
Les principales priorités sociales et économiques « Le contexte actuel est marqué par une crise sociale et sociétale profonde. La crise des institutions est un des défis majeurs auquel le pays est confronté. Beaucoup de Sénégalais ont l’impression que les institutions, politiques ou sociales sont déconnectées de la réalité des populations. L’un des défis majeurs est de pouvoir reconstruire ces institutions. Il est important de pouvoir adresser la question de la gouvernance des institutions, en donnant une place centrale aux citoyens. Cela passe par des exigences de redevabilité vis-à-vis des citoyens de la part des institutions publiques. Les institutions sociales sont aujourd’hui confrontées à des défis majeurs, liés d’abord au poids démographique de la jeunesse de la population sénégalaise. Les réponses appropriées n’ont pas encore été trouvées pour répondre aux problématiques posées par la jeunesse. Les défis concernent principalement l’emploi, la sécurité et l’éducation. Concernant la gouvernance, il persiste un problème de redevabilité. Le Sénégal a connu des épisodes de mal gouvernance ces douze dernières années. Un contexte d’impunité généralisé s’est installé, ce qui laisse les problèmes de gouvernance sans réponse, même une fois identifiés. Les faits de détournement rapportés par les institutions de contrôle du pays en sont l’exemple le plus patent. Pourtant, aucune sanction ou poursuite n’a été engagée. Malgré la présence d’institutions chargées de veiller à la bonne gouvernance, la question de la mal gouvernance est minimisée. On est très loin de la gouvernance sobre et vertueuse qui avait été promise. Cela a contribué à créer une distance entre le citoyen et ses dirigeants. La question de l’accès à l’information est centrale. Pour aboutir à une bonne gouvernance, il est nécessaire d’avoir accès aux informations budgétaires. Même si certains documents sont rendus publics par les organes de contrôle, il y a peu de débats autour de ces documents. De plus, les régressions des droits fondamentaux des citoyens sont nombreuses, ce qui rend complexe la question de la gouvernance. Les enjeux spécifiques liés aux jeunes et aux femmes Le principal enjeu est de déconstruire la notion de jeunesse. Le poids démographique est certes important, mais dans la définition des politiques et leur mise en œuvre, des modèles globalisants et homogénéisant sont utilisés. En rassemblant tous les jeunes, on leur apporte une réponse unique alors qu’il y a une multitude de jeunes, avec chacun leurs problématiques propres. Pour pouvoir répondre efficacement à leurs besoins en éducation et en emploi, il est important de connaitre les aspirations de cette jeunesse. Aujourd’hui, on réalise que les problématiques des jeunes n’ont pas été prises en charge. Cela se matérialise par des formes de migrations irrégulières qui s’accompagnent d’espoirs brisés. La modèle d’éducation actuel est trop européo-centré et ne convient donc pas aux communautés. Il faut développer des modèles d’éducation alternatifs, ainsi que des modèles alternatifs de réussite qui parlent davantage aux jeunes. Cela permettra de mieux construire des programmes et des politiques adaptées aux jeunes. Les jeunes s’engagent en politique pour s’en sortir. D’une certaine manière, la politique devient un moyen d’ascension sociale. Pour répondre à la crise de l’emploi, certains jeunes s’engagent en politique en espérant obtenir quelques subsides. Cela cache une crise de la citoyenneté, surtout pour les femmes et les jeunes. D’un côté, les gens s’engagent dans des partis politiques, mais d’un autre côté, ils ont un rapport à la République et à la nation de plus en plus distancié. On peut aller jusqu’à parler de dépolitisation des jeunes dans leur rapport à la République. Les programmes sur la participation politique des femmes sont nombreux. Malgré la mise en place d’instruments comme la loi sur la parité, la représentation numérique ne garantit pas une participation qualitative des femmes dans la vie politique. Sur 19 candidats à l’élection présidentielle, il n’y a eu qu’une seule femme, ce qui pose des questions sur l’accès des femmes à certains postes de décisions. Le faible nombre de femmes comme leaders dans le champ politique montre que leur inclusion reste un défi majeur. Aujourd’hui, les organisations de la société civile ont mis en place des plates-formes pour observer, accompagner et conduire des programmes sur le leadership et la participation politique des femmes. Mais les résultats ne sont pas probants. Les femmes restent des “faiseuses de roi”, c’est-à-dire que c’est elles qui s’occupent de la mobilisation. Une des solutions ou démarches à tester réside dans le mode de désignation des représentants des citoyens. A l’Assemblée nationale, les listes sont censées être paritaires mais elles ne le sont pas toujours. Cela montre que même dans les institutions où sont produites les lois, les règles ne sont pas systématiquement respectées. Sur la question de la représentativité, il faudrait partir de