
Les principales priorités « Sur le paysage politique sénégalais, on retrouve un déphasage entre les aspirations des populations et le déroulement des politiques publiques. Cela s’explique par une incompréhension de l’essence de la politique au Sénégal. En effet, la politique renvoie à l’éducation des masses à prendre conscience de leur présent et des défis qui les interpelleront à l’avenir. On constate que lors des élections, les populations votent très souvent pour des individus, sans pour autant avoir conscience du projet qu’elles souhaitent en réalité soutenir. Au sein des partis politiques, ce sont des individus qui sont mis en avant, sans pour autant évoquer la question des principes de gouvernance ou l’orientation politique, économique et sociale. Depuis la décennie 80, avec la libéralisation consécutive aux nouvelles politiques néolibérales édictées par la Banque mondiale et le Fonds monétaire internationale sous l’égide de la Grande-Bretagne de Margaret Thatcher et des USA de Ronald Reagan, la vie politique de plusieurs pays africains a été désorganisée, notamment celle du Sénégal. La transition vers le libéralisme a tout chamboulé en créant un grand fossé entre les élites et les populations. En effet, les priorités ont été détournées et les conséquences ont été nombreuses, notamment la mise de côté des politiques impulsées sous Senghor pour le développement de l’éducation des masses. Il subsiste aujourd’hui un contraste né de cette politique de libéralisation. Au lieu d’un système pensé par les hommes et mis en œuvre à travers des institutions solides, on a plutôt une patrimonialisation des institutions conduite par des personnes qui pensent avoir le droit de décider du destin de tout un peuple. D’où les frustrations populaires et les tensions, car le peuple ne comprend pas. Cependant, les responsabilités sont partagées, car le peuple lui-même ne s’interroge pas sur la trajectoire des différents leaders qui compétissent pour la magistrature suprême. Le premier défi consiste donc à amener les populations à prendre conscience de leur destinée, mais en s’appuyant sur des valeurs et des principes de gouvernance qui seront partagés par tous, car tant qu’on n’a pas des valeurs et des principes de gouvernance qui permettent d’avoir une vision claire par rapport à l’orientation sociale, économique et politique que le futur régime mettra en place, on se retrouvera dans un cycle d’éternel recommencement. Une autre priorité est d’avoir une économie locale forte et moins dépendante de l’extérieur. Le Sénégal a une économie extravertie, ce qui appauvrit le pays, car certains secteurs de développement comme l’agriculture, l’élevage et l’industrie ne profitent pas réellement au pays. Notre économie ne produit pas suffisamment et est fortement dépendante du marché international. Ceci s’explique par la non mise en place de mécanismes et d’initiatives permettant à nos populations de consommer localement, mais aussi de développer le génie des Sénégalais en termes d’inventivité.
Tant qu’on n’a pas des valeurs et des principes de gouvernance qui permettent d’avoir une vision claire par rapport à l’orientation sociale, économique et politique que le futur régime mettra en place, on se retrouvera dans un cycle d’éternel recommencement
Il devient important de repenser l’employabilité au Sénégal. L’État doit pouvoir créer les conditions de l’employabilité des jeunes. Ceci en les amenant non seulement à entreprendre, mais aussi en leur inculquant des valeurs qui leur permettront de prendre des initiatives. Il est urgent que l’État revoit les formations qui sont proposées pour que les jeunes puissent comprendre en réalité qu’ils ont en main leur destin. Il faut une adéquation entre la formation, les aspirations de la jeunesse et le marché de l’emploi. L’encadrement des jeunes et des femmes est un réel problème au Sénégal. Par exemple, au sud du pays, nombreuses sont les femmes qui entreprennent tout en tenant les foyers, ce qui n’est pas favorable pour leur épanouissement. Il faut un véritable encadrement des jeunes et des femmes. Les relations avec les États de la sous-région ne sont pas bonnes depuis un moment. Il y a un semblant de discrédit qui semble s’abattre sur le Sénégal, car le pays est considéré comme plus proche des Occidentaux que des pays voisins. Il faut stabiliser et consolider les relations avec les États voisins sans pour autant couper les liens avec les puissances occidentales. Le Sénégal, à travers sa diplomatie culturelle, a toujours été la courroie de transmission entre l’Occident, le monde arabe et les autres pays de l’Afrique. Le pays joue un grand rôle diplomatique, d’où l’installation des Sénégalais à la tête de certaines institutions internationales, ce qui a beaucoup contribué au rayonnement du pays. Il faut consolider cette position sur la scène internationale et envoyer des personnes d’une expertise sans égale pour représenter le pays. Le besoin d’amélioration du système éducatif dans son ensemble La question de la gouvernance universitaire est centrale. On constate que jusqu’à tout récemment, les recteurs à la tête des universités étaient juste nommés par le chef de l’État. Cependant, il y a des nouveaux textes qui permettent aux enseignants eux-mêmes de choisir ceux qui vont les administrer, dont les recteurs des universités. Mais ces textes ne sont pas encore en vigueur dans toutes les universités sénégalaises.
