Auteur : Paul Boyer et Rémi Carton
Site de publication : Reporterre
Type de publication : Article
Date de publication : 29 décembre 2022
Lien vers le document original
Dans le bidonville de Kroo Bay, situé face à la mer, 10 000 personnes vivent dans des conditions catastrophiques. À Freetown, capitale de la Sierra Leone, aux risques d’inondations s’ajoutent les fortes chaleurs, invivables durant la nuit. La plupart des habitants ne peuvent pas dormir sous les tôles et sortent vers minuit pour se rafraîchir. Ibrahim Banjura, un jeune danseur qui vit dans le bidonville, explique que tous étouffent dans ces baraques de fortune. « Cette nuit, je n’ai pas réussi à dormir chez moi, je suis sorti et je me suis allongé par terre », soupire le jeune homme de 21 ans.
Kroo Bay est le plus vaste bidonville de Freetown. Non loin de là, d’imposants immeubles côtoient quelques vieilles demeures héritées de la colonisation britannique. C’est ici qu’est installé l’Hôtel de ville, un bâtiment flambant neuf d’une quinzaine d’étages. Dans son bureau, au treizième, Eugenia Kargbo observe la baie par la fenêtre. Quelques navires sont visibles à l’horizon, tout comme les bidonvilles où vivent les habitants les plus vulnérables aux effets du réchauffement climatique. Pour les protéger, cette Sierra-Léonaise de 35 ans a été nommée « responsable de la chaleur » en novembre 2021.
Eugenia Kargbo pilote les politiques de la ville en matière d’écologie et de lutte contre les chaleurs extrêmes. Après Miami, Athènes ou encore Melbourne, Freetown a été la septième ville dans le monde à nommer un « responsable de la chaleur », la première du continent africain. « L’objectif est de travailler ensemble pour éveiller les consciences et faire en sorte que les gens ne meurent plus des chaleurs extrêmes », résume-t-elle.
D’après une étude publiée en 2021 par The Lancet, les chaleurs extrêmes causeraient chaque année la mort de plus de cinq millions de personnes, un chiffre vertigineux qui a poussé ces villes du monde entier à mutualiser leurs efforts.
La gestion des chaleurs extrêmes dont est victime Freetown est une des priorités d’Eugenia Kargbo. En poste depuis plus d’un an, elle mise sur la végétalisation : « Nous plantons des arbres près de la mer pour protéger la côte de l’érosion mais nous avons besoin d’espaces verts en ville, où les gens peuvent se rafraîchir ».
400 espaces verts ont donc été créés dans la ville : la coupe des arbres est prohibée et de jeunes pousses régulièrement plantées. Le plus impressionnant de ces « jardins urbains » se trouve à l’est du centre-ville, sur le site de la compagnie des eaux de Guma Valley où est stockée l’eau de la capitale.
À ces plantations d’arbres s’ajoute la réhabilitation d’espaces urbains insalubres. « Il y a plus de soixante-huit décharges illégales d’ordures dans la ville, dit Eugenia Kargbo. Nous nettoyons ces sites et utilisons l’espace pour planter des arbres et des fleurs. »
Des ombrelles métalliques pour abriter les vendeuses
À Freetown, tout le monde ne peut pas s’offrir un moment de répit à l’ombre d’un jardin urbain. C’est notamment le cas des nombreuses vendeuses des différents marchés, souvent obligées de tenir leur stand en plein soleil du matin au soir. Pour aider ces victimes de la chaleur, la mairie de la capitale a fait construire et inauguré en août dernier d’imposantes ombrelles métalliques dans trois marchés de la capitale.
Dans les allées grouillantes de Congo Market, au centre de la ville, on plébiscite déjà l’infrastructure. Tous les jours, les badauds affluent pour acheter des denrées en tout genre aux vendeuses, qui travaillent ici par centaines.
400 espaces verts ont été créés dans la ville : la coupe des arbres est prohibée et de jeunes pousses régulièrement plantées
Depuis quelques mois, leurs stands sont surmontés d’une imposante structure métallique, conçue pour les protéger des rayons UV et de la pluie.
Pour les milliers de personnes vivant dans les bidonvilles du bord de mer, la responsable de la chaleur Eugenia Kargbo est consciente que la ville devra envisager des solutions plus radicales si elle entend les protéger durablement des aléas climatiques : « Nous travaillons à améliorer certains quartiers et bidonvilles. C’est un projet au long cours de planification urbaine [notamment via des relogements] qui va prendre du temps ». En attendant de reloger des habitants, elle poursuit la collecte de données. « L’objectif est d’avoir une idée précise de l’impact de la chaleur, et savoir quelles communautés sont les plus vulnérables, » souligne-t-elle.
Outre la chaleur, les inondations rendent la vie des habitants impossible. Le niveau de la mer augmente et se rapproche dangereusement des habitations à Freetown, ville située à flanc de montagnes. Durant la saison des pluies, les inondations sont fréquentes. En 2017, plus de 500 personnes ont perdu la vie lors de coulées de boue désastreuses.
Chaque année, des milliers de Sierra-Léonais se demandent s’ils survivront durant ces pluies torrentielles. Dans le bidonville de Susan’s Bay, l’un des quartiers les plus pauvres de Freetown, des enfants se baignent dans l’océan au milieu des déchets. Les maisons en tôle semblent tenir debout par miracle. 4 500 personnes vivent dans ce quartier informel situé en bord de mer. Sans eau courante ni électricité, tous survivent comme ils peuvent.
Kadiatu Kamara craint pour ses quatre enfants. En 2015, cette maman a sauvé in extremis sa cadette. « L’eau a débordé de la jetée et mon salon a été rapidement inondé. Nous avons dû abandonner notre maison en urgence. Nous sommes revenus un an plus tard », dit la maman. Tous sont conscients du risque d’habiter dans ce quartier mais n’ont pas les moyens de le quitter.
Le niveau de la mer augmente et se rapproche dangereusement des habitations à Freetown, ville située à flanc de montagnes
« J’espère pouvoir sauver mes enfants si cela arrive de nouveau. Si une inondation se produit de nuit, nous nous noierons parce que nous ne savons pas nager », explique-t-elle. Au détour d’une ruelle, Souleiman Syllah, 95 ans, confesse avoir peur pour sa vie. « Si cela arrive, je m’en remettrai au miséricordieux, nous n’avons nulle part où aller », lance-t-il les yeux vers le ciel.
Face aux inondations, les habitants apprennent à se débrouiller seuls. John Koroma habite dans le bidonville depuis dix ans. Devant la mer, il témoigne que l’eau vient également des sols lors des fortes pluies. Il construit désormais une maison en consolidant le sol de sacs plastiques comme il peut. « Je suis conscient de la montée des eaux, dit-il en posant un énième parpaing. Mais je n’ai pas d’argent pour partir d’ici. »