Auteurs : Saliou Kamara, Philippe Martin, Adrien Coly
Organisation affiliée : Journal International Sciences et Techniques de l’Eau et de l’Environnement
Site de publication : hal.archives-ouvertes.fr
Type de publication : Article de journal
Date de publication : 18 septembre 2021
Lien vers le document original
Introduction
Les besoins en eau se sont donc accrus d’autant, nonobstant les modifications de niveau de vie qui ont exacerbé les tensions. Classiquement, les unités urbaines étaient alimentées par des ressources locales, souterraines (nappes : Nouakchott, Dakar, Thiès…) ou superficielles (fleuve : Saint-Louis du Sénégal, Matam…). Ces dernières ressources souterraines (voire superficielles : rivières) tendent à ne plus suffire.
Comme en France avec le Rhône, dans le sahel atlantique, la seule ressource importante potentielle d’eau douce est constituée par un fleuve : le Sénégal qui coule, pour la partie qui nous intéresse, globalement d’est en ouest (la partie sud issue des Guinées à un cours sud-nord, mais les problèmes d’eau y sont très différents ; la pluviosité est importante dans la zone guinéenne : environ 1 200 mm/an) et matérialise la frontière entre le Sénégal au sud et la Mauritanie au nord. Par rapport à la situation de la France du Sud-est le dispositif naturel est donc seulement pivoté d’un quart de tour dans le sens des aiguilles d’une montre, le littoral atlantique étant nord-sud alors que celui de la Méditerranée est globalement est-ouest.
GEOGRAPHIE ET POTENTIEL DES RESSOURCES EN EAU SUR LE FLEUVE SENEGAL
Une ressource en eau progressivement maitrisée
Ce fleuve, partagé entre plusieurs États (Guinée, Mali, Mauritanie, Sénégal,), assure une alimentation pérenne en eau douce d’un espace où la présence d’eaux douces a toujours constitué une opportunité de développement. Ainsi, depuis l’AOF (Afrique-Occidentale Française) jusqu’à la mise en place de l’OMVS, les projets de développement s’y sont multipliés.
Sur cette population, 69 % ont recours aux charretiers/âniers privés ; les autres s’approvisionnant par citernes privées ou en achetant l’eau potable aux bornes-fontaines. Il convenait donc, d’une certaine façon, d’accroitre l’alimentation déjà fournie par le fleuve
Historiquement, la vallée du fleuve Sénégal a été la cible prioritaire de tentatives de développement qui se sont soldées, la plupart du temps, par des échecs, car la mise en valeur ne pouvait se faire que dans le cadre d’une domestication complète de l’eau.
Celle-ci a été acquise seulement à partir de 1986 (barrage antisel de Diama), puis de 1988 avec le barrage-réservoir de Manantali. Ces deux grands ouvrages hydrauliques ont permis une régulation annuelle de l’eau douce, en modifiant le rythme naturel de la crue et de la décrue qui animait historiquement l’hydrosystème et les activités socio-économiques.
Accès à l’eau
L’accès à l’eau potable des centres urbains du Sénégal et de la Mauritanie se pose avec acuité dans un contexte d’urbanisation croissante et de pénuries structurelles d’eau observées dans les centres urbains de Dakar et de Nouakchott. Ce déficit peut être d’autant plus prégnant que certains centres urbains se situent en zone désertique (Nouakchott : 150 mm de pluies par an). Dakar, Thiès et Touba étant de ce point de vue un peu plus favorisées, car plus arrosées (500 mm environ par an). La récurrence des épisodes de sécheresse a, en outre, contribué à un départ massif des populations rurales pour les villes ce qui a entraîné une urbanisation peu maitrisée ainsi qu’une forte pression sur les infrastructures d’eau potable existantes. Les besoins en eau des villes sont donc en constante augmentation alors que les sources d’eau souterraine plus ou moins locales se tarissent. Ainsi, ces sources d’eau souterraine sont impactées par ces déficits pluviométriques, l’intrusion du biseau salé engendrée localement par les pompages et les prélèvements urbains et agricoles entraînant des conflits entre les activités et des arbitrages de l’État au profit des villes. Un écart important apparait ainsi entre l’offre d’eau et les besoins à satisfaire. Toute question climatique mise à part (changement climatique…), cette situation constitue un exemple archétypal de sécheresse conçue comme une inadéquation entre l’offre et la demande en eau.
