

Aboubakar Alfa Bah
S’interroger sur l’émergence des groupes de défense et de vigilantisme en Afrique et notamment au Sahel amène à se questionner sur leurs relations à l’État, tant leur expansion dans le temps à travers la tradition est impressionnante, tant leurs évolutions dans un contexte sécuritaire est critique. Selon Antoine Yerbanga dans « Émergence d’une institution informelle au Burkina Faso », les groupes d’autodéfense ont un ancrage traditionnel. Par exemple, le groupe de vigilantisme koglweogo avait à l’origine une mission d’ordre rural. Les populations mossi dépendaient des ressources de la forêt, d’où l’idée de réguler l’exploitation abusive.
C’est ainsi que les Koglweogo prirent comme premier « mandat » la protection des forêts. Avec la montée de la criminalité, dont le vol des produits d’élevage, les Koglweogo ont élargi leur mission de protection aux produits de l’élevage. Ce retour n’est pas uniquement marqué par un besoin de traquer les voleurs, car il traduit également une forte envie de maintenir un ordre social et moral. La moralité joue ici un rôle majeur, car la figure même du voleur est associée à celle d’une personne ne répondant pas aux bonnes mœurs, d’où le redressement des personnes déviantes voulu par les Koglweogo.
Le second contexte d’émergence des koglweogo est lié à la crise sécuritaire au Sahel. Depuis 2013, le Sahel est devenu le théâtre d’une crise sans précédent. La multiplication d’acteurs dans ce conflit oppose les armées nationales sahéliennes à des groupes armés terroristes, et parfois ces derniers entre eux, toujours plus nombreux à l’image de Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) Ansarrul, EIGS et le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). Ce conflit qui connaît une rapide expansion régionale à partir du Mali, a conduit à plusieurs interventions militaires dont celle de la France avec l’opération Serval puis Barkhane.
Jusqu’alors relativement peu attaqué, le Burkina Faso a vu son contexte changer après le renversement de Blaise Compaoré en 2014. Cette période verra la mise en place d’importantes initiatives citoyennes comme le balai citoyen qui jouera un rôle important dans cette révolution. La fin de la révolution coïncide avec l’intensification des attaques jihadistes au Burkina Faso, avec la première attaque majeure dès janvier 2016 au centre de la capitale Ouagadougou qui fera plus d’une centaine de blessés et 30 morts.
Cette attaque sera marquante et entraînera un sentiment de panique et d’insécurité chez la plupart des citoyens. Le terrorisme s’infiltrera en profondeur dans le pays et se diffusera progressivement, menaçant la quiétude des citoyens du fait de la porosité des frontières, de l’absence d’État dans certaines zones et des conséquences de l’échec des politiques publiques.
Au tournant des années 2017 et 2019, les violences connaîtront une large expansion territoriale, entraînant des pertes en vie humaines considérables. Les massacres des populations s’amplifieront et l’échec des forces de défense et de sécurité révèleront l’incapacité de l’État à assurer un de ses pouvoirs régaliens : garantir la sécurité des populations. Cette défaillance de l’État se révèle être la raison d’expansion de ce nouvel ordre politico-social où baigne les groupes de défense à l’image des Koglweogo qui, désormais, se positionnent comme un acteur incontournable de la sécurité au Burkina Faso.
Vers une institutionnalisation des Koglweogo ?
Si les formes de vigilantismes ont toujours renvoyé à l’urgence de maintenir l’ordre social et de s’y limiter, la réalité au Sahel est toute autre, comme en témoigne l’évolution des groupes d’auto-justice. D’une volonté de faire régner l’ordre et la justice, ces groupes apparaissent désormais comme des supplétifs de l’armée étatique dans la lutte contre le terrorisme. Avec la co-production de la sécurité dans les pays du Sahel, les groupes d’autodéfense sont devenus des acteurs centraux dans cette livraison de la sécurité.
Dans le cas des Koglweogo, l’efficacité dont ils font preuve contre le grand banditisme renforce la renommée du groupe et l’acceptation dont ils bénéficient auprès des communautés qu’ils protègent. L’urgence de lutter contre le jihadisme au regard de l’échec constant des forces de défense et de sécurité de l’État à protéger la population a permis aux Koglweogo de s’ancrer durablement et d’être soutenus par les communautés dans leur lutte contre le terrorisme.
Les koglweogo propulsés par une logique communautaire et une reconnaissance produisent également des formes de justice, ce qui les ont constitués en entité forte. En effet, lorsque le groupe attrape un voleur, il se charge de le punir sans pour autant le rendre aux mains de la police ou des forces de l’ordre.
La détérioration de la situation sécuritaire du pays a exercé une large influence sur le contexte politique avec le double coup d’État, dont le second voit le Capitaine Ibrahima Traoré prendre les rênes du Burkina Faso. Il faut rappeler que lors du premier coup d’État, le lieutenant-colonel Damiba avait en ce sens affiché son intention de collaborer avec les groupes d’autodéfense dont les Koglweogo. Bien avant lui, le président déchu Roch Kaboré demandait à tous les Burkinabè de soutenir l’armée dans son combat contre les groupes jihadistes.
