travail pourraient être organisés par corps de métiers (tels que les professionnels de la santé, les travailleurs sociaux, les éducateurs, les services répressifs, les autorités judiciaires, les autorités pénitentiaires, les décideurs politiques et les chercheurs).
- Devenir membre du réseau INHOPE (un réseau international de hotlines).
À l’intention des services répressifs et des entités de justice pénale
- Développer et dispenser des programmes de formation spécialisés sur l’OCSEA tout au long de la chaîne de justice pénale, y compris pour les académies de police et les centres de formation pour les juges et les procureurs.
- Mener une évaluation des besoins en formation et établir des plans annuels spéciaux pour le développement professionnel de toutes les parties prenantes intervenant dans l’architecture de prévention et de protection de l’enfance.
- Élaborer des protocoles nationaux restreignant l’accès aux contenus pédopornographiques, facilitant leur détection, leur investigation et leur suppression, étant donné que la plupart des renseignements régionaux proviennent de sources et d’expertises extérieures (NCMEC, base de données ICSE d’INTERPOL, IWF, etc.).
- Établir une base de données nationale unique permettant d’enregistrer les affaires signalées d’OCSEA avec des
numéros d’affaires individuels afin d’éviter les doublons et fournir des données désagrégées appropriées.
- Compléter les stratégies nationales par des plans d’action locaux.
- Faire participer les enfants, y compris les enfants survivants, au processus d’élaboration et de mise en œuvre de divers plans d’action nationaux.
- Améliorer les lignes de communication directes entre les policiers, les procureurs et les laboratoires des unités de lutte contre la cybercriminalité.
- Tenir régulièrement des réunions conjointes de représentants des services répressifs et des représentants du parquet aux niveaux national et régional.
À l’intention des donateurs internationaux
- Investir dans le renforcement des capacités des ONG et des groupes de la société civile, étant donné que la sensibilisation, la ligne d’assistance téléphonique et le signalement, la déstigmatisation, l’aide aux victimes et la protection sont des activités communautaires que la société civile et les ONG locales sont les mieux placées pour mettre en œuvre.
- Améliorer la coordination des donateurs et les initiatives de renforcement des capacités de suivi. Mettre l’accent sur des modules spécialisés plutôt que sur une formation générique et soutenir la mise en place d’un mécanisme structuré de gestion des connaissances pour s’assurer de la conservation de l’expertise institutionnelle par le biais de rotations individuelles.
- Soutenir la tenue d’une formation régionale sur l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales, en particulier à l’intention des unités de lutte contre la cybercriminalité, des procureurs et des unités chargées de la répression, au lieu de cibler des pays individuellement.
- Encourager les pays de la CEDEAO à participer aux efforts de collaboration entre la CEDEAO, l’Union africaine (UA) et les groupes internationaux afin d’identifier les enfants à risque dans les signalements CyberTipline du NCMEC ou dans les bases de données ICSE d’INTERPOL, d’IWF et d’INHOPE.
À l’intention des acteurs de la technologie
- Disposer d’un mécanisme de signalement (par exemple, d’une ligne directe) facilitant la surveillance, la réception et la reconnaissance des URL comportant du contenu CSEAM et/ou du CSEAM transmis via leurs réseaux, plateformes et/ou dispositifs et services de communication électronique. Un tel mécanisme devrait permettre une coordination avec les autorités afin d’enquêter sur un tel contenu et le supprimer.
- Veiller à ce que les plateformes en ligne renforcent leurs mesures de sécurité et de protection, et, promeuvent et facilitent les services d’orientation et d’assistance téléphonique en matière de sécurité des enfants.
- Collaborer de manière plus proactive avec les ONG locales, en particulier en ce qui concerne le partage des connaissances, des expériences et de l’information, la sensibilisation des employés des technologies de l’information et de la communication (TIC), les garde-fous et les mécanismes de protection des victimes.
- Développer et mettre en œuvre des fonctionnalités de « sécurité par défaut », telles que bloquer automatiquement les utilisateurs non connus, dans le but de les empêcher d’entrer en contact et d’envoyer des messages aux utilisateurs mineurs sur les plateformes de réseaux sociaux, aidant ainsi les utilisateurs mineurs à se protéger et à signaler les activités suspectes.
