Auteur : Alexandra Lamarche
Site de publication : LE RUBICON
Type de publication : Article
Date de publication : Mai 2023
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Les pourparlers de paix de l’année dernière entre les autorités tchadiennes et les groupes armés tchadiens ainsi que le « dialogue national » semblaient peut-être inaugurer une nouvelle ère pour ce pays d’Afrique centrale après la mort du président Idriss Déby. Cependant, il s’agissait probablement d’un mirage.
Pendant trop longtemps, des parties prenantes telles que l’Union africaine (UA), l’Union européenne (UE) et les États-Unis ont fermé les yeux sur les pratiques antidémocratiques de ce pays au nom sans doute des relations de longue date du Tchad avec la France et de la capacité de son armée à repousser les menaces des insurgés armés.
La crise de légitimité actuelle a débuté en avril 2021, lorsque le président Idriss Déby a été tué. Faisant fi de la disposition constitutionnelle tchadienne selon laquelle le pouvoir doit être transmis au président de l’Assemblée nationale jusqu’aux élections, le fils d’Idriss Déby, Mahamat Déby, s’est déclaré président du Conseil Militaire de Transition, qui devait gouverner pendant dix-huit mois jusqu’à la tenue d’élections démocratiques. Des millions de dollars ont été fournis par le Canada, l’UE et la France pour soutenir le processus de transition, mais la probabilité qu’une véritable transition ait lieu est, à présent, très faible.
La transition n’a pas été entièrement dépourvue de changements positifs. Les chefs rebelles en exil, Timan Erdimi et Mahamat Nouri, ont pu rentrer au Tchad après des décennies à l’étranger afin de participer au dialogue, et les rebelles ont depuis été intégrés à un nouveau gouvernement d’union.
Les décennies du règne d’Idriss Déby sont connues pour la répression de l’opposition, les élections frauduleuses et les promesses non tenues de démocratisation. Malgré ces tendances, le soutien international à Idriss Déby a rarement fléchi. Compte tenu du bilan de son fils au cours des deux dernières années, il est difficile d’imaginer que la nouvelle version d’un gouvernement Déby sera très différente.
La nécessité de rompre avec le suivisme complaisant vis-à-vis de la France
Peu après la mort d’Idriss Déby, Jérôme Tubiana décrivait la transition comme une succession familiale et « à un « régime d’exception » au regard des condamnations internationales plus claires envers les tentatives autoritaires dans d’autres pays de la région ».
Depuis l’indépendance du Tchad en 1960, la France entretient des relations particulières et compliquées avec son ancienne colonie. Depuis trop longtemps, la France s’est concentrée uniquement sur la stabilité et a soutenu Idriss Déby. Malgré la répression violente de l’opposition par Déby père et les élections douteuses qui l’ont vu être réélu dans les années 1990 et 2000, la France et la majeure partie de la communauté internationale ont continué à reconnaître son règne.
Depuis lors, le Tchad est devenu le principal allié militaire de la France sur le continent. Les accords entre les deux pays ont conduit la France à former des soldats tchadiens et à renforcer leurs capacités de renseignement. En retour, la France a maintenu une présence militaire dans le pays, lui donnant « la capacité de sécuriser les citoyens français et les intérêts économiques au Tchad et dans les pays voisins ».
Les soldats français sur le terrain ont également été crédités d’avoir dissuadé les groupes rebelles de renverser les dirigeants tchadiens. Cela a été particulièrement évident en 2008 et en 2019, lorsque les forces françaises ont mené des frappes aériennes pour arrêter les rebelles qui comptaient attaquer la capitale tchadienne, N’Djamena.
Le Tchad a été le partenaire clé de la France dans la « guerre contre le terrorisme » dans le Sahel – de la Mauritanie au Tchad – dans le cadre de son opération Serval de 2013 à 2014 et de son opération Barkhane entre 2014 et 2022.
Alors que l’UE a souvent suivi la France, les pays membres semblent moins alignés sur Paris face aux événements récents. Le 14 décembre, le Parlement européen a adopté une résolution qualifiant la prise de pouvoir de Déby de « coup d’État militaire » (des mots que peu de gouvernements ont prononcés) et a condamné l’utilisation de la violence par la junte militaire contre les manifestants.
Alors que la France va peut-être continuer à soutenir la dynastie Déby, d’autres acteurs doivent continuer à prendre leur distance avec cette tradition néfaste – non pas dans un effort de rompre les liens avec le Tchad, mais pour contraindre le gouvernement à faire le bien pour son peuple et à encourager la France à faire écho à ces demandes.
Le rôle des parties prenantes internationales
Au lieu de fermer les yeux sur les transgressions des autorités tchadiennes en raison de leur statut de « régime d’exception », les partenaires diplomatiques devraient au moins conditionner leur soutien à des améliorations fondamentales en termes de droits de l’homme et de fourniture de services de base.
De son côté, l’Union africaine (UA) doit jouer un rôle plus important dans la pression exercée sur les autorités tchadiennes.
Le nouveau gouvernement pourrait très bien mener le pays vers une nouvelle ébullition. Mahamat Déby pourrait conserver le pouvoir au-delà de la période de transition de deux ans en reportant à plusieurs reprises les élections ou en organisant des élections opaques.
Alors que les donateurs continuent de financer le processus de transition et de consolider le financement des élections prévues en 2024, les leviers diplomatiques doivent être utilisés pour encourager la transition à s’engager efficacement dans les pourparlers de paix qui ont été initiés et veiller à ce que Déby ne continue pas à se dérober à ses responsabilités en matière d’organisation d’élections et qu’il subvienne aux besoins des citoyens tchadiens.