Auteurs : Pétanhangui Arnaud Yéo, Kaphalo Ségorbah Silwé, et Joseph Koné
Site de publication: Afrobaromètre
Type de publication : Document de politique
Date de publication : Mars 2021
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Introduction
« Le bien-être des citoyens dépend du fait qu’ils bénéficient d’une sécurité personnelle, qui leur garantit ainsi qu’à leurs propriétés d’être exempts de violence et de vol », d’après le Legatum Institute (2019). « Un environnement sûr et stable est nécessaire pour attirer les investissements et soutenir la croissance économique. En bref, une nation ne peut prospérer que dans un environnement de sécurité et de sûreté pour ses citoyens ».
Fort de ces enjeux, tout État du monde devrait avoir la sécurité au cœur de ses priorités . La Côte d’Ivoire n’est pas une exception. Au sortir de la crise post-électorale qu’elle a connue en 2010, ses institutions de sécurité nationale n’avaient plus les capacités structurelles et humaines nécessaires pour assurer non seulement la protection adéquate des citoyens, mais aussi la paix et la réconciliation nationale. C’est ainsi que le gouvernement va décider d’asseoir une réforme du secteur de la sécurité (RSS) en 2012. Celle-ci a consisté à réorganiser les Forces de Défenses et de Sécurité (FDS), à les former, les équiper, et les déployer sur toute l’étendue du territoire.
Par exemple, la Côte d’Ivoire est classée 132e sur 167 pays d’après le sous-indice de sécurité et sûreté du Legatum Prosperity Index (Legatum Institute, 2019), qui utilise comme indicateurs les guerres et conflits civils, le terrorisme, la terreur et la violence politique, les crimes violents, et les crimes liés à la propriété.
Dans un autre classement moins flatteur, effectué à partir du sous-indice de sécurité individuelle du Social Progress Index (Social Progress Imperative, 2020), tenant compte des mesures du taux d’homicides, du niveau de crimes violents, des perceptions de la criminalité, du niveau de terreur politique, et des décès lors de trafics, le pays se positionne à la 128e place sur 163. Quant au sous-indice ordre et sécurité du World Justice Project (2020) Rule of Law Index, il positionne notre pays à la 84e place sur 128, prenant en considération les absences de crime, de conflit violent, et de réparation violente.
Un sentiment d’insécurité en progression
Si le système sécuritaire de la Côte d’Ivoire a été dans l’ensemble fortement affecté durant la période 1999-2011, qui fut marquée par des crises socio-politiques et armées, le gouvernement a toutefois mené des actions qui ont permis de le restructurer. Un appui à la formation et au renforcement des Forces de Défense et de Sécurité (FDS) sur tout le territoire national a été réalisé à cet effet. Si cela a amélioré globalement la situation sécuritaire dès le départ, force est de constater que tous les Ivoiriens ne perçoivent pas aujourd’hui une réelle avancée.
Les données traduisent dans un sens une détérioration du climat sécuritaire. La proportion de ceux qui disent s’être sentis en insécurité dans leur quartier « juste une ou deux fois », « quelques fois », « plusieurs fois », ou « toujours » au cours de l’année précédant l’enquête est en augmentation de 13 points de pourcentage entre 2014 (36%) et 2019 (49%). Juste la moitié (51%) des citoyens affirment ne s’être « jamais » sentis en insécurité dans leur quartier, contre 64% en 2014.
D’un point de vue socio-démographique, il ressort que les ruraux sont plus susceptibles de se sentir en sécurité que les citadins: 60% déclarent ne s’être « jamais » sentis en insécurité en milieu rural, contre 44% en ville. Au niveau de l’instruction, seulement 41% de ceux avec le niveau post-secondaire disent n’avoir « jamais » ressenti de l’insécurité dans leur quartier, contre 59% pour ceux qui n’ont aucun niveau formel. L’on souligne aussi que moins de jeunes que de personnes âgées estiment ne s’être « jamais » sentis en insécurité, alors qu’on ne constate pas de différence statistique entre les hommes et les femmes.
