

El-Ghassim Wane
Les 13 et 14 mai 2025, l’Allemagne accueillera à Berlin la 8ème Conférence ministérielle sur le maintien de la paix, dont le thème principal portera sur “L’avenir du maintien de la paix”. Cet événement, qui réunira les ministres de la Défense et ceux des Affaires étrangères des États membres des Nations unies, participe du processus lancé dans le prolongement du Sommet des chefs d’État et de gouvernement de 2015 visant à renforcer le soutien aux opérations de maintien de la paix de l’ONU.
Alors que les pays africains se préparent pour la Conférence de Berlin, dont les travaux seront informés par l’Étude indépendante intitulée “L’avenir du maintien de la paix, nouveaux modèles et capacités connexes“, ils peuvent apporter des perspectives précieuses nourries par leur expérience directe des opérations de maintien de la paix à travers le continent. Leurs contributions revêtent une importance d’autant plus grande que le contexte actuel est critique, marqué par des défis renouvelés quant à la pertinence du maintien de la paix.
Les pays africains peuvent apporter des perspectives précieuses nourries par leur expérience directe des opérations de maintien de la paix à travers le continent
Trois points méritent d’être soulignés ici.
Premièrement, le maintien de la paix est une entreprise qui produit des résultats probants. De multiples études utilisant des méthodologies et protocoles de recherche variés ont systématiquement démontré qu’il constitue un moyen efficace et économique de réduire les conflits armés et de protéger des vies. Il renforce également la souveraineté nationale, non seulement parce qu’il a, par le passé, accompagné des processus de décolonisation, mais aussi parce qu’il peut, au final, aider les États à retrouver l’exercice de leurs fonctions fondamentales. L’impact concret du maintien de la paix est visible dans plusieurs pays africains, la Sierra Leone, la Côte d’Ivoire et le Liberia en étant des exemples édifiants. Même dans des situations où il n’y a guère de paix à maintenir, l’impact positif du maintien de la paix reste évident.
Affirmer l’efficacité du maintien de la paix ne signifie pas pour autant passer ses échecs sous silence, ni lui prêter plus de vertus qu’il n’en a. Il reste qu’en définitive, les missions opèrent selon des principes spécifiques – le consentement des parties prenantes, l’impartialité et l’usage limité de la force – et que leur succès dépend principalement de la coopération des pays hôtes et des parties en conflit, ainsi que du soutien du Conseil de sécurité et de la communauté internationale dans son ensemble.
Deuxièmement, les opérations de l’Organisation des Nations unies (ONU) et celles de l’Union africaine (UA) sont des piliers complémentaires d’une architecture multilatérale commune. Aucune des deux institutions ne devrait être considérée comme un substitut à l’autre. L’ONU jouit d’importants avantages comparatifs, notamment un financement prévisible, une expertise reconnue et des capacités logistiques avérées. Pour sa part, l’UA a démontré une forte disposition à déployer des missions dans des environnements asymétriques. La complémentarité qui existe ainsi entre l’ONU et l’UA signifie également que les succès et les échecs de leurs opérations de paix respectives sont interdépendants.
Troisièmement, le maintien de la paix est une incarnation du multilatéralisme en action. Il fédère des acteurs clés et tire sa force de leur consensus: membres permanents et membres élus du Conseil de sécurité, principaux contributeurs financiers, États hôtes et plus de 120 pays, dont 40 sont africains, qui ont fourni plus de deux millions de personnels en uniforme à ce jour.
L’UA et l’ONU se doivent d’identifier des modalités pratiques pour renforcer encore davantage leur partenariat, y compris à travers des efforts renouvelés pour le rétablissement de la paix
Pour l’avenir, et sur la base des trois conclusions ci-dessus, l’UA et l’ONU se doivent d’identifier des modalités pratiques pour renforcer encore davantage leur partenariat.
Dans l’immédiat, les deux organisations devraient améliorer leur collaboration en appui aux opérations onusiennes de maintien de la paix présentement déployées en Afrique. Les missions de l’ONU peuvent tirer un surcroît d’efficacité de la légitimité politique de l’UA, cependant que le continent demeure, quant à lui, tout à la fois le bénéficiaire immédiat des succès des opérations de maintien de la paix qui y sont déployées et la région qui pâtit le plus de leurs échecs. Cette convergence d’intérêts devrait amener l’ONU à tenir l’UA constamment informée des activités de ses missions, pour favoriser leur appropriation continentale et susciter un soutien plus volontariste de la part des acteurs africains (l’UA se doit évidemment de faire de même s’agissant de ses initiatives).
