« It wasn’t on my charts, I thought it was just something that was crazy and out of control. But I just see how important that is to you, and to a lot of your friends in the room”. “Ce n’était pas dans mes plans d’être impliqué là-dedans. Je pensais que c’était juste quelque chose de dingue et hors de contrôle… Mais je vois à quel point c’est important pour vous et pour nombre de vos amis dans cette salle“. Ce furent les mots du président Donald Trump le 19 novembre dernier et celui à qui il s’adressait était Mohammed Ben Salmane, alias MBS, prince héritier du royaume d’Arabie Saoudite, en visite officielle à Washington DC, accueilli avec tous les honneurs dus à son rang, et au statut d’allié pétrolier très riche et stratégique des Etats-Unis.
La situation dingue et hors de contrôle, c’est le conflit qui déchire le Soudan, le troisième plus vaste pays du continent africain, depuis avril 2023, qui oppose l’armée régulière soudanaise commandée par le général Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane aux paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) dirigées par le général Mohammed Hamdan Dagalo «Hemedti ». Les deux généraux, anciens alliés, avaient renversé conjointement en 2019 Omar el-Béchir, homme fort du Soudan pendant 30 ans, d’abord accepté de laisser le pouvoir à un gouvernement civil de transition avant de reprendre le contrôle du pays en 2021 à la suite d’un coup d’État. En avril 2023, les rivalités entre les deux généraux, disposant chacun de forces et de soutiens intérieurs et extérieurs puissants, ont plongé le pays dans une guerre atroce.
C’est donc à la demande du prince saoudien que le président américain va s’impliquer pour tenter de mettre fin au conflit au Soudan. Sur son réseau Truth Social, Donald Trump a annoncé en effet qu’il travaillerait avec l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Égypte et d’autres partenaires au Moyen-Orient pour mettre fin aux atrocités. Cette bonne intention a été immédiatement accueillie favorablement par l’une des parties belligérante, le conseil de souveraineté du Soudan dirigé par Al-Bourhane, qui a remercié les Etats-Unis et l’Arabie saoudite pour « leurs efforts continus visant à mettre fin au bain de sang », et exprimé sa « volonté de s’engager sérieusement avec eux pour parvenir à la paix que le peuple soudanais espère ».
Si les deux parties au conflit ont commis des atrocités depuis plus de deux ans que dure le conflit, et fait très peu d’efforts pour épargner les populations civiles des villes comme des campagnes, les dernières semaines ont été marquées par le franchissement d’un nouveau seuil dans le déploiement d’une inhumanité qui aurait dû déclencher des condamnations et des actions dans tous les coins de la planète. La prise de la ville d’El-Fasher, qui était un bastion de l’armée régulière dans le Darfour, par les paramilitaires des FSR à la fin du mois d’octobre, il y a quelques semaines, s’est accompagnée de violences qui ne peuvent relever que des pires crimes internationaux.
Dans une déclaration du porte-parole du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme le 31 octobre 2025, on peut lire ceci – un extrait en anglais que j’ai traduit en français : « De plus en plus de détails émergent concernant les atrocités commises pendant et après la chute d’El Fasher aux mains des Forces de soutien rapide (RSF) au Soudan. Depuis que les RSF ont lancé une offensive majeure contre la ville le 23 octobre, nous avons reçu des témoignages effroyables faisant état d’exécutions sommaires, de massacres, de viols, d’attaques contre des travailleurs humanitaires, de pillages, d’enlèvements et de déplacements forcés. Notre bureau a reçu des témoignages de personnes qui ont fui El Fasher terrifiées et qui ont survécu au périple effrayant vers Tawila, située à environ 70 km. Cela représente 3 à 4 jours de marche. Nous avons reçu des vidéos choquantes ainsi que d’autres images montrant de graves violations du droit international humanitaire et des violations flagrantes des droits humains… Nous estimons que le nombre de civils et de personnes mises hors de combat lors de l’attaque des RSF contre la ville et ses voies de sortie, ainsi que dans les jours qui ont suivi la prise de contrôle, pourrait s’élever à plusieurs centaines. Notre bureau a reçu des informations alarmantes faisant état du meurtre de personnes malades et blessées à l’intérieur de la maternité Al-Saudi et dans divers locaux situés dans les quartiers de Daraja Oula et Al-Matar, qui servaient temporairement de centres médicaux… Nous avons également reçu des informations alarmantes faisant état de violences sexuelles. Des partenaires humanitaires ont rapporté qu’au moins 25 femmes ont été victimes d’un viol collectif lorsque les forces du RSF sont entrées dans un refuge pour personnes déplacées près de l’université d’El Fasher. Des témoins confirment que des membres du RSF ont sélectionné des femmes et des filles et les ont violées sous la menace d’une arme, forçant les autres personnes déplacées – environ 100 familles – à quitter les lieux... »
Cela se passe de commentaires. Ce degré d’atrocités ne devrait laisser personne indifférent, en Afrique et partout ailleurs. Le Soudan peut paraître éloigné de la région qui est prioritaire pour nous à WATHI, l’Afrique de l’Ouest. Mais comme nous l’avions exprimé sur la tragédie de Gaza, à travers des chroniques et un dialogue virtuel sur le sujet, nous ne pouvons pas ne pas nous sentir concernés par la guerre civile sans fin, les crimes massifs au Soudan qui sont des taches sur notre conscience humaine collective. Il y a des responsables directs, des responsables indirects, ceux qui fournissent les armes, munitions et moyens financiers aux auteurs des crimes, – on pense notamment aux Émirats Arabes Unis qui soutiennent activement les FSR – et il y a tous ceux qui observent, qui ont des moyens d’agir et ne font rien ou très peu.
Alors, même si le président de la première puissance de la planète ne réalise que maintenant qu’il peut faire quelque chose face à cette situation dingue et hors de contrôle, et qu’il a fallu que le prince saoudien, partenaire d’affaires très proche du locataire de la Maison Blanche, lui en parle, on ne peut que se réjouir de l’émergence d’un espoir de trêve prochaine au moins dans l’intensité de la guerre et de la fin des horreurs au Soudan. Dans sa dernière note sur le Soudan datée du 14 novembre dernier, quelques jours avant la visite du prince MBS à Washington DC, l’organisation non gouvernementale International Crisis Group écrit ceci :
« Trop de sang a coulé dans cette guerre ruineuse. Mais si El Fasher est une tache indélébile sur la conscience du monde, elle pourrait aussi être le coup de pouce dont les puissantes capitales ont besoin pour aider à mettre fin à ces combats horribles. Il est temps que les États-Unis et les principaux pays arabes redoublent d’efforts diplomatiques qu’ils ont déployés depuis le début de l’année et s’efforcent de concrétiser leur feuille de route, y compris les promesses d’un gouvernement de transition dirigé par des civils si la guerre venait enfin à cesser ».
Pour Crisis Group, « Si les États-Unis mettent en œuvre leur rhétorique musclée et mettent tout leur poids dans la balance pour mettre fin aux combats, ils pourraient alors faire une réelle différence. Leurs efforts devraient se concentrer sur la proposition de trêve mise sur la table par le « Quad », composé de l’Égypte, de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et des États-Unis. » Il est évidemment triste de constater l’impuissance absolue de l’Union africaine face au conflit au Soudan mais c’est une autre histoire qui mériterait une autre chronique.
