Auteur : Dr. Vincent Foucher, Tangi Bihan
Site de publication : shs.hal.science
Type de publication : Rapport
Date de publication : 2022
Lien vers le document original
Une scène politique bloquée
Après plus de cinquante ans de dictature et malgré les controverses autour du scrutin de 2010, l’élection d’Alpha Condé avait suscité beaucoup d’espoir chez les Guinéens, y compris chez bon nombre de ceux qui ont par la suite animé le FNDC. L’opinion voyait en Condé l’homme qui allait démocratiser et développer la Guinée. Il avait pour lui trois atouts : il avait été l’« opposant historique » ; il n’avait jamais gouverné (à l’inverse de ses trois principaux concurrents Cellou Dalein Diallo, Sidya Touré et Lansana Kouyaté, qui avaient été premiers ministres de Lansana Conté) et n’était donc pas associé à la mauvaise gouvernance du régime Conté ; ses études prestigieuses et son long parcours en France semblaient en faire un gage de modernité et de liberté. Cet espoir a malheureusement été progressivement déçu.
La phase électorale qui a amené Condé au pouvoir a été extrêmement troublée, avec d’une part de vives controverses autour des élections elles-mêmes, et donc un défaut de légitimité du processus électoral, défaut qui a persisté, et d’autre part une ethnicisation aiguë du jeu politique. En effet, le deuxième tour des élections de 2010 a vu s’affronter le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) d’Alpha Condé et l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) de Cellou Dalein Diallo, qui ont mobilisé fortement sur des bases ethno-régionales – le RPG parmi les Malinkés de Haute-Guinée et l’UFDG parmi les Peuls de Moyenne-Guinée. Chaque parti n’a pas manqué d’accuser l’autre d’être au service d’ambitions communautaires ou d’instrumentaliser des mémoires ethniques douloureuses pour mobiliser. Des violences à connotation ethnopolitique se sont même produites durant le processus électoral avec l’affaire dite de l’« eau empoisonnée »
La situation s’est d’autant plus bloquée que les autorités ont instrumentalisé de manière très délibérée les dynamiques de « dialogue », de « médiation » et de « concertation », les démarrant et les suspendant a volo, manipulant leurs conditions, leurs termes et la mise en œuvre des accords péniblement dégagés. Les acteurs internationaux qui ont tenté de contribuer à la résolution des tensions en participant à ces « dialogues », et notamment la Cédéao et l’UNOWAS, y ont perdu beaucoup de crédibilité aux yeux de l’opposition et de la société civile. Pendant le premier mandat d’Alpha Condé et la moitié de son deuxième mandat, si les partis politiques, et notamment l’UFDG, ont mobilisé fortement, aucun mouvement social important n’a remis en cause la gouvernance du RPG durant son premier mandat.
Le régime a su coopter les forces contestataires de la période 2006-20072 , notamment le Conseil national des organisations de la société civile (CNOSC), qui était à l’époque la principale plateforme fédérant la société civile. Il a ainsi su prévenir toute forme de contestation hors partis politiques. Il a fallu attendre 2017-2018 pour que des mouvements sociaux d’ampleur réapparaissent.
Des « Forces sociales » au FNDC : d’un mouvement social à un mouvement citoyen
Si le premier mandat d’Alpha Condé est marqué par un blocage de la scène politique et par la cooptation d’une bonne partie des acteurs établis de la société civile, il voit en même temps émerger une nouvelle génération d’acteurs de la société civile. Comme la précédente, cette génération dépend en bonne part de financements internationaux. Là où la génération précédente avait beaucoup gagné à l’appui, à partir de 2007, du Programme concerté de renforcement des capacités des organisations de la société civile et de la jeunesse guinéennes (Projeg), porté par Aide et Action et financé par le ministère français des Affaires étrangères, la nouvelle génération bénéficie des financements que suscitent en Guinée à la fois de nouvelles inquiétudes (le massacre d’une centaine de manifestants dans un stade de Conakry le 28 septembre 2009, les controverses électorales) et de nouvelles opportunités (l’élection d’un président élu).