Au niveau du Conseil de sécurité, les membres africains de cette instance peuvent mobiliser un soutien plus efficace en faveur des opérations de maintien de la paix, en adoptant des positions qui soient en consonance avec les cadres normatifs pertinents de l’UA et en maintenant l’attention sur les besoins concrets des missions. Il s’agit, ce faisant, d’éviter que le traitement des problèmes rencontrés ne soit sacrifié sur l’autel des tensions géopolitiques actuelles et d’autres enjeux connexes, avec tout ce que cela implique pour les missions et le secrétariat de l’ONU, lesquels, de fait, se retrouvent quelquefois abandonnés à eux-mêmes.
Dans le cadre des efforts qu’elles déploient pour faciliter un soutien coordonné aux opérations onusiennes de maintien de la paix, les deux organisations pourraient également envisager la possibilité d’intégrer systématiquement des missions de liaison de l’UA dans les opérations de l’ONU. Un tel arrangement permettrait à l’UA d’avoir une meilleure compréhension du rôle unique que jouent les missions de l’ONU et une appréciation plus approfondie des défis qu’elles affrontent sur le terrain.
De plus, l’UA et l’ONU devraient examiner conjointement comment tirer parti des modèles de maintien de la paix identifiés dans l’étude indépendante. Cet examen comporterait notamment une analyse des applications possibles de ces modèles aux contextes conflictuels d’intérêt mutuel, ainsi que de leur pertinence comme cadres conceptuels pouvant guider les différentes phases des missions, de leur déploiement initial à leur retrait progressif en passant par leur éventuel renforcement. L’UA et l’ONU pourraient ensuite, à travers des exercices conjoints de planification par scénario, tester ces modèles face à des situations de crise hypothétiques.
Quoique centrée sur les opérations onusiennes, l’étude indépendante n’en comporte pas moins des enseignements pour l’UA, notamment en ce qui concerne les capacités nécessaires pour améliorer l’efficacité des missions, y compris la planification, le leadership, la communication stratégique et les capacités de déploiement rapide. Dans le contexte du réexamen en cours par l’UA de sa Force en attente, les domaines prioritaires ainsi identifiés pourraient informer les efforts de modernisation de l’organisation continentale. De même, l’UA et l’ONU pourraient conjointement explorer les modalités d’adaptation du Système de préparation des moyens de maintien de la paix (PCRS) aux besoins spécifiques des opérations africaines, permettant ainsi à l’UA de générer plus efficacement des capacités pour ses missions.
Pour que le maintien de la paix opère plus efficacement, l’UA et l’ONU devraient intensifier leurs efforts en matière de rétablissement de la paix. À cette fin, les deux organisations pourraient envisager la nomination d’envoyés conjoints, comme cela a été fait par le passé, et l’établissement de groupes internationaux de contact ou d’autres structures similaires qu’elles co-présideraient. Au regard de la complexité du paysage contemporain de la médiation, caractérisé par une fragmentation poussée et de fortes rivalités entre les multiples acteurs bilatéraux engagés dans cette entreprise, l’UA et l’ONU ne pourront préserver leur influence et promouvoir des solutions ancrées dans les principes qui sont les leurs qu’en resserrant substantiellement leur coopération.
Dans ce contexte, l’UA gagnerait à assurer un meilleur équilibre dans l’emploi des différents outils de gestion des conflits prévus dans le Protocole relatif au Conseil de paix et de sécurité. Elle devrait réinvestir effectivement le champ de la prévention et de la médiation – domaines dans lesquels elle possède d’indéniables avantages comparatifs. Bien que les opérations de soutien à la paix constituent une composante importante de sa boîte à outils et soient nécessaires dans certaines situations, elles mobilisent des ressources – tant humaines que matérielles – et une attention disproportionnée. Le rééquilibrage proposé maximiserait l’impact de l’UA sur l’ensemble du spectre de la gestion des conflits tout en complétant les efforts de l’ONU.
