Auteur : International Crisis Group
Site de publication : ICG
Type de publication : Policy brief
Date de publication : Avril 2024
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Les Arabes Choa et les Mousgoum : le Casus Belli
L’Extrême-Nord est l’une des régions les plus peuplées et les moins développées du Cameroun, avec plus de trois millions d’habitants et un taux de pauvreté supérieur à 74 pour cent. Malgré les difficultés auxquelles ses habitants sont confrontés, la région est stratégiquement cruciale pour le président Paul Biya en raison de l’importance de sa population en âge de voter et de son soutien indéfectible au parti au pouvoir, le Mouvement démocratique du peuple camerounais.
Des groupes sédentaires, nomades et semi-nomades cohabitent dans le Grand Nord depuis des siècles, mais non sans frictions. Des conflits ont éclaté entre les Arabes Choa et les Kotoko (souvent soutenus par les Mousgoum) dans les années 1970 et 1980, tandis qu’au début des années 1990, les deux groupes ont cherché à dominer le pouvoir politique pendant la transition du Cameroun vers une démocratie électorale multipartite. D’après les experts, l’Extrême-Nord, tout comme le reste du Sahel, est très vulnérable aux chocs climatiques. Les températures élevées et les pluies irrégulières réduisent la quantité d’eau disponible pour les communautés de pêcheurs et les pâturages pour les éleveurs. En 2021, une grave sécheresse a rendu les conditions encore plus difficiles que d’habitude.
Du bétail noyé et des affrontements en 2021
Le conflit entre les Arabes Choa et les Mousgoum illustre comment les changements climatiques peuvent contribuer à exacerber les tensions communautaires. Pendant la saison sèche, les pêcheurs Mousgoum du département du Logone-et-Chari creusent souvent de grands bassins dans les plaines inondables de la rivière Logone, un moyen peu coûteux mais laborieux pour piéger l’eau et les poissons. Au fur et à mesure que les saisons sèches deviennent plus chaudes et plus sèches, ils creusent de plus en plus de bassins, avec un risque pour les vaches. En août 2021, la vache d’un éleveur Arabe Choa s’est noyée après être restée coincée dans l’un de ces bassins creusés par un Mousgoum. Furieux, des Arabes Choa de l’arrondissement de Logone-Birni ont donné un ultimatum aux Mousgoum locaux pour qu’ils remplissent les bassins de terre afin d’empêcher d’autres bovins d’être piégés. Les Mousgoum ont refusé l’ultimatum et les Arabes Choa sont passés à l’attaque.
L’accrochage a rapidement dégénéré en une série d’attaques. La violence a gagné tout le département du Logone-et-Chari, y compris Kousseri, où le fleuve Logone constitue une frontière naturelle avec la capitale tchadienne, N’Djamena. Les deux camps ont attaqué leurs villages respectifs en utilisant des couteaux, des arcs et des armes à feu artisanales. Dans certains cas, ils ont également agressé sexuellement ou tué des femmes en guise de punition collective avant de mettre le feu aux maisons.
Les autorités locales ont pris plusieurs mesures pour endiguer la violence. En décembre, les administrateurs ont interdit la circulation des bateaux sur la rivière. A Kousseri, les autorités ont mis en place un comité de crise de vingt membres comprenant des représentants des Arabes Choa et des Mousgoum – dix membres de chaque groupe – afin d’ouvrir le dialogue. Le comité a pourtant eu du mal à progresser, car de nouveaux combats ont éclaté en ville quelques jours seulement après une réunion de réconciliation organisée début décembre. Selon les autorités, une centaine de personnes ont trouvé la mort dans les affrontements intercommunautaires entre août et décembre 2021. Mais les habitants ont déclaré à Crisis Group que ce chiffre est probablement sous-estimé, compte tenu de l’ampleur des destructions et du temps qu’il a fallu aux forces de sécurité pour arriver à calmer les esprits.
Ce sont au total environ 100 000 personnes, principalement des femmes et des enfants, qui ont fui les violences, ce qui a généré des urgences humanitaires au Cameroun et au Tchad. Les autorités de N’Djamena ont été les premières à tirer la sonnette d’alarme. En décembre 2021, le président Mahamat Déby Itno a déclaré que le Tchad avait accueilli près de 30 000 Camerounais. L’afflux de réfugiés a incité Mahamat Déby à poster des gardes le long du fleuve Logone et à empêcher les Arabes Choa et les Mousgoum locaux d’ envoyer des armes au Cameroun.