Pour ne prendre qu’un indicateur imparfait, selon les données du CAD de l’OCDE, l’aide au développement bilatérale et multilatérale pour la Guinée, qui oscillait autour de 205 millions de dollars annuels entre 2005 et 2011, atteignait 560 millions dès 2014.
De plus, une partie de plus en plus importante de cette aide s’est orientée vers la société civile et s’est centrée sur les questions de gouvernance, de droits humains, de participation citoyenne, de politiques publiques ou encore d’observation électorale. La société civile, précédemment cantonnée au « développement », entre ainsi de plain-pied dans la politique.
Des acteurs importants de cette évolution ont été la Open Society Initiative for West Africa (OSIWA), une organisation financée par la Fondation Soros , l’International Foundation for Electoral Systems (IFES) ou encore le National Democratic Institute (NDI). Tout un écosystème se crée alors, où de jeunes militants peuvent commencer à se professionnaliser, à vivre en partie de leur engagement en faveur des normes démocratiques et donc envisager de pérenniser leur militantisme par des carrières.
Représenter la nation face au danger ethnopolitique
Le FNDC n’a pas d’existence légale et donc pas de ressources propres. Fédération informelle d’associations et de partis, il a mobilisé les ressources de ces associations et de ces partis, à commencer bien sûr par les ressources humaines puisque pour bien des responsables, leurs activités dans leurs OSC respectives et les activités du FNDC s’articulaient aisément.
La mobilisation des ressources a fonctionné de façon ad hoc, au travers de cotisations, variables à chaque fois, des différentes organisations membres du FNDC pour des actions précises : organisation des manifestations, soutien à des détenus, soutien aux blessés, soutien aux familles endeuillées.
Les moyens généraux des organisations membres ont été largement mis à disposition du FNDC, comme les locaux pour les réunions, ou bien encore le matériel nécessaire à l’animation de la web-TV, des véhicules et du matériel de sonorisation… Pour ce qui concerne la mobilisation de fonds, l’implication des partis politiques, et notamment de l’UFR et de l’UFDG, a été décisive, puisqu’ils disposent, grâce à certains de leurs partisans et responsables fortunés, de moyens importants. Les partis politiques ont assurément été les plus gros contributeurs.
Combiner et faire évoluer les modes d’action
Le FNDC a d’abord tenté de dissuader Alpha Condé de changer la Constitution en organisant des manifestations massives et en appelant la communauté internationale à faire pression sur le régime. Dans un deuxième temps, quand Alpha Condé a fait adopter la nouvelle Constitution, le FNDC a appelé implicitement les FDS à renverser le régime, ou au moins à laisser les manifestants chasser Alpha Condé, en leur demandant de « prendre [leurs] responsabilités » et de « se ranger derrière les aspirations du peuple de Guinée ». À côté des manifestations, et de plus en plus quand les manifestations sont devenues impossibles, le FNDC s’est employé à user de légitimité du régime, notamment par des actions en justice et par un travail de plaidoyer auprès de la communauté internationale.
Au gré des réactions des autorités, le FNDC a alterné « marches pacifiques » et « manifestations éclatées ». Quand le pouvoir ne les interdisait pas, le FNDC a organisé de vastes marches « pacifiques », qui rassemblaient massivement sur les grands axes de Conakry, combinées à des appels à un arrêt des activités économiques. Très encadrées par le FNDC, elles n’ont donné lieu qu’à peu de violences – selon un responsable de l’UFDG, le FNDC a largement diffusé dans les médias et lors des manifestations un code de conduite qui, notamment, interdisait les violences, véritable innovation par rapport aux marches des partis politiques.
En cas d’interdiction de manifester, le FNDC appelait à des manifestations éclatées, organisées par les antennes du FNDC. Là, il s’agissait pour les citoyens de manifester de façon décentralisée, dans leurs quartiers, en bloquant les carrefours et la circulation, et donc les activités économiques, notamment les activités minières en Basse-Guinée. C’est exactement ce qui s’est passé pour le premier appel à manifester, lancé pour le 14 octobre 2019 : les autorités ont interdit la manifestation et arrêté une bonne moitié de la coordination quelques jours avant, et le FNDC a lancé des manifestations éclatées, qui ont duré trois jours. Face à la force et à la durée de la mobilisation, le pouvoir a cédé et a décidé d’autoriser pour un temps les manifestations.