Il faut une adéquation entre la formation, les aspirations de la jeunesse et le marché de l’emploi
Une des conséquences de ce système est que les recteurs, même étant conscients des priorités qu’imposent les institutions, ne peuvent agir concrètement, ils sont à la merci du pouvoir. Ils se soumettent à la logique du pouvoir. Or, l’université est par essence une institution qui est indépendante et qui doit œuvrer au service de la société. Il faut que les dirigeants d’universités prennent des décisions qui entrent en phase avec les intérêts de l’institution. Au niveau de l’enseignement primaire, secondaire et universitaire. Il faut mettre l’accent sur le mérite, notamment celui des enseignants. Tout système éducatif est sélectif. Les institutions internationales ont forcé plusieurs pays africains, notamment le Sénégal, à se tourner vers un système éducatif qui est aujourd’hui presque libéral. Le niveau des élèves a baissé, parce que celui des enseignants a également baissé. Nombreux sont les enseignants qui sont dans le corps professoral, mais qui n’ont pas de vocation. Ils y sont juste car ils cherchent un tremplin. Ce sont les problèmes qui doivent amener les gouvernants à réformer le système éducatif. Il faut réformer le système éducatif, car l’éducation est le fer de lance d’une nation. L’éducation a permis à l’élite sénégalaise de briller à travers le monde. Par exemple, au collège, on constate que ceux qui avaient échoué au public se retrouvaient dans le privé. Pourtant, aujourd’hui, c’est l’inverse. Les personnes qui ont les moyens n’osent plus envoyer leurs enfants dans le secteur de l’enseignement public, ils les envoient dans les écoles privées. Les politiques éducatives ne répondent plus de façon adéquate aux préoccupations des populations. Toutes les formations politiques ont cherché à avoir des relais dans le monde universitaire et la plupart des relais n’ont pas été rejoints par des enseignants-chercheurs, mais plutôt par les mouvements d’étudiants. Ceux-ci cherchent également à intégrer l’élite politique de ce pays. L’université est prise en otage. Elle est instrumentalisée par les partis d’opposition comme par le pouvoir, soit pour conserver le pouvoir qui est déjà conquis, soit pour conquérir le pouvoir. Il y a deux logiques qui s’affrontent toujours au sein des universités ; la conservation et la conquête du pouvoir. Pour y parvenir, les formations politiques allouent des ressources aux étudiants. Les étudiants deviennent des forces de mobilisation et des porte-voix des formations politiques au sein des universités. C’est un problème, car cette situation engendre des frictions et transpose les problèmes politiques au sein de l’université. Alors que l’université est censée être indépendante. Il est urgent de dépolitiser le milieu universitaire, mais aussi de différencier le campus social du campus universitaire.
Les politiques éducatives ne répondent plus de façon adéquate aux préoccupations des populations
Concernant les enseignants, il est nécessaire de contrôler les enseignants et de mettre en place une évaluation adéquate. Le constat est que les enseignements se comportent comme des rois, ils ne sont pas évalués. C’est parce qu’il n’existe pas un cadre adéquat qui permette vraiment d’évaluer les enseignants et de remédier à certains manquements. Aujourd’hui, le contrôle des enseignants se limite surtout au secondaire. Les priorités nationales globales pour assurer le bien-être collectif Il faut asseoir une politique de prévention des crises dans tous les domaines et une bonne redistribution des ressources. Cependant pour y parvenir, il faut réformer le secteur primaire, notamment l’agriculture et l’élevage, ainsi que celui de l’éducation qui sont des priorités fondamentales. Le secteur de la santé demande également une réforme. On met très souvent l’accent sur la santé curative, alors qu’on devrait surtout insister sur la santé préventive. Évoquant la question de la sécurité, il faut continuer à sécuriser les frontières, car le Sénégal est entouré de pays voisins qui traversent des crises sécuritaires. Plusieurs menaces sont à nos frontières, dont le commerce de la drogue et la présence des groupes djihadistes. J’aimerais souligner le rôle des think tanks. Par exemple, l’Europe a connu des moments de crise, mais elle a pu s’en sortir, car tout simplement, il y a eu des cadres de production de savoir et de savoir-faire. Un pays ne se construit qu’à travers le savoir et le savoir-faire, c’est une dynamique à encourager. L’élite de nos pays doit pouvoir élaborer des idées de progrès qui seront mises en œuvre par les politiques. Il faut une synergie entre les intellectuels et les politiques afin de mieux servir les populations. »
