Nous avons eu le plaisir de recevoir il y a trois semaines une visite de quelques membres d’une association malgache, le Mouvement Jeunesse et Citoyenneté, de passage à Dakar. Ils ont non seulement participé avec entrain au colloque marquant le dixième anniversaire d’activité de WATHI, mais le groupe composé de trois femmes et deux hommes est aussi passé nous voir pour un échange sur de nombreux sujets, dont celui des défis de la mobilisation de la jeunesse dans des mouvements associatifs, celui de la structuration des organisations de la société civile, du plaidoyer et de tous les modes d’action de la société civile qui peuvent contribuer à faire advenir les changements radicaux qui sont nécessaires dans les pays africains pour répondre en particulier aux aspirations des jeunes.
Nous les avons reçus le 26 septembre dernier alors que les manifestations avaient pris une ampleur inattendue la veille à Antananarivo et que l’incertitude était encore totale quant à la tournure que les événements allaient prendre. Ce hasard de calendrier nous a encore plus intéressé qu’auparavant à la situation politique, économique et sociale à Madagascar. Un autre pont s’était établi une année plus tôt, en 2024, entre Madagascar et nous sous la forme de la mise en relation avec un Malgache de la diaspora, Tin Rakotomalala qui venait de co-fonder le think tank Diapason. Nous avons eu des échanges sur les défis d’une telle entreprise et nous avons maintenu le contact depuis lors. Je fus invité à participer à une de leurs conférences, organisée en mars 2024, sur le thème : « Où en sommes-nous de la démocratie à Madagascar? ». J’avais partagé des faits, des analyses et des perspectives sur la base des expériences politiques variées des pays africains, au-delà du cas de Madagascar dont je suis loin d’être un connaisseur.
Le think tank Diapason est devenu en moins de trois ans un remarquable espace de production d’idées et de propositions pour dessiner un meilleur avenir pour Madagascar et ses populations. Ses analyses sont aujourd’hui très utiles pour comprendre les derniers développements sur la Grande île mais encore davantage pour identifier les scénarios, alerter sur les menaces à l’horizon et proposer des orientations pour les gouvernants qui sont en train de s’installer. D’autres acteurs évidemment sur le terrain à Madagascar, jeunes et moins jeunes, de la Gen Z ou qui la rejoignent ou veulent apporter leur contribution, produisent des idées en ce moment à un rythme effréné parce qu’il y a tant à faire et que le sentiment qui domine est celui d’une fenêtre d’opportunités qui s’est ouverte avec la chute et la fuite du président Rajoelina.
La mobilisation pacifique des jeunes sur le terrain, le travail d’éveil, de sensibilisation et d’action communautaire des organisations comme le mouvement Jeunesse Citoyenneté et la production intellectuelle des universitaires et des think tanks sont complémentaires et essentiels. Une fois que les manifestations populaires ont produit un résultat politique spectaculaire, la chute d’un président, il faut passer à l’étape suivante, celle de la mise en place d’un cadre pour une période de transition qui ne doit pas se terminer comme les précédentes : par des désillusions et le même sentiment que rien ne change ni dans le rapport entre les élites dirigeantes et les populations, ni dans les conditions de vie de ces dernières.
Tout est allé très vite à Madagascar. Le basculement d’une partie de l’armée, puis du reste de l’armée du côté des manifestants de la Gen Z a porté le coup fatal au pouvoir du président Rajoelina, qui avait pris la tête du pays une première fois en 2009 après des manifestations contre le président d’alors, Marc Ravalomanan, et après avoir reçu le soutien d’une partie de l’armée, le Corps d’appui à la protection des institutions (Capsat). Ce vendredi 17 octobre, c’est le commandant de ce corps, le colonel Michael Randrianirina, qui a prêté serment en tant que « président de la Refondation de la République de Madagascar », lors d’une cérémonie organisée à la Haute Cour constitutionnelle (HCC).
Si les circonstances ne sont clairement pas celles d’un coup d’État militaire classique orchestré et exécuté par les militaires et que personne ne réclame le retour du président déchu, l’accession du colonel au pouvoir, même après une révolte populaire, relève bien d’un changement anticonstitutionnel. Mais le plus important aujourd’hui, c’est que la transition qui s’ouvre ne soit pas une de plus à Madagascar et une de plus dans un pays africain qui n’aboutisse après quelques années à aucun changement en profondeur des pratiques politiques et de la gouvernance.
Pour les animateurs du think tank Diapason, « le mouvement malgache n’est pas une simple imitation de ce qui se passe ailleurs. Il est né d’un terreau bien réel, préparé depuis des années ». Ils identifient trois signes précurseurs: la rupture du contrat social notamment les promesses non tenues d’éducation, d’emploi, de dignité, d’accès à l’eau, à l’électricité, à la mobilité, à la parole publique, pour les populations. Ensuite, la fracture numérique devenue politique avec une Gen Z malgache connectée, informée et désormais consciente de son pouvoir collectif. Et enfin le désenchantement institutionnel avec des institutions qui sont associées à la corruption, à l’enrichissement visible d’une minorité, à l’injustice.
Mais la note d’analyse de Diapason met surtout en garde contre « le piège Népal ». Dans ce pays asiatique, des manifestations de rue déclenchées par la fermeture des réseaux sociaux et menées par les jeunes de la génération Z déjà excédés par la corruption et les inégalités ont fait tomber le Premier ministre qui sera remplacé par une ancienne présidente de la Cour Suprême, élue par près de 200 000 Népalais sur le réseau social Discord. Mais c’est bien l’armée qui a dans les faits repris la main et il n’y a pas de garantie que les réformes voulues par la Gen Z népalaise seront entreprises. « Quand un peuple perd la maîtrise de sa colère, il livre son destin aux forces qui savent l’exploiter ». C’est ce que le think tank Diapason appelle « le piège Népal ».
La note fait des propositions claires pour l’action politique de la Gen Z et de tous les acteurs qui souhaitent faire de cette transition le chemin vers une véritable rupture. Lorsqu’on écoute les voix de la Gen Z malgache qui s’expriment dans les médias, on a le sentiment d’une claire conscience des pièges en réalité nombreux dans lesquels il ne faudrait pas tomber, d’une vigilance qui est absolument nécessaire par rapport aux promesses du colonel propulsé à la tête du pays et on comprend qu’un travail de réflexion et de proposition se fait pour que cette mobilisation remarquable de la jeunesse malgache se transforme en une véritable feuille de route pour la transition qui commence.
« Si la Gen Z ne réussit pas à transformer sa colère en projet politique, accompagné de toutes les générations précédentes, nous aurons juste la confirmation d’une statistique que l’on marquera sur un graphique, pour raconter un autre momentum historique et cyclique de Madagascar. Une autre génération potentiellement sacrifiée ? ». C’est la conclusion de la note de Diapason. Il n’y a rien à y ajouter. À part peut-être le fait que les combats des jeunes de Madagascar et des moins jeunes aussi, les parents et grands-parents de la Gen Z, qui veulent vivre une vie décente, sont aussi les nôtres.