Résister à la répression grâce aux soutiens internes et externes
L’usage du numérique était un moyen crucial de mobiliser en échappant à la répression. La communication interne au FNDC fonctionne avec des systèmes de boucles sur des messageries cryptées, empêchant l’espionnage ou le piratage des données par les autorités. L’usage de ces boucles permet par ailleurs de se passer de réunions physiques, ce qui est particulièrement utile lorsque les risques d’arrestations sont élevés ou que des membres se cachent. Les comptes créés sur les réseaux sociaux étaient gérés depuis l’étranger, par des personnes qui ne risquaient pas d’être arrêtées.
Et pour assurer l’intégralité des communications, le FNDC a bénéficié des compétences de certains membres de la société civile et des partis politiques en matière de cybersécurité. Ces personnes ont par ailleurs participé, au titre de leurs organisations respectives et non du FNDC, à des formations en matière de sécurité informatique délivrées par des ONG, comme Africtivistes.
Le départ en exil d’Ibrahima Diallo et de Sékou Koundouno, au Sénégal puis en Belgique, a pu être facilité grâce à leurs multiples relations, notamment dans la société civile de par le monde. À Dakar, d’autres activistes de la société civile et des relations personnelles leur ont fourni un soutien matériel pour leur faciliter le séjour et leur permettre de poursuivre leurs activités. En Europe, ils ont bénéficié d’un fonds de soutien aux activistes fourni par un collectif d’associations dont Front Line Defender, Freedom House, Tournons La Page et Amnesty International. Ce séjour en Europe a été l’occasion de continuer les activités de plaidoyer auprès notamment de l’Union européenne.
FNDC-CNRD : un rendez-vous manqué ?
Dans son premier discours, Doumbouya s’est voulu rassurant, faisant référence au militaire putschiste ghanéen Jerry Rawlings, figure populaire en Afrique de l’Ouest pour avoir renversé un régime autoritaire et corrompu, instauré le multipartisme et assuré la démocratisation de son pays. Le FNDC s’est d’abord limité à « prendre acte », rappelant que le régime « dirigé par le dictateur Alpha Condé était illégitime et anticonstitutionnel » et appelant à « la tenue urgente d’une réunion entre les acteurs sociaux et politiques autour de la situation » 34, tandis que Cellou Dalein Diallo marquait explicitement son « soutien » 35 aux putschistes. La junte a immédiatement procédé à la libération des prisonniers politiques, dont Fonike Menguè, et elle a autorisé le retour des exilés, dont Ibrahima Diallo, Sékou Koundouno, Fodé Sanikayi Kouyaté, Saikou Yaya Diallo et Djanii Alfa.
Les discussions entre le CNRD et le FNDC ont cependant échoué. Le FNDC était instruit par les participations précédentes de la société civile au pouvoir en 2007, 2009 et 2010, participations où la société civile avait été cantonnée à des rôles secondaires et avait échoué à entraîner des transformations fondamentales. Il a en conséquence formulé des exigences élevées, demandant en particulier la présidence du CNT. Le CNRD n’a pas souhaité se lier les mains et a fait des propositions plus modestes – notamment des postes au CNT et le ministère de la jeunesse et des sports, manière de cantonner le FNDC dans la case « jeune ». Finalement, le CNRD a choisi pour présider le CNT Dansa Kourouma, le leader du CNOSC. Le choix n’était pas sans ironie puisque c’est précisément à cause de la cooptation des principaux responsables du CNOSC par le régime Condé que la PCUD, composante centrale du FNDC, s’était formée et que Kourouma lui-même avait eu des positions ambiguës sur le troisième mandat et n’avait pas participé à la lutte. Plus encore que d’autres décisions prises par le CNRD, ce choix a sans doute contribué à figer les positions.