STRUCTURE DE LA CONSOMMATION EN EAU POTABLE : POIDS DE L’URBANISATION ET DE L’AEP
Une urbanisation importante
Le réseau urbain du bassin versant du fleuve Sénégal est constitué majoritairement par des villes moyennes (de moins de 50 000 habitants) que dominent Saint-Louis, Richard Toll (delta du Sénégal) et Kayes (haut bassin). À une échelle plus petite, Dakar, Nouakchott, Thiès et Touba couronnent la hiérarchie urbaine régionale (population entre 500 000 et 3 500 000 h). On notera toutefois une forte dissymétrie entre, au sud, l’axe Dakar — Touba qui constitue un pôle urbain majeur et la ville de Nouakchott qui est un exemple de macrocéphalie exacerbée. La figure 2 montre une urbanisation littorale et fluviale (de part et d’autre du fleuve Sénégal). Les zones sèches au sud du fleuve Sénégal et à l’est de l’axe Kerewan-Rosso (vallées fossiles du Ferlo) sont dépourvues de centres urbains et ont des effectifs de population faibles. De même du côté mauritanien le chapelet de petites villes situées à quelques dizaines de kilomètres du fleuve est extrêmement modeste.
Un fleuve convoité pour l’AEP des centres urbains
Les prélèvements en eau potable sont dominés par ceux de Dakar, Nouakchott et Saint-Louis. Par ailleurs, une AEP de la ville de Touba, à l’est de Dakar, a été envisagée aussi à partir du fleuve Sénégal. Si la réalisation de ce projet n’est plus à l’ordre du jour, elle apparait toutefois comme un cas d’école pour l’alimentation en eau potable de grands centres urbains (Thiès, Diourbel et Dakar) qui constituent les pôles actuels de développement du Sénégal.
Ainsi, près de 50 % de l’eau consommée par Dakar est-elle prélevée dans le lac de Guiers depuis 2008. Cette solution exploite une dépression topographique qui permet un écoulement vers le sud de l’eau sur environ 216 km, ce qui rapproche d’autant cette ressource de la capitale. A contrario le lac subit une forte évaporation. Fort logiquement les stations de prélèvement pour Dakar ont été placées dans la seconde moitié sud du lac.
La récurrence des épisodes de sécheresse a, en outre, contribué à un départ massif des populations rurales pour les villes ce qui a entraîné une urbanisation peu maitrisée ainsi qu’une forte pression sur les infrastructures d’eau potable existantes
L’usine de production et de traitement KMS 3 fera passer, à terme, la contribution du lac de Guiers dans l’AEP de Dakar, à près de 60 %. La transition des eaux souterraines vers les eaux de surface à travers les politiques de transfert d’eau permet de résorber une demande ciblée en fonction des filières (eau potable). Le Sénégal et la Mauritanie ont adopté le transfert de l’eau comme réponse technique à la rareté de l’eau dans certains bassins géographiques déficitaires (Dakar, Nouakchott), à sa difficile mobilisation du fait de la recharge pluviométrique insuffisante des nappes phréatiques, à sa qualité parfois déficiente dans certaines zones et à la concurrence entre espaces urbains et ruraux.
Entre 1958 et 2010, la nappe du Trarza, située à 60 km de Nouakchott, a été la principale source d’alimentation en eau potable de la capitale mauritanienne. La capacité de production des forages du champ captant d’Idni n’a cessé de croître pour répondre à une demande de plus en plus importante de la capitale mauritanienne.