Enfin, pour pérenniser les acquis du maintien de la paix, un investissement accru dans la prévention structurelle s’impose. L’objectif devrait être de combiner efficacement le riche cadre normatif et politique de l’UA dans les questions de gouvernance, de démocratie et des droits humains (ici, ici, ici, ici, ici, ici, ici, ici, ici, ici, ici et ici), d’une part, et la capacité technique et les ressources de l’ONU, d’autre part. Un tel partenariat se focaliserait sur trois domaines: l’assistance aux pays africains en vue de la mise en œuvre des engagements par eux pris aux termes des instruments africains; le soutien aux institutions africaines compétentes chargées d’assurer le suivi des différents volets de l’agenda continental dans le domaine de la gouvernance et des droits humains (ici, ici, ici, ici, ici et ici) ; et la diffusion des instruments de l’UA auprès des acteurs politiques, de la société civile et autres pour accroître leur niveau de sensibilisation aux engagements pris par leurs gouvernements et favoriser une plus grande responsabilisation.
Compte tenu de la distribution asymétrique du pouvoir entre nations et régions dans l’ordre international actuel, le système multilatéral, malgré ses imperfections, offre toujours le meilleur moyen de faire avancer les intérêts du continent
Dans un monde façonné par les tensions géopolitiques et confronté à une compétition accrue entre divers États, la Conférence de Berlin offre l’opportunité de rallier le plus large soutien possible à l’un des outils les plus éprouvés et durables du multilatéralisme. Pour l’Afrique, les enjeux ne pourraient être plus importants. Au regard de la distribution asymétrique du pouvoir entre nations et régions dans l’ordre international actuel, le système multilatéral, malgré ses nombreuses imperfections, offre toujours le meilleur moyen de faire avancer les intérêts du continent, permettant la formation de larges coalitions et fournissant des plateformes institutionnelles qui peuvent amplifier la voix collective de l’Afrique.
À environ deux semaines de la Conférence de Berlin, il n’est pas superflu de garder en mémoire le rapport de juillet 1990 sur les changements fondamentaux dans le monde et leurs conséquences pour l’Afrique, soumis par Salim Ahmed Salim, alors Secrétaire général de l’OUA (ici). Tout en soulignant que “la réponse africaine aux défis des années 1990 et au-delà doit … être essentiellement tournée vers la valorisation de ses atouts propres, en ce sens que la préoccupation majeure (devrait) être de bâtir les capacités intrinsèques de l’Afrique”, il soulignait dans le même élan la nécessité pour le continent de “continuer de solliciter et de cultiver la solidarité internationale”.
À cet égard, il exhortait l’Afrique à renforcer son soutien aux idéaux de l’ONU et de continuer de faire de celle-ci le point d’ancrage de sa diplomatie multilatérale, reconnaissant que l’organisation mondiale reste une plate-forme vitale pour la défense et la promotion des intérêts du continent. Trois décennies et demie plus tard, ces mots frappés du sceau de la sagesse continuent de garder toute leur pertinence.
Crédit photo: rts.ch
El-Ghassim Wane a dirigé l’équipe qui a mené l’étude indépendante sur l’Avenir du maintien de la paix, nouveaux modèles et capacités connexes. Il a servi comme Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU au Mali et chef de la MINUSMA, et a assumé plusieurs autres fonctions tant à l’ONU qu’à l’UA, notamment comme sous-Secrétaire général adjoint des Nations unies pour les opérations de maintien de la paix et Directeur pour la paix et la sécurité à la Commission de l’UA.

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Quand passerions nous a l’action?
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Y entrent
Portera
Interessant et inquiétant de retour à la “conférence de Berlin”.L’Afrique à tous les atouts pour reprendre tout ce qu’il lui est dû.Comment se fait-il que dans plusieurs sociétés rurales de toute l’Afrique et la COI les anciens(Chrétiens,Musulmans ou autres)ils réussissent à faire reigner l’ordre, la paix en quelque sorte?Pour une meilleure condivision du peu qu’ils ont?Et c’est exactement ce que les guerres importées,sont en train de détruire.L’essence même de la simplicité,l’efficacité de “Our Elders Way”.Revenons à nous,restons Africains sans jamais dénigré ce que le monde “civilisé a à offrir,soyons conscients de nos priorités,gains collectifs.Mais vu que “là où les chiens ont percé,les loups y entrant”continue à être exercé par plusieurs acteurs Africains,aucune étude ni subvention ni intervention ne porteras au vrai maintien de la paix.Et pourtant nous Africains sommes de grands croyants.Sauf que l’on a substitué le “Dio denaro”au Bon Dieu.Sauve qui peut.