Auteur : Samuel Hall
Site de publication: Unicef
Type de publication : Rapport
Date de publication: Janvier 2022
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La division du travail par sexe
En matière de division du travail par sexe, le principe prédominant de la société mauritanienne repose sur l’idée des tâches domestiques comme étant un domaine principalement féminin, peu importe le milieu social et les ethnies. Au sein du foyer, le nettoyage, la préparation des repas, le soin des enfants et la collecte de l’eau et du bois de chauffe incombent d’abord aux femmes et aux filles. Il existe cependant certaines nuances ethniques et régionales.
En ce qui concerne les travaux hors du foyer, selon les contextes, les femmes peuvent prendre part à certaines activités économiques et productives, telles que la commercialisation des produits laitiers ou de la pêche, la gestion des petits ruminants et des poulaillers, ou les travaux champêtres. Dans les régions du programme, les femmes des communautés Soninké et Maures sont assez actives dans les activités de commerce.
L’accumulation de ces travaux avec les travaux domestiques quotidiens crée une charge de travail des femmes significativement plus lourde que celles des hommes. Cette situation est aggravée par l’exode rural masculin, courant dans la zone d’intervention du programme, et dont un des effets est la prise en charge par les femmes de responsabilités supplémentaires qui incombent traditionnellement aux hommes.
Prise de décision au sein du foyer
En Mauritanie, l’influence et la position des femmes au sein du foyer varient selon les communautés ethniques. Cependant, du fait de la prédominance du patriarcat dans l’environnement socioculturel mauritanien, le pouvoir de décision et l’autonomie de la femme restent souvent limités au sein du foyer.
Les facteurs socioculturels à l’origine du positionnement secondaire du rôle de la femme au sein du foyer et de la société sont complexes et peuvent différer selon les groupes ethniques. Chez certaines communautés, une vision infantilisante de la femme comme un être inhéremment immature et incapable de prendre des décisions, au même titre qu’une éternelle enfant, explique sa mise sous tutelle de l’homme, qui est alors en charge de veiller sur son bien-être. Dans d’autres cas, la position de domination de l’homme est justifiée comme étant un mécanisme de protection pour les femmes. La femme aura alors son mot à dire, mais les décisions finales reviennent à l’homme.
Des nuances existent toutefois dans la société mauritanienne. Du fait de l’héritage matriarcal dans la société maure, les femmes mauresques bénéficient de plus d’influence et d’autonomie dans la gestion du foyer, comparativement aux femmes des autres communautés.
L’implication limitée des femmes dans la prise de décision au sein du foyer est défavorable au développement de la résilience des communautés, car une de ses conséquences importantes est une adaptation difficile des femmes aux situations de chocs, du fait de leur manque d’autonomie. Cette situation est d’autant plus préoccupante pour les femmes se retrouvant chef de ménage suite à différentes circonstances, tel que le départ en exode du mari.
Contrôle des biens de productions
Accès à la terre
Bien que la législation mauritanienne reconnaisse l’égalité de droits de propriété entre hommes et femmes, y compris la propriété foncière, généralement, ce sont les hommes qui héritent de la terre, quelles que soient les communautés. En effet, les règles de succession appliquées sont fondées sur un mélange de droit islamique, selon lequel la femme ne reçoit que la moitié de la part de l’homme, et les coutumes traditionnelles, qui excluent généralement les femmes de l’accès à la terre, dans une logique de préservation du bien au sein de la famille.
Dans la société maure (majoritaire en Assaba et dans le Hodh Chargui), la terre est considérée comme un prestige de famille qui doit être conservé de génération en génération sous les patronymes des familles propriétaires, tandis que chez les Soninké (majoritaires dans le Guidimakha), la priorité de l’héritage est accordée aux garçons et aux hommes, afin d’éviter que l’héritage familial soit transmis dans une autre famille suite au mariage des femmes.
Revendication des droits et participation significative à la prise de décision publique
Les hommes sont à la tête des chefferies traditionnelles, mais il peut arriver que certains chefs, qui sont généralement les plus éduqués et ayant une attitude moins rigide par rapport aux traditions, impliquent des femmes dans les consultations et discussions.
Le contexte socioculturel mauritanien actuel n’est pas propice à la prise de parole en public des femmes, en particulier devant les hommes ou des personnes plus âgées, ce qui constitue une entrave à la participation des femmes à la prise de décision publique. En effet, il arrive que des femmes ressentent une honte à s’exprimer devant les hommes, parce que selon l’héritage socioculturel en vigueur, les femmes ont une position secondaire aux hommes, à qui revient d’abord le rôle de prise de parole en public.
Mutilations génitales féminines
Selon les premiers résultats de l’enquête nationale EDSM menée entre 2019 et 2021, un peu moins de deux tiers (63.9%) des femmes âgées de 15 à 49 ans déclarent avoir subi une forme de Mutilation Génitale Féminine / Excision (MGF/E). La prévalence des MGF/E serait largement supérieure en milieu rural (77,1%) qu’en milieu urbain (51,3 %). Les taux les plus élevés sont enregistrés dans les wilayas du Hodh Chargui (93,7%), Tagant (88,2%) et Guidimakha (84,6%). Plus du tiers des femmes âgées de 15 à 49 ans (38,4%) estiment que la pratique des MGF/E devrait continuer et (35%) pensent qu’elles seraient une exigence religieuse.
