
La relation entre l’État et les différentes communautés religieuses au Sénégal « La question du rapport entre l’État et les communautés religieuses au Sénégal est complexe. En effet, l’organisation des communautés religieuses est particulière. C’est une organisation avec une présence importante des soufis, ce qui est très rare dans de nombreux pays. Au Sénégal les communautés religieuses sont organisées à travers quatre confréries religieuses et à la tête de chaque confrérie, on retrouve un leader religieux. Ceux-ci jouissent d’un pouvoir et d’une autorité sur les populations. Dans certains cas, l’autorité des leaders religieux est bien plus importante que celle des politiques sur les citoyens. Nombreux sont les défis qui se heurtent à cette autorité car la relation entre le religieux et le citoyen n’est pas normée. C’est une autorité non institutionnalisée mais influente. Par exemple, en cas de crise dans le pays, les populations peuvent compter sur l’impact des leaders religieux pour apaiser les jeunes d’une part, et parler aux politiques d’une autre part. Ils ont un rôle de médiateurs. Cependant, les paroles des leaders religieux sont de plus en plus remises en cause par une nouvelle génération de jeunes qui a d’autres aspirations. Il faudra aller vers une institutionnalisation des rapports entre les pouvoirs publics et les autorités religieuses, afin que la mission assignée aux autorités religieuses dans le cadre de cette République soit claire pour tout le monde Pour ce faire, il faut partir du principe que nous sommes dans une République laïque et que cette laïcité de l’État ne doit jamais être remise en cause. L’État doit mette en place les conditions nécessaires d’un dialogue intracommunautaire qui pourrait faire émerger une sorte de Haut-Conseil religieux ou de Conseil des cultes. Ce dernier pourrait jouer un rôle de médiation, mais aussi d’orientation pour les autorités et les populations. Avec ce Haut Conseil, les religieux ne seront pas uniquement appelés en cas de crise, mais ils pourront intervenir dans la prévention, l’éducation et apporter des réponses religieuses aux enjeux et aux défis du temps. Ils pourront réfléchir sur les questions d’ordre écologiques, humanitaires, sécuritaires et sur les problématiques régionales. Il ne faut pas que le pays devienne un État religieux, il doit rester un État laïc. Par contre, les religieux doivent aussi s’organiser afin de mettre en place un cadre avec lequel l’État pourrait dialoguer. Par exemple, les déclarations de dates de début ou de fin du ramadan restent un défi. Chaque année, les avis divergent par rapport aux dates. Cela doit être encadré. L’État ne peut pas déclarer deux jours fériés, car il y a des considérations économiques qui entrent en jeu. Certes, ce n’est pas à l’État de décréter ces dates, mais le Haut Conseil pourrait régler cette question. Les principales préoccupations sociales Il y a deux problèmes qu’il faut absolument résoudre, et qui sont liés. Le premier renvoie à la rupture de confiance qu’il y a entre les populations et les autorités politiques. Et la seconde, entre les populations et les autorités religieuses et coutumières. Il faudrait travailler pour rétablir cette confiance, afin que les populations puissent travailler et contribuer tous ensemble à la construction de ce pays. Les Sénégalais ne sont pas très heureux, il y a une angoisse qui plane. On pleure encore les décès à Saint-Louis, le départ de nos concitoyens vers les côtes espagnoles, la fermeture des universités. Il faut travailler pour que les gens se sentent heureux dans ce pays. Sans cela, il sera difficile de motiver les gens à contribuer au développement national. Il faudra réfléchir à la manière de garantir le bien-être de la population, car c’est de là que découlent toutes les questions de socialisation et de sociabilité. L’autre point important est la redistribution des richesses. C’est une problématique importante qui suscite des réflexions. Cela signifie que la richesse est concentrée entre les mains de quelques personnes, alors que d’autres personnes sont pauvres depuis des générations. Il faudra travailler à la réduction de cette pauvreté, mais aussi à la diminution de l’écart entre les riches et les pauvres. Il est incompréhensible qu’un fonctionnaire soit milliardaire alors qu’aujourd’hui des enseignants n’arrivent pas à tenir un mois avec leur salaire. Beaucoup de gens voudraient se soigner ne le peuvent pas par manque de moyens. La redistribution des richesses est une réelle problématique. Une politique sociale sur cette question est nécessaire. Il faut qu’il y ait un revenu minimum auquel toutes les populations ont droit. Cela est possible, avec une redistribution des richesses plus équitable. Le défi actuel de la gouvernance La question de la gouvernance est primordiale. Nous faisons face à des difficultés, car les pouvoirs sont concentrés entre les mains d’une seule personne. Les populations ne peuvent compter que sur elles-mêmes. Tandis que les personnes autour du Président peuvent s’approprier les biens de l’État, sans qu’il n’y ait de poursuites, car le Président choisit qui sera traduit en justice et qui ne le sera pas. Le constat est qu’aujourd’hui, un individu