Yaoundé avait jusque-là gardé le silence, probablement parce que reconnaître des violences aurait pu nuire à l’image de paix et de stabilité que le gouvernement préfère donner à l’Extrême-Nord. Des officiels régionaux ont visité le Logone-Birni quelques jours après la fin des affrontements, tandis que des forces de sécurité ont été déployées dans plus d’une centaine de villages de la région. Peu nombreuses et avançant sur un terrain inondé, ces troupes ont malgré tout réussi à disperser la plupart des combattants et à en arrêter des centaines, principalement des hommes. Les autorités ont autorisé les organisations humanitaires à mettre en place des camps pour quelque 15 000 personnes déplacées à Maroua et à Bogo, dans le département du Diamaré, à l’écart de la principale zone de conflit et sous la surveillance de comités de vigilance non armés (ces camps sont toujours en place aujourd’hui).
Mais ces actions n’ont pas permis de couvrir la plupart des besoins. Les agences d’aide ont également mis beaucoup de temps à prendre en compte le conflit entre Arabes Choa et Mousgoum dans leurs programmes régionaux. Ce n’est qu’en 2023 que le Fonds des Nations unies pour la consolidation de la paix a aidé le ministère camerounais de la justice et les autorités locales à mettre en place des comités villageois d’alerte et de concertation en réactivant la justice traditionnelle. L’objectif de ces comités est de surveiller les tensions au sein des communautés, de résoudre les conflits et de signaler les menaces de violence aux responsables administratifs et de sécurité. En novembre 2023, ces comités ont permis d’éviter un nouveau cycle de violence en informant l’armée qu’il fallait qu’elle déploie des patrouilles dans des zones où les tensions couvaient. Mais ils ne sont pas assez nombreux. A ce jour, des comités ont été mis en place dans seulement dix des quelque cent villages où se sont déroulés les combats de 2021, principalement dans l’arrondissement du Logone-Birni.
Affrontements épisodiques et tensions en continu
Depuis 2022, un calme précaire ponctué de violences s’est installé dans le département de Logone-et-Chari. Les communautés Arabe Choa et Mousgoum se tiennent de plus en plus éloignées l’une de l’autre, et dès que la question de l’accès aux ressources ressurgit, la situation dégénère rapidement. De nombreux habitants craignent qu’un nouveau cycle de violence n’attire des groupes ethniques qui jusque-là sont restés en marge du conflit entre Arabes Choa et Mousgoum. Certaines communautés se sentent plus proches des Mousgoum et d’autres des Arabes Choa. Les Kotoko, par exemple, sont essentiellement sédentaires, comme les Mousgoum, avec lesquels ils ont des liens sociaux et culturels, alors que les Peuls, qui sont généralement des éleveurs, ont plus d’affinités avec les Arabes Choa.
Les autorités surveillent la situation de très près, mais jusqu’à présent, elles n’ont pas fait grand-chose pour résoudre les problèmes sous-jacents, et la population vit toujours dans la terreur. Le gouvernement a encouragé la consolidation de la paix par des discussions entre les chefs traditionnels et religieux. Ces dialogues excluent généralement les femmes et les jeunes leaders, qu’ils aient ou non été victimes des affrontements, ainsi que les auteurs de violences. Ces initiatives ont généralement échoué. Après la visite d’une délégation pour la paix composée de hauts représentants de la région en août 2021, les violences ont repris le mois suivant. Les administrateurs locaux ont également annulé en mai 2023 une réunion pour la paix convoquée par le président de l’Assemblée nationale, originaire de l’Extrême-Nord, craignant qu’elle n’attise la colère de la population. Il n’existe plus de vie citoyenne à proprement parler dans les villes les plus durement touchées.
Les fragilités de l’Extrême-Nord
Les habitants de l’Extrême-Nord sont plus nombreux que ceux de toute autre région du Cameroun à vivre de l’agriculture, de la pêche ou de l’élevage, ce qui rend la région particulièrement vulnérable en cas de combats qui empêchent les populations d’accéder aux champs, aux cours d’eau et aux pâturages. L’insécurité alimentaire a considérablement augmenté au cours de la dernière décennie du fait des attaques de Boko Haram et de ses groupuscules. Plus de 80 pour cent des 700 000 personnes déplacées dans l’Extrême-Nord en février 2023 ont fui en raison des violences jihadistes.
