Auteurs : Pétanhangui Arnaud Yéo, Kaphalo Ségorbah Silwé, et Joseph Koné
Site de publication: Afrobaromètre
Type de publication: Rapport
Date de publication: Mai 2024
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Introduction
Le cas de la Côte d’Ivoire nous interpelle à ce sujet. Bien qu’il s’avère que les populations ivoiriennes manifestent une forte aspiration à la démocratie, en témoigne les luttes menées pour accéder à l’indépendance en 1960 et au multipartisme son histoire n’a jamais permis au pays de prétendre à une place honorable dans le classement des pays démocratiques. A titre d’exemple, le Democracy Index du Economist Intelligence Unit (2019) classe la Côte d’Ivoire 111éme sur 167 pays du monde, le rangeant dans la catégorie « régime hybride », c’est-à-dire à mi-chemin entre une démocratie imparfaite et un régime autoritaire.
L’actualité illustre les défis démocratiques que le pays continue à affronter, comme la demande de l’Association de la Presse Étrangère (APECI) que les autorités fassent cesser toutes sortes de harcèlement aux journalistes ou encore le fait que le gouvernement ne reconnaisse pas la compétence de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (2020) par rapport au mandat d’arrêt émis contre l’ex-Président de l’Assemblée Nationale Soro Guillaume et l’emprisonnement de ses collaborateurs.
Mesure de la demande et de l’offre perçue de démocratie
Pour mesurer la demande et l’offre perçue de la demande de démocratie en Côte d’Ivoire, nous nous appuyons sur l’approche d’évaluation développée par Afrobarometer (Tableau 1).
Conceptuellement, la demande de démocratie renvoie au sentiment d’attachement des individus à la démocratie, mesuré par deux indicateurs. Le premier est la préférence à la démocratie. Il apparaît dans la question qui suit: Laquelle de ces trois affirmations est la plus proche de votre opinion? Affirmation 1: La démocratie est préférable à toute autre forme de gouvernement. Affirmation 2: Un gouvernement non-démocratique peut être préférable dans certaines circonstances. Affirmation 3: Pour quelqu’un comme moi, peu importe le type de gouvernement que nous avons. Les réponses de l’Affirmation 1 renvoient à l’indicateur de la demande de démocratie.
Demande de démocratie en Côte d’Ivoire
A travers les données d’Afrobarometer, nous observons qu’une grande majorité des Ivoiriens rejettent les formes de régimes autoritaires. En effet, environ huit répondants sur 10 sont opposés au régime dictatorial présidentiel (84%), au régime de parti unique (81%), et au régime militaire (78%). En plus, près de trois quarts (73%) des Ivoiriens affirment leur préférence pour la démocratie comme type de gouvernement.
On remarque que la demande de démocratie apparaît un peu plus élevée chez les hommes (53%) que chez les femmes (48%) et qu’elle augmente avec l’âge, allant de 47% chez les jeunes jusqu’à 58% pour la classe de 56 ans et plus. De même, la demande de démocratie apparaît plus prononcée chez les citoyens qui ont un niveau d’instruction supérieur (56%) ou secondaire (55%) que chez les moins instruits (45%-46%).
Un déficit dans l’offre de démocratie
Si une petite majorité des Ivoiriens demandent la démocratie, ce n’est que quatre Ivoiriens sur 10 (soit 43%) qui pensent que leur pays est « une pleine démocratie » ou « une démocratie avec des problèmes mineurs », et à peine un tiers (soit 34%) qui sont « assez satisfaits » ou « très satisfaits » de son fonctionnement. De ces deux indicateurs découlent ainsi l’offre perçue de démocratie, qui est appréciée par près de trois Ivoiriens sur 10 (soit 27%).
D’un point de vue socio-démographique, la perception de l’offre de démocratie en Côte d’Ivoire laisse transparaître quelques disparités. Les partisans des partis d’opposition sont beaucoup moins enclins à voir un niveau acceptable de démocratie (11%) que ceux du parti au pouvoir (55%). On note aussi que la perception de l’offre de démocratie est un peu moins forte chez les personnes « pas proches d’un parti politique » (26%) que chez celles qui se considèrent « proches d’un parti politique » (30%), ainsi que chez les jeunes (27%) comparés aux vieux (33%).
L’appréciation de l’offre de démocratie est beaucoup moins prononcée chez les personnes pauvres, allant de juste 21% pour ceux qui ont connu une pauvreté vécue élevée jusqu’à 41% chez les mieux nantis. Par contre, l’opinion positive sur l’offre de démocratie apparaît beaucoup plus faible chez les personnes ayant un niveau d’étude supérieur (21%) que parmi celles avec des niveaux secondaire (24%), primaire (29%), ou pas d’instruction formelle (38%).
Un constat de fragilité persistante de la démocratie en Côte d’Ivoire
L’histoire de la Côte d’Ivoire post-coloniale est dominée par une succession de régimes dont la gouvernance démocratique laisse à désirer. En effet, de 1960, date de son indépendance, à 1990, le pays a été dirigé par un régime de parti unique (N’Guessan, 2011). Toutefois, face au népotisme et à la caporalisation de tous les pouvoirs par ses tenants, ce type de régime a finalement été abandonné au profit d’une ouverture à la démocratie et au multipartisme en 1990.
Malgré cette nouvelle offre, l’élan fut stoppé à la suite d’un coup d’État, qui instaura un régime militaire entre décembre 1999 et octobre 2000 (Akindès, 2008). Au-delà de cette période, les régimes qui ont accédé au pouvoir l’ont été tous dans des conditions de crises marquées par une ethnicisation et une brutalisation du champ politique.
Tout pays démocratique se doit de garantir aux médias une liberté d’exercer sans contrainte. Dans le cas de la Côte d’Ivoire, le sentiment des citoyens exprime des signes d’insuffisances à ce niveau. En effet, la majorité (53%) considèrent que les médias ne sont « pas du tout libres » ou « pas très libres » de diffuser et de commenter l’actualité sans censure ni ingérence du gouvernement, contre 45% qui pensent que les médias sont « entièrement » ou « assez » libres (Figure 12).