Un manque de confiance aux Forces de Défense et de Sécurité
De 2013 à 2019 en Côte d’Ivoire, la tendance des citoyens qui expriment un manque de confiance envers les Forces Armées et la police/gendarmerie est supérieure à 50%, excepté en 2017. En 2019, 55% des citoyens ne leur font « pas du tout » ou « juste un peu » confiance. L’on peut faire le constat que pour des institutions aussi sensibles, et qui dans le meilleur des cas devraient plutôt faire l’unanimité, une telle proportion paraît réellement insuffisante.
Au rang des critiques qui sont régulièrement formulées à l’encontre des Forces de Défense et de Sécurité figure la corruption. Par exemple, 58% des Ivoiriens estiment que « la plupart » ou « tous » les policiers ou gendarmes sont impliqués dans des actes de corruption, un accroissement de 21 points de pourcentage depuis 2013.
La situation de la criminalité en Côte d’Ivoire
La criminalité se définit comme un ensemble d’actes criminels et délictueux. Les agressions physiques ou à main armée, les vols, les meurtres, et les viols en sont ses illustrations courantes dans les communautés. Si ces actions constituent une préoccupation pour le gouvernement ivoirien, elles suscitent également des craintes pour les citoyens. D’après les analyses, plus d’un quart de la population (27%) reconnaissent avoir craint, au cours de l’année écoulée, de subir un crime dans leur maison, une proportion qui était de 20% en 2014 et 23% en 2017.
Un fort ancrage des conflits violents en Côte d’Ivoire
Les conflits violents ont souvent des relents politiques, communautaires, ou idéologiques. Dans un contexte de forte déstabilisation du climat social, la Côte d’Ivoire se retrouve ainsi fortement exposée. À cet effet, les opinions des Ivoiriens sur l’ancrage des conflits violents ne laissent aucun doute.
Au niveau politique, la méfiance et l’intolérance entre les partisans du pouvoir et des partis politiques d’opposition est telle qu’il est difficile de parler politique librement. Le climat de tension perpétuellement entretenu justifie ce fait. En moyenne de 2013 à 2019, ce sont neuf Ivoiriens sur 10 qui estiment que les gens doivent « souvent » ou « toujours » faire attention à ce qu’ils disent en politique.
Dans la même veine, en moyenne huit Ivoiriens sur 10, de 2013 à 2019, estiment que la compétition entre les partis politiques mène « souvent » ou « toujours » aux conflits violents. Ces données confirment chez les citoyens une forte perception de la terreur et de la violence politiques.
Suite aux attaques extrémistes perpétrées dans le pays depuis 2016, on suppose que les tendances similaires de 2017 et 2019 pourraient s’appuyer sur deux hypothèses plausibles. L’une, propre à une majorité des Ivoiriens, vise à ne pas reconnaître à l’extrémisme un fort ancrage au sein des communautés tandis que l’autre, typique à une minorité d’Ivoiriens, tend à considérer qu’il existe des germes de l’extrémisme dans la société ivoirienne que l’on ne peut ignorer au vu des attaques que le pays a subi en 2020.
Conclusion
À l’heure où la Côte d’Ivoire est en quête de stabilité politique et économique, la sécurité demeure une question préoccupante. Comme en témoigne les données Afrobarometer, le sentiment d’insécurité au sein des communautés ne cesse de croître. Les résultats font ressortir, en effet, que de nombreux Ivoiriens continuent de ressentir au quotidien de grandes appréhensions par rapport aux fléaux de criminalité et de conflits violents existant dans leur pays.
Ces inquiétudes exprimées s’accompagnent également d’une forte insatisfaction par rapport aux performances du gouvernement pour les prévenir ou les résoudre. Au regard de l’environnement sociopolitique délétère en raison des violences et des sérieuses atteintes à la paix sociale, le gouvernement devrait poursuivre ses efforts pour permettre au pays d’atteindre un niveau de sécurité conforme aux standards internationaux.