La construction du barrage de Diama semble avoir eu un double effet bénéfique pour cette nappe. D’une part, l’eau salée ne peut plus entrer dans le delta. D’autre part, la côte de l’eau douce, en toutes saisons, se trouve plus haute, accroissant d’autant la pente piézométrique, et cela grâce aux apports stockés à Manantali.Toutefois, sous la ville de Nouakchott, on trouve des entrées d’eaux marines (biseau salé) qui semblent s’étendre jusqu’aux abords de la nappe de Trarza, près du camp captant, lequel ne doit donc pas être la cause d’un abaissement trop fort des niveaux piézométriques, ce qui faciliterait vers l’est l’extension du biseau et augmenterait la charge en sel des eaux douces. Ainsi, bien que croissants lors des dernières années, les prélèvements effectués ne semblent pas dépasser un débit de l’ordre de 400 l/s.
Différentes difficultés ont conduit à des pénuries d’eau à Nouakchott et à une forte augmentation des inégalités d’accès à l’eau potable ; 80 % des ménages se ravitaillant hors du réseau de la SNDE. Sur cette population, 69 % ont recours aux charretiers/âniers privés ; les autres s’approvisionnant par citernes privées ou en achetant l’eau potable aux bornes-fontaines. Il convenait donc, d’une certaine façon, d’accroitre l’alimentation déjà fournie par le fleuve. L’alimentation « artificielle » en eau potable de Nouakchott, depuis le fleuve Sénégal, a démarré en fin 2010.
DES IMPLICATIONS EN TERMES DE GESTION DE L’EAU
La régulation par la coopération transfrontière
Le poids des centres urbains dans la consommation en eau potable se manifeste fortement dans les chaînes d’utilisation de l’eau et dans les décisions gouvernementales (gouvernance des ressources en eau à l’échelle macro). Cela suppose des choix politiques de la part des États et des arbitrages au sein de l’OMVS dans la répartition de la ressource entre les États et les filières d’utilisation ; répartition qui peut parfois générer des conflits.
La transition des eaux souterraines vers les eaux de surface à travers les politiques de transfert d’eau permet de résorber une demande ciblée en fonction des filières (eau potable)
Le fleuve Sénégal, y compris ses affluents, défluents et lacs (de Guiers côté sénégalais, R’kiz côté mauritanien), est une ressource transfrontière (statut de fleuve international). Il est géré par un organisme supranational (OMVS) ; les ouvrages hydrauliques étant déclarés communs (Diama, Manantali) et gérés par des sous-structures de l’OMVS (SODED, SOGEM) et les modalités d’utilisation et de partage de l’eau douce, entre les États puis entre les différents usages, discutées et programmées au sein de la Commission Permanente des Eaux (instrument et institution de résolution des conflits).
CONCLUSION
Il en découle que ces politiques de transferts impactent la gestion de l’eau du fleuve Sénégal :
- d’une part en mettant en premier la filière AEP comme usager stratégique ; de ce fait, les exigences de productivité agro-industrielles intègrent la qualité de la ressource pour l’AEP des centres urbains ; dans le cas du lac de Guiers, son fonctionnement hydrosystémique garantit la qualité de l’eau pour l’AEP de Dakar ;
• et d’autre part en mettant en place des outils de régulation des allocations de l’eau au sein de l’OMVS. Ainsi, la Charte des eaux privilégie-t-elle une allocation de l’eau en fonction des usages et non des pays (coopération transfrontalière) pour éviter les tensions dans l’utilisation de l’eau consécutives au projet de transfert d’eau du Sénégal vers Dakar à la fin des années 2000.
Les Wathinotes sont soit des résumés de publications sélectionnées par WATHI, conformes aux résumés originaux, soit des versions modifiées des résumés originaux, soit des extraits choisis par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au thème du Débat. Lorsque les publications et leurs résumés ne sont disponibles qu’en français ou en anglais, WATHI se charge de la traduction des extraits choisis dans l’autre langue. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.
The Wathinotes are either original abstracts of publications selected by WATHI, modified original summaries or publication quotes selected for their relevance for the theme of the Debate. When publications and abstracts are only available either in French or in English, the translation is done by WATHI. All the Wathinotes link to the original and integral publications that are not hosted on the WATHI website. WATHI participates to the promotion of these documents that have been written by university professors and experts.