L’urgence de lutter contre le jihadisme au regard de l’échec constant des forces de défense et de sécurité de l’État à protéger la population a permis aux Koglweogo de s’ancrer durablement et d’être soutenus par les communautés dans leur lutte contre le terrorisme
Même si 2020 correspond à l’année d’approbation du projet de loi gouvernemental sur la mise en place des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) sous la direction du ministère de la Défense, les Koglweogo manifestaient déjà une volonté de reconnaissance. En 2014, le groupe koglweogo de Fada N’Gourma bénéficiait d’une reconnaissance étatique en obtenant un statut d’association « loi 1901 », qui a permis à tous les membres de détenir des cartes avec des informations personnelles.
Le processus d’institutionnalisation des koglweogo est particulièrement avancé. Les membres des koglweogo prêtent serment sur le Coran ou la Bible pour être membre, et lors des procès organisés par le groupe, “les deux livres sont invoqués, ainsi que des références animistes”. Le groupe se positionne surtout dans les espaces délaissés par l’État, notamment les villages et certaines localités périurbaines. Il y officie en autorité politique, organisant une vie de société avec leurs propres codes moraux, des taxations des personnes et des biens, tout en se greffant à l’économie locale et en rendant une justice qui semble concurrente à la justice de l’État.
En ce qui concerne la justice, les procès organisés par les koglweogo participent à la mise en scène d’une société idéalisée, fondée sur des références communautaires valorisées. Cette justice dite « populaire » ne vise pas uniquement la sanction des fautes, mais semble poursuivre une fonction de restauration de l’ordre au sein de la communauté. Dans ce processus, les groupes d’autodéfense mobilisent parfois des acteurs extérieurs – non pas pour les impliquer dans leur action, mais pour obtenir une forme de reconnaissance implicite qui contribue à légitimer leur rôle dans la régulation sociale.
Les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) comme solution ?
Le projet de loi portant institution du Volontaire pour la défense de la patrie (VDP) définit le volontaire comme « une personne de nationalité burkinabè, auxiliaire des forces de défense et de sécurité, servant de façon volontaire les intérêts sécuritaires de son village où de son secteur de résidence, en vertu d’un contrat signé entre le volontaire et l’État ». Par cette loi, l’État vient tenter d’encadrer les groupes d’autodéfense avec la création des volontaires pour la défense de la patrie (VDP) tout en poursuivant son objectif de lutte contre le terrorisme.
Ces derniers se positionnent comme une solution majeure aux groupes de défense comme les Dozos ou encore les Koglweogo, car à travers un cadre juridique légal et une volonté de rationalisation et de contrôle, l’État pourrait canaliser la volonté locale de sécurité dans un cadre plus respectueux des droits humains. L’idée étant alors ici d’institutionnaliser et contrôler la sécurité communautaire. Cependant, il convient de mentionner que les résultats de ce groupe de VDP s’avèrent à contre sens des attentes initiales. En effet, la multiplication des groupes communautaires, en plus de la création des VDP, engendre l’exacerbation des tensions dites “communautaires”.
Les attaques à l’endroit des communautés stigmatisées se multiplient et même, on note un communautarisme au niveau des VDP. C’est d’ailleurs en ce sens qu’expliquait l’ancien Premier ministre Albert Ouédraogo en août 2022 que : « La composition de ces groupes [VDP] doit refléter la diversité communautaire au niveau de la commune. Parce que nous avons constaté une sorte de communautarisme qui s’est développée au niveau des VDP. Et cela a aussi créé les effets pervers que nous connaissons. ».
Le communautarisme généré par la composition des VDP exacerbe les tensions intercommunautaires, en opposant certaines communautés à d’autres. Dans le contexte burkinabè, cela s’est notamment traduit par une stigmatisation croissante de la communauté Peule, souvent perçue – sur la base de clichés – comme une ennemie collective.
Des révélations sur les agissements des volontaires pour la défense de la patrie sont nombreuses, pour certains, ils agissent contrairement aux règles de leur enrôlement ce qui est pourtant prohibé, notamment selon le gouvernement du Burkina Faso, (2022, art. 15) : “l’interdiction au volontaire d’accomplir tout acte contraire aux lois, aux règlements, aux coutumes de la guerre ainsi qu’aux conventions internationales auxquelles le Burkina Faso est parti. Il lui est également défendu de poser des actes de police judiciaire ou d’effectuer des missions de maintien de l’ordre”.
La « communautarisation » de la lutte contre le terrorisme tend à prendre les habillages identitaires au Burkina Faso, ce qui alimente fortement les tensions intercommunautaires. Cette logique identitaire au Burkina Faso a atteint son paroxysme en ethnicisant la violence sous des généralisations insoutenables, ceci en associant cette même violence sécuritaire à des appartenances ethniques spécifiques et à percevoir certains groupes sociaux comme intrinsèquement liés à l’insécurité ou au terrorisme. Cette manière de combattre le terrorisme en qualifiant une ethnie de responsable n’est nul autre que le moyen de mener à plus de violence au sein du territoire. Les qualificatifs séparatistes au sein d’un pays engendrent des effets pervers sur le devenir de la nation, remettant en cause son existence.