cercles de concertation plus locaux, à l’échelle des quartiers par exemple. Les femmes en particulier sont actives à cette échelle. Des personnes choisies ou du moins proposées par leur communauté permettraient des élections avec une meilleure représentativité notamment en adoptant une approche bottom up. Une Assemblée nationale pourrait être constituée sur cette base. Les personnes élues représenteraient réellement la localité d’où elles viennent. Les enjeux liés à la participation politique des femmes dépassent largement une affaire de femmes, c’est une affaire de société. Ce n’est pas parce qu’on est une femme qu’on est censé être plus sensible aux problèmes de femmes. En ce sens, il faut promouvoir une masculinité positive. Il y a une nécessité de considérer toute personne comme quelqu’un avec des droits, des devoirs, des obligations et avec des capacités et des compétences. A chaque fois qu’il y a un poste de responsabilité en jeu, la question de la compétence est mise en avant pour masquer le fait que les hommes sont favorisés. Les principales priorités pour le système éducatif Une décolonisation du système éducatif mais aussi des savoirs de manière générale est nécessaire, parce que tous les Sénégalais sont allés à l’école occidentale. Quand on voit les aspirations du pays, des jeunes et des communautés en termes de projet de société à bâtir, ce sont des modèles qui sont importés. Cependant, de plus en plus de modèles alternatifs émergent. Il serait intéressant de les étudier. Il est important de voir comment les communautés pensent leur société, leur vivre ensemble et le type de société souhaité.
A chaque fois qu’il y a un poste de responsabilité en jeu, la question de la compétence est mise en avant pour masquer le fait que les hommes sont favorisés
On observe l’échec patent du modèle occidental. Des modèles standardisés sont appliqués dans nos pays sans tenir compte des contextes locaux. Cela a entrainé notamment une inadéquation entre la formation et l’emploi. Le constat qui domine est que l’école devient une fabrique de chômeurs. Il est aussi nécessaire d’adresser les problèmes de fond. Il faut corriger les injustices épistémiques qui existent au sein de la société. Le modèle d’éducation doit être analysé comme un objet d’inégalité qui doit être corrigé. L’économie néolibérale et capitaliste prônée dans le pays ne correspond pourtant pas au mode de production à l’œuvre. L’économie du Sénégal a été qualifiée d’économie parallèle. Pour considérer la question de l’emploi et y répondre de façon pertinente, il faut identifier les acteurs de cette économie parallèle et analyser en quoi ce modèle économique est différent du modèle capitaliste imposé. Les parcours de réussite sont nombreux dans les banlieues, les communautés, et les milieux ruraux. Les priorités globales nationales pour assurer le bien-être des populations Il y a une nécessité de refondation de l’État et de repenser ses institutions. Il faut réfléchir à ce qui ne fonctionne pas dans les institutions et les repenser pour mieux répondre aux besoins des populations. La deuxième priorité est l’accès à la santé. Il est nécessaire de sortir des modèles standards, dénommés modèles voyageurs par Olivier de Sardan. Par exemple, les mutuelles de santé ne permettent pas d’atteindre la couverture santé universelle. Il faut réfléchir à une façon de prendre en charge la santé du plus grand nombre.
Il est aussi nécessaire d’adresser les problèmes de fond. Il faut corriger les injustices épistémiques qui existent au sein de la société. Le modèle d’éducation doit être analysé comme un objet d’inégalité qui doit être corrigé
Les programmes de santé ont été des échecs dans leur mise en œuvre, notamment à cause du sous-financement. Il faut que l’État respect ses engagements internationaux et fasse de la santé une priorité. Les ressources propres du pays doivent pouvoir financer le secteur de la santé. Actuellement, le système de santé est encore fortement dépendant de financements extérieurs. Les programmes sont fragmentés et conçus de manière verticale, ce qui les rend inefficaces. Il faut prioriser le traitement des maladies émergentes et réémergentes qui sont négligées. Le focus est fait sur les maladies prises en charge dans le cadre des initiatives de santé globale, au détriment d’autres pathologies qui touchent une part importante de la population (cancers, maladies cardiovasculaires…). Les réponses restent faibles, car le pays est dépendant des initiatives de santé globale qui commencent elles-mêmes à s’essouffler. La troisième urgence est la question de l’éducation au sens large. Il est important de reconstruire des citoyens Sénégalais, c’est-à-dire les réconcilier avec la République et la nation. Une quatrième urgence est la nécessité de repenser des valeurs communes pour rebâtir notre Nation. La dernière priorité est de considérer la question de la jeunesse. Le poids démographique n’est pas un problème, mais un levier pour assurer le développement du pays dans les prochaines années. »
