Auteur : Media Foundation for West Africa
Site de publication: MFWA
Type de publication: Rapport
Date de publication: Décembre 2022
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Introduction
En décembre 2019, quatre mois après la dernière présidentielle en Mauritanie, un vent nouveau de démocratie souffle sur le pays. Le président élu M. Mohamed Cheikh El Ghazouani tend la main à toute la classe politique qu’il invite à participer à un projet de dialogue national inclusif. Dans un pays longtemps sous l’autorité militaire, (1978 – 2007), l’alternance politique en 2019 marquait un nouvel air cependant dans la méfiance, particulièrement au sein des acteurs de la presse constamment à la crainte du retour des vieux démons qui ont pendant des décennies réprimées la liberté d’expression et de presse.
Contexte général
La presse privée mauritanienne, appelée aussi presse indépendante, est née en 1990. En l’absence de journalistes professionnels à l’époque, elle était animée par des professeurs, des enseignants et quelques rares fonctionnaires s’exprimant dans l’anonymat. Cette presse ne comprenait à l’époque, qu’un seul journal indépendant, « Mauritanie Demain ». Ce périodique dérangeait d’emblée, les Autorités publiques qui voyaient en lui, un contre-pouvoir. « Mauritanie-Demain » parviendra malgré tout à se maintenir jusqu’en 1991, date de l’introduction du multipartisme qui a apporté avec lui, un cadre favorable à l’émergence des libertés individuelles.
Sur le plan de l’audiovisuel, il a fallu attendre 2011 pour voir le gouvernement s’engager à la création de télévisions et de radios privées. Une société de télévision indépendante, chargée de garantir les mêmes conditions de diffusion aux opérateurs publics et privés, fut mise en place. Et à l’issue d’une première procédure engagée en la même année, cinq stations de radio (Sahara Media FM, Radio Kobenny, Mauritanides FM, Radio Nouakchott et Radio Tenwir) – qui rencontrent un franc succès – et deux chaînes de télévision privées (Sahel TV et Wataniya TV) ont été lancées.
L’attribution des autorisations a manqué de transparence, selon les professionnels des médias qui ont constaté que beaucoup de dossiers ont été refusés sans explication. En janvier 2013, la Haute autorité de la presse et de l’audiovisuel (HAPA) donnait son feu vert à trois autres chaînes de télévision privées : Al-Mourabitoune TV et Chinghuit TV, qui émettaient déjà depuis l’étranger, ainsi que Dava TV. Cette ouverture avait mis fin à un demi-siècle de monopole d’État sur les ondes. Pour les radios aucune nouvelle autorisation n’a été accordée à ce jour et même certaines des cinq stations de radio ont dû fermer faute d’un modèle économique viable. Il s’agit notamment de Saharamedia FM et Nouakchott FM.
Aperçu des lois et politiques qui régissent l’espace médiatique et la liberté d’expression en Mauritanie
Cadre Juridique
En Mauritanie, le cadre d’expression est défini par la constitution issue du référendum du 26 juin 2006. En son préambule, celle-ci exprime l’attachement du pays « aux principes de la démocratie tels que définis par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 et à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples du 28 juin 1981, ainsi que les conventions internationales auxquelles la Mauritanie a adhéré. L’Article 10 de cette constitution consacre les libertés d’opinion et de pensée :
« L’Etat garantit à tous les citoyens les libertés publiques et individuelles notamment : la liberté de circuler et de s’établir dans toutes les parties du territoire de la République ; la liberté d’entrer et de sortir du territoire national ; la liberté d’opinion et de pensée ; la liberté d’expression ; la liberté de réunion ; la liberté d’association et la liberté d’adhérer à toute organisation politique ou syndicale de leur choix … »
Le secteur des média mauritaniens est régi par l’Ordonnance N°017-2006 d’octobre 2006, portant sur la liberté de la presse, abrogée et remplacée par l’ordonnance N°91-023 du 25 juillet 1991. Cette loi présente le mérite d’avoir dépénalisé les délits de presse et aboli la censure. En son article 9, elle rend possible la publication de journaux sur la base d’une simple déclaration : « Tout journal ou écrit périodique peut être publié, sans autorisation préalable et sans dépôt de cautionnement, après la déclaration prescrite par l’article 11… ». En son Article 31, elle reconnaît la contribution des médias dans la mise en œuvre du Droit de tous à l’information et pose les bases de l’attribution de l’aide de l’État à la presse privée.
Le Cadre Juridique et la liberté d’expression et de presse
Dans son esprit, cette ordonnance « bâillonne » le journaliste et ne milite pas en faveur de la liberté d’expression, et encore moins, celle de la sécurité des hommes des médias. En son article 21, portant sur les publications d’origine étrangère, elle souligne que lesdites publications sont passibles d’interdiction ou de lourdes amendes si elles sont « susceptibles de porter atteinte à l’islam ou au crédit de l’État, à nuire l’intérêt général, à compromettre l’ordre et la sécurité publics ».
