Christian Abadioko Sambou
Le décret Executive Order 14169, signé par Donald Trump à la date du 20 janvier 2025, a suspendu l’aide étrangère américaine pour une durée de 90 jours, bouleversant les équilibres économiques de nombreux pays africains. Ce geste marque une rupture assumée vers une politique étrangère plus protectionniste et transactionnelle. Dans ce contexte, cette rencontre avec le président américain du 9 au 11 juillet, limité à cinq pays (Gabon, Guinée Bissau, Liberia Mauritanie), dont le Sénégal, représente une opportunité stratégique mutuelle.
Pour Washington, il s’agit de renforcer sa présence face à la Chine et aux BRICS, tout en recentrant la coopération sur le commerce et la sécurité. Pour le Sénégal, ce sommet offre un levier diplomatique pour valoriser son rôle de leader régional et défendre ses intérêts sécuritaires, énergétiques et technologiques. En phase avec son agenda de transformation nationale « Sénégal 2050 », le pays peut se positionner comme un partenaire-clé dans une coopération repensée, une coopération gagnant-gagnant, fondée sur le respect mutuel, la stabilité et l’investissement productif.
L’Offensive internationale de Trump
Depuis son retour à la Maison-Blanche en janvier 2025, Donald Trump mène une diplomatie offensive inédite, intervenant dans les conflits en Ukraine, à Gaza, entre Israël et l’Iran, ou encore en République démocratique du Congo (RDC) . Il se positionne ainsi en « faiseur de paix », dans une posture de puissance médiatrice et sur fond de deal.
Parallèlement, son administration reste fidèle à une ligne protectionniste et souverainiste : hausse des droits de douane, contrôle accru des migrations, expulsion massive de migrants illégaux, suspension de l’aide au développement par l’Executive Order 14169, entre autres. Ce repli assumé se traduit aussi par un désintérêt marqué pour le multilatéralisme, une logique de rapport de force dans les relations internationales, parfais au mépris du droit international, et dans la continuité de son premier mandat.
Pourtant, cette rencontre entre le président américain et cinq présidents africains du 9 au 11 juillet marque un virage stratégique. Jamais Trump n’avait organisé de sommet africain ni foulé le continent. Pourquoi ce revirement ? S’il est vrai que la terminologie « sommet Afrique-USA » peut interroger au regard du caractère bilatéral que pourraient prendre ces rencontres entre chefs d’États africains et chef de la maison blanche, il est moins avéré que l’Afrique, notamment les pays côtiers, constitue un terrain d’influence diplomatique. Face à la montée en puissance de la Chine, à la dynamique des BRICS et à l’importance stratégique croissante des pays côtiers africains, l’administration Trump semble vouloir réintégrer l’Afrique dans son agenda global, mais sous une approche transactionnelle, axée sur le commerce et la sécurité.
Trump change-t-il de regard sur l’Afrique ?
Le sommet Afrique-USA prévu du 9 au 11 juillet 2025 marque un tournant stratégique. Contrairement aux précédents sommets sous Obama (2014) et Biden (2022), Donald Trump limite les invitations à cinq pays côtiers d’Afrique dont le Gabon, la Guinée-Bissau, le Libéria, la Mauritanie et le Sénégal. Ce choix ciblé reflète une volonté de recentrer la relation Afrique-USA sur la sécurité et le commerce, dans une logique pragmatique et bilatérale.
Trump ne semble pas adopter une vision plus bienveillante de l’Afrique, mais opère un recentrage : sort de la rhétorique sur la démocratie et l’aide au développement, et place au « deal ». En suspendant l’USAID et les mécanismes classiques d’aide, son administration entend remplacer l’aide par le commerce, reposant sur des contreparties claires. Les pays sélectionnés combinent stabilité politique, ressources minières, ouverture maritime et potentiel stratégique face aux menaces terroristes.
Face à la montée en puissance de la Chine, à la dynamique des BRICS et à l’importance stratégique croissante des pays côtiers africains, l’administration Trump semble vouloir réintégrer l’Afrique dans son agenda global, mais sous une approche transactionnelle, axée sur le commerce et la sécurité
Dans ce contexte, le Sénégal se distingue. Grâce à ses accords bilatéraux en sécurité et en commerce avec les pays invités, il peut jouer un rôle de pivot régional, renforçant sa position dans les chaînes de valeur, la cybersécurité, et la diplomatie d’intégration.
Le sommet s’inscrit également dans une rivalité géopolitique accrue face à la Chine et aux BRICS, dont les investissements en Afrique prennent une ampleur inédite. Avec des échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique atteignant 295 milliards de dollars, soit trente fois plus qu’il y a 25 ans, la nouvelle donne mondiale impose aux États-Unis de repenser leur influence. Trump ne change donc pas fondamentalement de regard sur l’Afrique. Il adapte sa stratégie à un monde qu’il sait multipolaire, dans lequel l’Amérique cherche à retrouver son âge d’or.
Les intérêts souverains du Sénégal
Depuis l’arrivée au pouvoir du président Bassirou Diomaye Faye, le Sénégal affirme une diplomatie fondée sur la souveraineté nationale, engagée dans le multilatéralisme, la diversification des partenariats et une transformation structurelle de l’économie du pays. Cette orientation s’inscrit dans le cadre de l’agenda de transformation nationale « Sénégal 2050 », qui redéfinit les priorités stratégiques du pays.
Les premiers actes forts – commémoration de Thiaroye, départ des forces françaises, rebaptisation des lieux symboliques, entre autres – traduisent une volonté d’affirmation souverainiste, tant sur le plan immatériel que sécuritaire. Dans un contexte de pression budgétaire (avec une dette supérieure à 100 % du PIB), le Sénégal affiche une croissance projetée à 8,4% en 2025 selon le FMI , portée par l’exploitation d’hydrocarbures, offrant une base solide pour attirer des investissements stratégiques.
Sur le plan diplomatique, Dakar s’éloigne progressivement de sa « dépendance » traditionnelle à l’Occident. Les récentes visites en Chine, au Golfe et en Turquie témoignent d’une réorientation vers le Sud Global, dans une logique de coopération gagnant-gagnant. Ce repositionnement se veut compatible avec un partenariat renouvelé avec Washington, désormais centré – sous Trump – sur le commerce, la sécurité et l’investissement, et non plus sur une aide conditionnée.
Les intérêts souverains du Sénégal incluent :
- La transformation industrielle grâce à l’exploitation et la valorisation des ressources extractives et la souveraineté énergétique et alimentaire,
- La digitalisation et la modernisation de l’administration et des services publics à travers le programme du New Deal Technologique, et le développement de l’économie numérique,
- Le financement du développement (agriculture, éducation, santé) hors paradigme de l’aide,
- La consolidation du leadership régional en matière de sécurité, diplomatie et intégration économique, notamment dans le cadre de la CEDEAO, de la ZLECAF et du l’UA.
Cette rencontre entre le président Bassirou Diomaye Faye et son homologue Donald Trump représente une opportunité stratégique pour « vendre la destination » la scène internationale et attirer les investisseurs.
Crédit photo: Senenews.com
Christian Abadioko Sambou est enseignant associé en sciences politiques à l’Université Numérique Cheikh Hamidou KANE. Diplômé de Sociologie (Université Gaston Berger), de relations internationales (Paris 1 Panthéon-Sorbonne), SAMBOU est docteur en science politique de l’université Paris-Saclay/ UVSQ. Ses recherches portent principalement sur les conflits armés, la paix et la sécurité au Sahel et dans le Bassin du Lac Tchad. Il est par ailleurs consultant en Paix, Sécurité et Développement, et analyste politique.