- Travailler en étroite collaboration avec le gouvernement pour élaborer un cadre qui assurerait la cohérence de la collaboration et des interventions intersectorielles, à partager les pratiques modèles et à s’entendre sur ce que l’on devrait attendre des fournisseurs d’accès pour protéger leurs utilisateurs
contre les comportements et les contenus abusifs en ligne.
- Améliorer le régime de responsabilité limitée des fournisseurs d’accès intermédiaires, ainsi que le domaine non réglementé des procédures de notification et de suppression. Les entreprises de TIC devraient établir des protocoles ainsi que des procédures et des politiques claires concernant la suppression des contenus illégaux ou inappropriés des plateformes et des services qu’elles fournissent.
À l’intention des organisations de la société civile et des ONG
- Collaborer avec le secteur privé et le gouvernement afin d’apporter une réponse à l’OCSEA.
- Contribuer aux campagnes de sensibilisation multi-parties du public, afin d’exposer et réduire la stigmatisation des victimes/survivants d’OCSEA et d’infractions sexuelles à différents niveaux : avec les enfants et les parents, ainsi que dans les communautés et au sein de la société en général.
- Former le personnel aux approches centrées sur l’enfant et qui tiennent compte des traumatismes, lorsqu’il travaille avec les victimes et les survivants d’OCSEA.
- Promouvoir la formation des professionnels de la protection de l’enfance et de la santé à l’intégration de contenus pertinents pour leurs principaux thèmes, tels que la santé mentale et le soutien psychosocial, la communication des risques et les contenus en lien avec l’acquisition des compétences de la vie courante (ou psychosociales).
À l’intention des pays cibles
Nous présentons ci-dessous dans ses grandes lignes une série de recommandations propre à chaque pays à l’intention des services répressifs, du système de justice pénale et des décideurs politiques.
Côte d’Ivoire
À l’heure actuelle, les cadres de lutte contre la traite des êtres humains ne sont pas utilisés de façon à permettre d’engager des poursuites pour des cas d’OCSEA. Cependant, les lois relatives à la cybercriminalité, telles que la loi n° 2013-451 du 19 juin 2013, sont appliquées. Il faudrait utiliser les cadres juridiques de protection de l’enfance pour répondre aux affaires d’OCSEA, car ils adoptent généralement une approche plus centrée sur la victime et augmentent les chances d’identifier les affaires de traite des êtres humains.
Les recommandations sont les suivantes :
- Continuer à dispenser une formation spécifique sur l’OCSEA aux services répressifs, aux enquêteurs et aux praticiens de la justice pénale, afin de développer et de renforcer leurs capacités et leurs compétences.
- Mener des campagnes multi-parties prenantes de sensibilisation du public pour aborder et réduire la stigmatisation des victimes/survivants de l’OCSEA et des infractions sexuelles, et, surveiller les impacts sur le changement de comportement.
- Inclure dans la loi relative à la lutte contre la cybercriminalité des dispositions qui :
- tiennent compte des représentations des organes sexuels d’un enfant dans la définition du CSEAM ;
- excluent la responsabilité pénale pour tout enfant impliqué dans la production et la distribution de contenu CSEAM auto-généré.
- Criminaliser l’accès délibéré au CSEAM, ou la sollicitation ou l’obtention de relations sexuelles avec des enfants.
- Adhérer à la Convention de Lanzarote.
- Ratifier la Convention de Budapest sur la cybercriminalité.
- Élaborer et mettre en œuvre un plan d’action national spécifique pour lutter contre l’exploitation et les abus sexuels des enfants et l’exploitation et les abus sexuels des enfants en ligne .
- Désigner une unité dédiée à la lutte contre la cybercriminalité pour gérer et agir sur la base des signalements d’OCSEA concernant le pays et provenant de la CyberTipline du NCMEC, de la base de données ICSE d’INTERPOL et du portail Afrique sur la sécurité des enfants en ligne de l’IWF et de MTN.