C’est une disposition sujette à toutes formes d’interprétations, qui fait planer le spectre de la censure sur la presse étrangère voire son interdiction en Mauritanie. Elle influe dans la liberté et l’indépendance du journaliste, qui en la circonstance, est à la merci des pouvoirs publics, qui se procurent à l’occasion, la possibilité et le droit de le contrôler.
les Articles 35, 44 et 45 protégeant le président de la république, les chefs d’États étrangers et les diplomates accrédités en Mauritanie, sont contraires aux principes internationaux qui stipulent que : « les personnalités publiques doivent tolérer beaucoup plus de critiques et les sanctions ne doivent jamais être sévères au point d’entraver l’exercice du droit à la liberté d’expression y compris par les autres ».
La censure est aussi consacrée à travers l’article 70 de cette ordonnance qui stipule : « le ministre de l’Intérieur et les autorités administratives locales dans les limites de leur compétence territoriale, pourront ordonner par arrêté motivé la saisie administrative de tout numéro d’un journal ou écrit périodique, imprimés placards, affiches, films ou dessins dont la publication porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte à l’Islam, à nuire l’intérêt général, à compromettre l’ordre et la sécurité publics. »
Polémique sur la Régulation des Médias
En 2006, la Mauritanie met en place une Autorité de régulation des médias, conformément à l’Article 5 de l’ordonnance sur la presse de cette même année. Il s’agit de la Haute Autorité de Presse et de l’Audiovisuel (HAPA). Selon ses textes, elle a pour mission de « veiller à l’application de la législation et de la réglementation relatives à la presse et à la communication audiovisuelle, dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires, contribuer au respect de la déontologie professionnelle par les sociétés et entreprises de radiodiffusion sonore et télévisuelle privées et publiques, par les journaux et publications périodiques, publics ou privés ».
En 2021, un journaliste est désigné pour présider à son destin. Il s’agit de M.Houssein Ould Meddou, ancien rédacteur en chef de Nouakchott-Info, professeur à l’Ecole nationale de journalisme et de magistrature.
La HAPA a pour mission de garantir l’autonomie et l’impartialité des moyens publics d’information, de veiller à l’accès équitable des partis politiques, des associations et des citoyens aux moyens officiels d’information et de communication, et, en période électorale, devra assurer l’égal accès des candidats aux média publics.
Défis liés à l’accès à l’information
Partialité des institutions publiques
La Mauritanie ne dispose pas d’une loi spécifique sur l’accès à l’information. Le cadre législatif ne contient que l’ordonnance N°017-2006 d’octobre 2006, portant sur la liberté de la presse, abrogée et remplacée par l’ordonnance N°91-023 du 25 juillet 1991. En son Article 31, elle reconnaît la contribution des médias dans la mise en œuvre du Droit de tous à l’information. Ce vide juridique rend difficile l’accès aux sources d’informations.
Partialité des institutions publiques
La presse publique (Télévision de Mauritanie, Radio Mauritanie, Agence mauritanienne de l’Information) n’est pas au seul service de l’information du citoyen. Dans leur architecture comme dans leur fonctionnement, ces médias sont des médias « gouvernementaux” ou « médias d’État ». Entièrement financés par l’État, ils jouent le rôle de relais de l’information officielle, en contribuant, le cas échéant, à la promotion du président de la République, puis en rendant compte des activités des membres du gouvernement et de l’administration publique.
A l’opposé, le rôle de la presse indépendante mauritanienne est de diffuser « l’autre information », celle qui contribue à la naissance d’une opinion publique. Seulement autant la presse publique a un accès facile à « son » information, autant la presse indépendante peine à se procurer de la matière. Ainsi donc les hommes de la presse privée en Mauritanie rencontrent plus de difficultés pour accéder à l’information que leurs confrères de la presse publique.
Principaux enjeux et évolutions dans l’espace numérique
En 2021, le développement technologique s’est considérablement introduit dans la société mauritanienne, faisant des Réseaux sociaux, le premier support d’échanges et de communications dans le pays. L’intervention de l’État pour réguler le secteur, fut rapide. Dès 2021, elle vise à contrôler le flux des interventions dans le Net.
Toutefois, faisant fi, de l’esprit de la Déclaration de principes sur la liberté d’expression en Afrique, – qui prévoit que : « aucun individu ne doit faire l’objet d’une ingérence arbitraire à sa liberté d’expression et qui stipule que toute restriction à la liberté d’expression doit être imposée par la loi, servir un objectif légitime et être nécessaire dans une société démocratique », – l’État mauritanien a contribué à faire reculer la liberté d’expression dans le pays et cela par le biais de la « loi portant protection des symboles nationaux et l’incrimination des atteintes à l’autorité de l’État et à l’honneur du citoyen ». Cette loi a été adoptée par l’Assemblée nationale le 9 novembre 2021, malgré le boycott des députés de l’opposition, comporte plusieurs dispositions, contraires aux standards internationaux en matière de liberté d’expression en ligne.
En effet, en son article 2, la loi prévoit un emprisonnement de 2 à 4 années pour toute personne ayant porté « atteinte à l’autorité de l’État et à ses symboles » ou qui utilise de manière délibérée des « techniques de l’information, de la communication numérique et des plates-formes de communication sociale pour porter préjudice aux valeurs constantes et aux principes sacrés de l’Islam, à l’unité nationale, à l’intégrité territoriale ou outrage à la personne du Président de la République, le drapeau et l’hymne national ».