Le gouvernement a encouragé la consolidation de la paix par des discussions entre les chefs traditionnels et religieux. Ces dialogues excluent généralement les femmes et les jeunes leaders, qu’ils aient ou non été victimes des affrontements, ainsi que les auteurs de violences. Ces initiatives ont généralement échoué. Après la visite d’une délégation pour la paix composée de hauts représentants de la région en août 2021, les violences ont repris le mois suivant
La menace Boko Haram
Boko Haram a attaqué le Cameroun pour la première fois en mars 2014, mais le groupe avait envoyé des membres du groupe dans l’Extrême-Nord au moins trois ans auparavant. La négligence historique de l’Etat central et les similitudes culturelles avec le nord-est du Nigéria, où l’insurrection jihadiste a vu le jour, ont rendu l’Extrême-Nord vulnérable à l’infiltration jihadiste. Cette insécurité s’est d’autant plus aggravée du fait de la présence de réseaux de contrebande dans la région, du banditisme sur les axes routiers et de criminalité en tout genre, en particulier dans les zones frontalières. Les insurgés ont également utilisé des bases au Tchad et au Niger pour recruter dans ces pays, en faisant appel aux relations ethniques, commerciales et religieuses, tout en exploitant les tensions intercommunautaires le long des frontières où ils opéraient.
Les observateurs craignent que la menace jihadiste, combinée aux tensions intercommunautaires qui couvent, ne rende les conflits plus meurtriers. Boko Haram a déjà exploité à d’autres occasions les difficultés sociales et économiques pour recruter et acquérir une aide logistique locale. Les frictions entre les Arabes Choa et les Mousgoum s’aggravent face à la pénurie de ressources, ce qui pourrait rendre les jeunes hommes, en particulier, plus vulnérables au recrutement ou à la collaboration avec les groupes jihadistes, qui utilisent souvent leurs butins pour subvenir aux besoins de leurs recrues. Les armes sont également faciles à obtenir dans la région.
En réponse aux attaques de Boko Haram, le président Paul Biya a annoncé un programme de reconstruction pour la région en décembre 2019. Le Programme Spécial de Reconstruction et de Développement de la Région de l’Extrême Nord a été conçu pour construire des réservoirs, des routes, des écoles et des cliniques. La démarche était louable, mais il ne s’est pas passé grand-chose pendant les trois années suivantes, au-delà de la sélection des administrateurs du programme par le gouvernement. En octobre 2023, Yaoundé semblait passer à l’étape suivante en déclarant qu’il prévoyait d’investir la somme colossale de 3 milliards de dollars dans la région sur une période de cinq ans.
De nombreux Camerounais doutent que le gouvernement soit en mesure de mener à bien le programme. Pendant la visite des responsables du programme dans la région de l’Extrême-Nord fin 2023, les mauvaises routes, les inondations et l’insécurité ont empêché la délégation d’atteindre le département du Logone-et-Chari, la région la plus touchée par les conflits liés aux ressources. En outre, le budget ambitieux pourrait être une tentative voilée d’obtenir des voix avant l’élection présidentielle prévue pour 2025. Néanmoins, s’il est mis en œuvre comme prévu, le programme pourrait contribuer à stabiliser la région et à apporter un soulagement à ses habitants qui en ont bien besoin.
Pénurie d’eau et inondations
L’accès à l’eau est un combat de tous les jours pour les habitants de l’Extrême-Nord. Un rapport récent des Nations unies qualifie le Cameroun de pays en « insécurité hydrique », en raison des mauvais résultats obtenus en matière de santé, d’assainissement et de disponibilité et de qualité globale de l’eau. Outre les sécheresses, l’Extrême-Nord souffre de plus en plus d’inondations. Les données indiquent que les inondations et les fortes pluies ont été responsables du mouvement de près de 20 pour cent des 700 000 personnes déplacées enregistrées en février 2023.
Les pays de la région ont fait des efforts pour atténuer les tensions liées à l’accès à l’eau. Le Cameroun, le Niger, le Nigéria et le Tchad ont mis en place la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT) en 1964, à laquelle la République centrafricaine et la Libye ont adhéré respectivement en 1996 et 2008. Le rôle de la commission est de gérer le lac et ses eaux associées, de protéger les écosystèmes fragiles de la région et de promouvoir le développement. L’une de ses interventions les plus importantes a été la mise en place d’un système d’alerte précoce des inondations dans le bassin du Logone, qui a couvert le Cameroun et le Tchad entre 2016 et 2020. Selon les déclarations du propre personnel de la CBLT, le réseau de surveillance environnementale autour du lac Tchad est cependant sous-financé et mal géré. La commission a mené à bien plusieurs projets au Cameroun, notamment la plantation d’arbres pour améliorer la qualité des sols dans l’Extrême-Nord, ainsi que la construction de quelques cliniques et écoles. Mais son rôle dans la crise de l’eau de l’Extrême-Nord s’est en fait limité à exhorter le Cameroun et les autres Etats membres à surveiller la situation et à s’adapter à la variabilité du climat.