Les volontaires pour la défense de la patrie sont un bras opérationnel fort qui, malgré leur encadrement juridique, tendent à agir sans justification. Le recrutement des volontaires pour la défense de la patrie a été problématique dès la mise en place du projet, car il n’a pris en compte que peu de facteurs, délaissant ainsi l’un des caractères les plus importants : l’équilibre communautaire de ses membres, dans un pays qui regroupe plusieurs tribus, ethnies et communautés avec une multitude de différences. Comme mentionné précédemment, l’ethnie Peule, qui compte environ 10% de la population totale, est largement exclue du recrutement.
Ce communautarisme a influencé la construction d’un ennemi intérieur commun, les membres de la communauté peule, qui sont alors associés à des groupes violents et terroristes (comme le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans – GSIM – ou l’État islamique au Grand Sahara – EIGS).
Cette manière de combattre le terrorisme en qualifiant une ethnie de responsable n’est nul autre que le moyen de mener à plus de violence au sein du territoire. Les qualificatifs séparatistes au sein d’un pays engendrent des effets pervers sur le devenir de la nation, remettant en cause son existence
Cette dynamique de communautarisation de la violence comporte des dérives graves commises par les VDP, observables dans plusieurs régions du Burkina Faso. Une illustration particulièrement marquante est le cas du massacre survenu les 10 et 11 mars 2025 à Solenzo, dans la province de la Banwa, où au moins 58 civils, majoritairement issus de la communauté peule, ont été tués par des milices pro-gouvernementales, identifiées comme des VDP, et appuyés par des membres des forces armées.
Cette attaque met en exergue la déviation dangereuse de la lutte antiterroriste vers une logique de représailles communautaires, qui dans une certaine mesure nourrit un cycle de violences, d’exclusion et de défiance envers l’État même. Les VDP qui, de base, étaient censés servir de supplétif à l’armée dans la lutte contre le terrorisme se sont transformés en catalyseur du cycle de violence entre les communautés.
Bien que la conception des VDP reste une idée pertinente pour l’encadrement des groupes de défense, sa mise en œuvre peut être qualifiée de « défectueuse », tant le mode de recrutement ne représente pas la diversité ethnique du pays, que la formation de ses membres est incomplète et que les règles du groupe ne sont pas respectées. Il ne s’agit pas d’insister sur la communautarisation de la lutte contre l’insécurité, mais surtout d’analyser les ressorts d’une stratégie qui a fini par avoir des effets pervers sur le sol Burkinabè, créant un enchevêtrement de crise sécuritaire, provoquées par de multiples acteurs.
Crédit photo: lopinion.fr
Aboubakar Alfa Bah est assistant de recherche à WATHI. Il s’intéresse aux questions liées aux inégalités sociales, à la politique et à la sécurité en Afrique de l’Ouest et dans les pays du sud.

1 Commentaire. En écrire un nouveau
C’est avec intérêt que j’ai lu votre analyse sur la situation des VDP. Force est de constater que les VDP et les groupes d’autodéfense apportent une contribution non négligeables dans la lutte contre l’insécurité et le terrorisme.
Avec la loi sur la police de proximité, les groupes d’autodéfense travaillent en collaboration avec la police et la gendarmerie. Des séances de sensibilisation sur les droits humains et les droits des personnes soupçonnées à leur profit. L’état à travers la justice jugent les auteurs d’infraction : traitement inhumain, dégradant, coups et blessures, extorsion de fonds…. Dans la lutte contre le terrorisme les VDP sont dans leur environnement et sont encadrés par les FDS et commander par des FDS. La résiliation de contrat de beaufort de VDP pour des actions dont vous dénoncer dans votre analyse. Des ONG et partenaires soucieux du respect des droits humains financent des activités de sensibilisation des chefs militaires et des subordonnés ainsi que des supplétifs. Le recrutement accentué de VDP (reconversion en FDS) et même dans la fonction publique. La judiciarisation du théâtre des opérations à travers la mise en place des prévôtés. L’ouverture d’enquête ou de communiquer du gouvernement en cas de soupçon ou d’allégations de massacres de population (dans un contexte de perfidie). Les GAT utilisent la perfidies pour gagner la confiance des populations. Des VDP héro au regard des activités ou prouesses au combat à l’image de l’adji YORO. Grâce au Dozo , les terroristes ont du mal a s’installer dans certaines forêts et ou localités. Tout n’est pas rose mais l’objectif c’est de minimiser les violations des droits et sanctions si éventuellement il y a des cas. Zéro impunité si des faits sont avérés. Juste ma contribution en tant que acteur de la sécurité