Ce constat est plus inquiétant chez les hommes âgés de 15 à 59 ans, car près de la moitié (49,4%) estiment que la pratique devrait continuer et 44,8% parmi eux pensent qu’il s’agit d’une exigence religieuse. Les principales mutilations génitales féminines pratiquées, d’après le rapport de l’enquête MICS 2015, sont la clitoridectomie, qui correspond à l’ablation partielle ou totale du clitoris (65%) avec ablation partielle ou totale des petites lèvres.
L’enquête de base du programme révèle que, dans la zone couverte par le programme, près de deux femmes sur cinq (39,3%) sont pour la poursuite des MGF, contre la moitié des femmes étant pour l’abandon de la pratique (49,2%).Dans le Hodh Chargui, 66,3% des femmes sont pour leur abandon, tandis qu’en Assaba, 59,8% des femmes sont pour leur poursuite.
Enfin, 61,2% des ménages dont la langue maternelle du chef de ménage est le Soninké, majoritaires dans le Guidimakha, sont pour l’abandon de la pratique. Ces chiffres sont révélateurs de l’existence d’attitudes différenciées par rapport aux MGF selon les régions ou les communautés, et le taux significatif de désir d’abandon de la pratique dans certaines régions ou communautés peut être interprété comme une prise de conscience de leurs effets néfastes sur la vie et la santé des femmes et des filles.
Violence basée sur le genre (VBG) et justice réparatrice
En Mauritanie, les violences basées sur le genre (VBG) se présentent sous différentes formes : elles peuvent être physiques, psychologiques, culturelles, sexuelles et économiques.
Malgré les efforts entrepris par l’État dans la lutte contre les VBG, l’existence de lacunes dans la législation nationale ne permet pas d’offrir aux victimes la protection nécessaire. En effet, il n’existe actuellement pas de législation définissant et incriminant des VBG en Mauritanie, ce qui aggrave la vulnérabilité des victimes, et contribue à créer un climat d’impunité pour les agresseurs. Ainsi, du fait de l’absence de définition du viol et des VBG dans la législation nationale, les survivantes d’agressions sexuelles et les femmes.
Après des multiples tentatives infructueuses dans le passé, un projet de loi relatif à la lutte contre les violences à l’égard des femmes et des filles a été présenté à l’Assemblée nationale en 2020. Ce projet de loi vise à fournir un cadre de prévention, de protection et de recours pour les survivantes, et prévoit des définitions et des peines précises pour différentes formes de VBG, telles que le viol et les mutilations génitales féminines.124 Cependant, la nouvelle loi n’a pas pu être encore adoptée par le Parlement, en raison de la résistance et l’opposition de certains groupes religieux islamiques.
Éducation
Parmi les facteurs principaux à l’origine du fort taux d’abandon scolaire chez les filles à partir du niveau secondaire, sont les phénomènes du mariage des enfants et des grossesses précoces. Ceux-ci sont particulièrement élevés dans la zone d’intervention du programme, et réduisent significativement les perspectives d’éducation des filles.164 En effet, du fait des normes sociales en vigueur et de la pression parentale, il est courant que les filles se sentent dans l’obligation de se marier et de quitter l’école.
D’autres facteurs peuvent favoriser l’abandon scolaire des filles au cycle secondaire, tels que l’éloignement des écoles secondaires, le manque de confiance des parents dans les internats de filles, des cas de harcèlement en milieu scolaire et l’insuffisance d’infrastructures d’hygiène menstruelle (toilettes séparées). La primauté du rôle domestique attribué aux filles et une perception peu valorisante de l’éducation des filles peuvent aussi entrer en jeu.
Il convient de noter qu’à l’échelle nationale, y compris dans la zone d’intervention du programme, le manque d’infrastructures et de ressources humaines sont des facteurs importants d’abandon scolaire, aussi bien pour les filles que pour les garçons. En effet, il est courant en Mauritanie que les salles de classes soient en mauvais état et ne soient pas dotées d’équipements, et que beaucoup de zones rurales n’aient pas de professeurs.
Protection de l’enfance
Mariages des enfants
La pauvreté, la préservation de l’honneur familiale, et la protection des filles contre les grossesses hors mariage, qui sont les deux principales causes de mariages des enfants en Mauritanie. En effet, le mariage d’enfants permet aux familles en situation de précarité de se décharger des frais financiers qu’induit le maintien des filles dans le foyer, et la réception d’une dot peut représenter un gain financier pour les ménages. Ainsi, selon une étude du Ministère des Affaires Sociales, de l’Enfance et de la Famille (MASEF) menée en 2013, une augmentation du mariage d’enfants a pu être constatée en période d’insécurité alimentaire prononcée.
Le manque de perspectives d’avenir offertes aux filles dû aux opportunités éducatives et professionnelles limitées, qui font que certaines filles perçoivent le mariage avec un homme plus aisé comme la seule opportunité d’assurer une vie meilleure. Ainsi, des études ont démontré que la scolarisation des filles contribue à la mitigation du mariage d’enfants, notamment dans le milieu urbain.
La propagation de discours islamistes au sein de la société, qui promeuvent le mariage avec des mineures. Ainsi, le mariage des enfants n’est pas toujours perçu comme une pratique néfaste dans la société mauritanienne.