Le Cameroun a également mis en place l’Observatoire national sur les changements climatiques en 2009 pour évaluer l’impact socio-économique et environnemental du changement climatique et proposer des mesures d’atténuation des risques. Son personnel scientifique effectue régulièrement des missions sur le terrain dans l’Extrême-Nord et publie des alertes saisonnières sur les profils hydriques et thermiques locaux, avec des prévisions à trois et six mois. Pourtant, dans la pratique, il n’a pas le poids nécessaire pour influencer les politiques gouvernementales, et les responsables de la planification économique et les administrateurs le consultent rarement. Malgré l’important travail d’alerte précoce de l’observatoire, peu d’éléments indiquent que les administrateurs locaux intègrent bien ses conclusions dans leurs politiques.
Une gestion foncière opaque et le problème de la corruption
La mauvaise gestion des terres et de l’eau, associée à une corruption omniprésente, risque d’accélérer l’impact des pressions climatiques dans l’Extrême-Nord du Cameroun. La gestion foncière est souvent opaque. Les administrateurs locaux et les chefs traditionnels ont le pouvoir d’attribuer les terres, mais il est souvent difficile de savoir qui a le dernier mot sur les ventes effectives. Par conséquent, un terrain peut être attribué ou vendu à deux personnes différentes, voire plus, avant le démarrage du processus onéreux de délivrance d’un titre de propriété. La méfiance à l’égard des administrateurs fonciers est donc de mise. Des experts ont également indiqué à Crisis Group que les lois et les pratiques régissant le régime foncier, l’eau et le bétail étaient obsolètes.
La corruption à tous les niveaux du gouvernement aggrave le problème, tout comme les inégalités socio-économiques. Les agriculteurs Mousgoum, par exemple, se considèrent comme les propriétaires légitimes des terres, et regardent la majorité des Arabes Choa comme de nouveaux arrivants n’ayant aucun droit juridique sur la région. Nombreux sont ceux qui pensent que les Arabes Choa ne cherchent qu’à gagner de l’argent. Ces suppositions alimentent la croyance largement répandue parmi les Mousgoum selon laquelle les Arabes Choa soudoient les administrateurs pour acquérir des terres sur le territoire des Mousgoum et faire nommer leurs proches comme chefs traditionnels. Pour leur part, les Arabes Choa affirment que les Mousgoum les excluent des plaines fertiles le long du fleuve Logone sans aucune justification, ce qui ne leur laisse d’autre choix que d’utiliser leur poids démographique et financier pour obtenir des terres dans la zone ou pour convaincre les fonctionnaires de trancher les litiges fonciers en leur faveur.
In August 2020, Biya ordered delegations of government ministers to travel to consult with anglophone Cameroonians abroad. Several of these missions met with stiff resistance and were disrupted by anglophone secessionist activists. In response, the authorities in Cameroon have cracked down on anglophone Cameroonians working and living abroad who are suspected of sympathising with the Ambazonian separatist cause. Some have been arrested and imprisoned or deported from ports of entry in Cameroon.
In the wake of growing international pressure, the regime has searched for other strategies to combat the diaspora’s influence. On 17 February 2021, 61 members of Cameroon’s National Assembly wrote to the US Congress to complain about the role of the anglophone diaspora in the conflict.
The efforts of the Cameroonian authorities underline the seriousness with which the government views the contribution of the anglophone Cameroonian diaspora in the ongoing conflict. In contrast to the 1990s, the leadership of the current wave of anglophone nationalists, particularly those in the diaspora, is remarkably youthful. In addition to pursuing international litigation (…), the younger generation has been much more effective in exploiting new digital technologies to promote their cause. This has allowed them to establish a considerable presence in the media (especially online media), from a range of online news blogs (including Bareta News and National Telegraph) to audio-visual platforms (such as SCBC) and social media (…).
While Cameroonian authorities deploy their repressive machinery to suppress dissent or opposition at home, including arresting and detaining journalists and occasionally shutting down the internet, the anglophone Cameroonian diaspora cannot be readily affected by such repression. This digital media infrastructure has also given considerable influence and power to the anglophone separatists abroad in terms of shaping the narrative of the anglophone struggle in Cameroon.
Despite its successes so far in resisting the repression and violence, the anglophone Cameroonian separatist movement, including those in the diaspora, has become fragmented. The main causes of strife are differing views on the strategic direction of the movement, emerging rivalry among the different separatist forces and struggles for control over financial resources which come from donations. Ultimately, these divisions could prove to be too deep. Already, there is growing uncertainty about the leadership and ability of the separatist movement to negotiate with the Cameroonian authorities in such volatile circumstances.