affilié au gouvernement peut détourner des fonds publics sans être inquiété. Alors qu’un opposant peut facilement être incarcéré pour des délits mineurs comme un post sur Facebook. En 1978, Cheikh Anta Diop écrivait ceci « le Rassemblement national démocratique a l’intention de remettre en cause le concept de l’État. L’État que l’on se dépêche de nous mettre en place n’a rien à voir avec les intérêts de la grande majorité du peuple ». Ainsi la constitution actuelle ne devrait pas être révisée, mais rejetée et remplacée par une constitution plus démocratique, où les pouvoirs seraient mieux équilibrés et où l’Assemblée nationale jouerait un rôle plus actif. Le pouvoir exécutif en particulier devrait être entièrement restructuré et moins exorbitant. L’État sera l’émanation de la volonté populaire et de ce fait, les assemblées locales auraient des pouvoirs réels et non pas symboliques. Ce type d’État doit émerger dans la conscience populaire et sa réalisation devient une exigence impérieuse. Il avait donné les pistes pour une bonne gouvernance en matière d’organisation de l’État, et de redistribution des pouvoirs entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire. Cependant, il y a un point très important souligné par le professeur Fotso : « on ne doit pas confier ce pays à une personne qui n’a pas de spiritualité ». Il ne s’agit pas de quelqu’un de religieux, mais quelqu’un de spirituel. Une personne spirituelle n’osera pas voler l’argent du peuple, ni martyriser la population, ni même la manipuler par les médias et n’influencera pas les décisions de justice pour favoriser ou éliminer certaines personnes. Les priorités globales nationales pour assurer le bien-être des populations « Dans le Coran, il est dit que « Dieu a créé Adam et Eve, il leur a dit vous resterez au paradis, vous n’aurez ni faim, ni soif, ni crainte ». Cette vision nous invite à réfléchir sur notre société, afin que les gens ne souffrent ni de faim, ni de soif, ni même de peur. Cette crainte englobe également les préoccupations en matière de sécurité, parce qu’il existe d’importants problèmes de sécurité dans ce pays. Par exemple, on observe des agressions en plein jour. Il y a quelques années, c’était un phénomène rare. L’individualisme a pénétré le pays. Autrefois, lorsqu’une agression se produisait, les gens se précipitaient pour aider la victime ou arrêter l’agresseur. Aujourd’hui, les gens vaquent à leurs occupations sans intervenir. Il faudra absolument travailler sur la question de la sécurité, et revoir la relation entre les populations et les forces de défense et de sécurité. Il serait intéressant de s’inspirer d’autres pays, notamment la police de proximité aux États-Unis, où des agents non armés sont présents au sein des communautés pour comprendre leurs problèmes et leurs besoins. En évoquant la question de la sécurité, je fais référence à la sécurité alimentaire aussi, mais également à tous les aspects de la sécurité humaine. Cela inclut également la santé. Il est essentiel de travailler sur la question sanitaire. Il suffit de faire le tour des hôpitaux pour constater que de nombreuses personnes sont dans l’incapacité de se soigner. Même ceux qui parviennent à obtenir des soins médicaux n’ont pas de quoi acheter leurs médicaments. Il est primordial que tout besoin du patient soit réalisable et accessible. Il est inacceptable que dans certaines situations, comme aux urgences par exemple, on demande aux patients de s’acquitter des frais d’hôpital avant de recevoir des soins. Il est crucial de réexaminer la politique de santé au Sénégal L’enseignement est une priorité. Au Sénégal, on forme beaucoup de sociologues et de philosophes, mais peu de mécaniciens et de menuisiers. Le système est fait de sorte que tout le monde suit le même cursus jusqu’au baccalauréat. Après avoir accompli le cursus à l’université beaucoup se retrouvent sans emploi. À partir de la classe de troisième, il faut identifier ceux qui sont destinés à l’enseignement supérieur et ceux destinés à suivre une formation professionnelle. Il faudrait mettre en place des mécanismes pour permettre une transition fluide vers le marché du travail après la formation, que ce soit en travaillant pour une entreprise existante ou en créant sa propre entreprise avec un soutien financier adéquat. Tout le monde ne devrait pas nécessairement aller à l’université. D’ailleurs, il n’y a pas suffisamment d’universités ni de places disponibles dans celles-ci. Par exemple, il y a 100 000 étudiants à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, ce qui est excessif. En outre, il faut également aborder la question de l’action sociale. Au Sénégal, nous avons à la fois un ministère de la Santé et un ministère de l’Action sociale, ce qui limite la portée de la politique sociale de l’État. À mon avis, il ne devrait pas y avoir un ministère distinct de l’Action sociale, mais plutôt un comité interministériel, car l’action sociale est présente dans tous les ministères, de l’Éducation nationale à la Fonction publique. Enfin, je tiens à souligner que chaque personne vivant au Sénégal, quelle que soit sa nationalité, devrait avoir accès aux soins de santé, à un logement et ne pas souffrir de la faim. »
