Auteurs : CNDH
Site de publication : Cndh.ci
Type de publication : Rapport
Date de publication : Février 2022
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Introduction
Le droit à la santé est un droit fondamental qui doit être garanti à toute personne, y compris celles privées de liberté. En Côte d’Ivoire, la situation sanitaire dans les établissements pénitentiaires soulève de nombreuses préoccupations en matière de respect des droits humains et de dignité des détenus. Le Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH) a publié en février 2022 un rapport d’enquête approfondi portant sur le droit à la santé dans les prisons ivoiriennes. Ce document met en lumière les conditions sanitaires, les défis rencontrés et les pistes d’amélioration pour assurer une prise en charge médicale digne et efficace des personnes incarcérées.
Normes internationales et nationales sur le droit à la santé
Le droit à la santé est reconnu internationalement notamment par l’article 12 du Pacte International relatif aux Droits Économiques, Sociaux et Culturels (PIDESC) qui énonce le droit de toute personne à jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle puisse atteindre.
La Constitution ivoirienne consacre également ce droit dans son article 17 qui stipule que toute personne a droit à la protection de sa santé.
Par ailleurs, la Côte d’Ivoire a ratifié plusieurs instruments internationaux relatifs aux droits humains applicables au droit à la santé, tels que :
- La Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples qui, en son article 16, garantit le droit à la santé.
- Les Règles Mandela qui précisent les garanties de soins pour les détenus, soulignant que les soins médicaux doivent être équivalents à ceux disponibles dans la société libre.
Ces normes fixent les obligations de l’État quant à la disponibilité, l’accessibilité, l’acceptabilité et la qualité des services de santé, particulièrement pour les groupes vulnérables dont les détenus.
Présentation des résultats
Données sur la population carcérale à la date du 24 février 2022
Au 24 février 2022, les établissements pénitentiaires ivoiriens comptaient une population totale de 20 310 détenus pour une capacité officielle d’environ 6 300 places, révélant une situation chronique de surpopulation carcérale.
Situation de l’exercice du droit à la santé dans les établissements pénitentiaires
Organisation sanitaire dans les établissements pénitentiaires
Les prisons disposent d’unités sanitaires internes structurées en postes ou infirmeries, certains établissements de taille plus importante disposent d’infirmeries mieux équipées.
Capacité d’hospitalisation
La capacité d’hospitalisation est très limitée avec un nombre de lits insuffisant face à l’effectif carcéral. Certains établissements ne disposent pas d’aucune capacité d’hospitalisation propre.
Personnel de santé
Le personnel médical est très insuffisant, avec une présence inégale selon les établissements. La majorité des agents sont des infirmiers, très peu de médecins sont affectés à ces établissements.
Infections récurrentes
Les infections les plus fréquentes sont les infections respiratoires, les maladies dermatologiques, les pathologies gastro-intestinales, ainsi que les maladies chroniques comme le diabète et l’hypertension.
Appréciation du plateau technique
Les équipements médicaux sont rares, vétustes ou absents dans beaucoup de structures, limitant l’accès aux diagnostics et aux soins spécialisés.
Prise en compte des besoins spécifiques des personnes vulnérables
Peu de mesures spécifiques sont observées pour les détenus vulnérables, notamment les femmes, les personnes âgées, ou atteintes de maladies chroniques.
L’exécution des billets de sortie/référencements
Les sorties sanitaires pour soins extérieurs sont souvent retardées ou difficiles à obtenir, ce qui impacte négativement la prise en charge médicale.
Situation de la Covid-19 dans les établissements pénitentiaires
Cas détectés et personnes vaccinées
Des cas de Covid-19 ont été détectés dans plusieurs établissements. La campagne de vaccination a ciblé prioritairement les personnels pénitentiaires et les détenus selon les disponibilités.
Difficultés en lien avec la pandémie
Les mesures de prévention (distanciation, hygiène) sont presque impossibles à appliquer compte tenu de la surpopulation et du manque d’équipements. L’équipement en gel hydroalcoolique, masques et désinfectants reste insuffisant.
Analyse des résultats à l’aune des normes des droits de l’Homme sur la santé
Sur l’exercice du droit à la santé dans les établissements pénitentiaires
Les résultats montrent que la capacité d’hospitalisation est très en deçà des effectifs carcéraux, avec une insuffisance générale de médicaments et un accès restreint à certains traitements indispensables.
Selon l’article 12 du PIDESC et la Règle 24 des Règles Mandela, les soins doivent être de qualité équivalente à ceux disponibles dans la société libre, sans discrimination.
Il apparaît donc urgent que l’État augmente la capacité d’hospitalisation dans les prisons, améliore l’équipement des unités sanitaires et assure la disponibilité adéquate des médicaments.
Sur la situation de la Covid-19 dans les prisons
La pandémie a mis en lumière la vulnérabilité du système sanitaire carcéral. La distanciation physique, la prévention et l’équipement ont été insuffisants pour contenir efficacement la propagation du virus.
La vaccination a néanmoins permis de limiter la diffusion et la gravité des cas déclarés.
Recommandations
Le rapport formule plusieurs recommandations précises adressées aux ministères concernés, notamment :
- Renforcer les infrastructures sanitaires dans les établissements pénitentiaires.
- Augmenter les capacités d’hospitalisation des centres de santé pénitentiaires.
- Assurer un recrutement adéquat et une présence régulière de personnel médical qualifié.
- Garantir un approvisionnement suffisant en médicaments essentiels.
- Mettre en place des programmes spécifiques pour les populations vulnérables en prison.
- Améliorer la gestion des sorties sanitaires pour les soins externes.
- Intensifier les campagnes de sensibilisation et de prévention contre la Covid-19.
- Promouvoir la vaccination au sein des établissements pénitentiaires.
- Mettre en œuvre un suivi régulier et un contrôle indépendant des conditions sanitaires en prison.
Conclusion
Les défis majeurs dans l’exercice du droit à la santé en milieu carcéral en Côte d’Ivoire résident dans des infrastructures sanitaires souvent inexistantes ou en mauvais état, le manque d’équipements, la difficulté d’accès aux traitements et la rareté des spécialités médicales.
Cette situation s’inscrit dans un contexte de surpopulation carcérale chronique. La pandémie de Covid-19 a aggravé ces insuffisances, rendant les mesures de prévention difficiles à appliquer. Toutefois, la vaccination a contribué à limiter la propagation au sein des prisons. Il est urgent de renforcer le dispositif sanitaire carcéral afin de garantir aux personnes privées de liberté le droit à la santé conformément aux normes internationales et nationales.
