Auteur : Fulbert Ngodji
Organisations affiliées : Plateforme d’analyse, de suivi et d’apprentissage au Sahel (PASAS), Agence française de développement
Type de publication : Rapport
Date de publication : 1er Janvier 2022
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Introduction
Le présent rapport documente les résultats de la recherche menée au Tchad dans le cadre du projet portant sur l’éducation arabo-islamique au Sahel.
Au Tchad, d’une question à la base éducative, l’éducation arabo-islamique a revêtu des dimensions géopolitiques dont dépendent les dynamiques de construction d’un espace national.
Etat des lieux des connaissances sur l’éducation arabo-islamique au Tchad
- Éducation arabo-islamique et souveraineté étatique au Tchad
Face aux enjeux d’internationalisation des systèmes éducatifs, la communauté internationale s’interroge sur les « initiatives prises pour (re) construire et transformer l’éducation arabo-islamique en Afrique, en particulier depuis les années 2000 ». L’éducation arabo-islamique est ainsi présentée comme alternative à l’éducation « moderne » dont est écartée une partie de la population en âge de scolarisation.
Face à la tendance systématique à coller aux écoles coraniques une étiquette de mendicité et à entériner l’opposition école coranique/école « moderne, les défenseurs d’une posture conservatrice perçoivent une volonté cachée d’étouffer l’éducation arabo-islamique au profit de l’éducation « moderne ».
En effet, replacé dans le contexte tchadien, l’ampleur du phénomène de mendicité oblige à y voir « une crise de société et de culture dont il faut saisir les fondements afin d’évaluer les mesures à prendre afin d’empêcher les nouvelles générations de s’enfoncer dans les différentes formes de marginalité sociale ».
Dans le contexte actuel, l’explication de la mendicité par la seule perversion de l’école coranique passe largement pour une entreprise de stigmatisation à dessein.
- Éducation arabo-islamique et cohésion sociale
Hier, l’enjeu du débat sur l’éducation arabo-islamique était politique et se rattachait à la capture politique de l’islam dans l’intérêt de l’administration coloniale. Plusieurs décennies après, la question du bilinguisme arabe-français peine à s’en détacher et remet en débat les défis contemporains de cohésion nationale au Tchad.
Les francophones pensent que parler arabe est synonyme de s’islamiser. Et nos frères musulmans pensent que parler français c’est se convertir au Christianisme ».
Historique et dynamique actuelle de l’éducation arabo-islamique
- Les origines de l’éducation arabo-islamique au Tchad
Abdelkerim Ibn Djamé, avant d’être un homme politique, s’est distingué comme un prédicateur de l’islam. En arrivant dans le Ouaddaï, il a trouvé un peuple attaché aux cultes ancestraux. Grâce à ses origines arabes, il a intensifié la migration d’intellectuels arabes vers le Ouaddaï pour en favoriser l’islamisation. Cette islamisation a débuté avec des tournées de prédication et d’enseignement de quelques sourates du Coran aux adultes. Il était alors question de rejoindre les apprenants dans leurs milieux de vie et de leur transmettre les connaissances basiques de l’islam. Cette méthode sera abandonnée au profit de l’adoption d’un lieu unique. C’est ainsi que la première mosquée a été ouverte, abritant trois institutions qui assurent chacune une fonction spécifique : l’enseignement coranique aux adultes, la célébration de la prière et la tenue de réunions à caractère religieux ou séculier.
L’offre et la demande d’éducation arabo-islamique
- Le primaire et le secondaire arabo-islamique
Les origines du primaire et du secondaire arabo-islamique remontent à la réforme de 1962 qui, comme mentionné plus haut, a occasionné la conversion des écoles coraniques réformées en écoles privées d’enseignement arabe. Le contenu pédagogique de cette offre est séculière, dispensé en arabe et est aligné au programme éducatif national.
À l’offre formelle d’éducation arabo-islamique, correspond donc un public arabo-musulman. Elle s’adresse à un public entretenant une proximité religieuse ou culturelle à la langue arabe.
Si l’enseignement islamique dans ce contexte est un élément non central, il demeure néanmoins indispensable et indissociable de cette offre. La perception que se font les parents de l’éducation dans le contexte actuel est celle d’une conciliation qui favorise en même temps la réussite scolaire et la réussite sociale.
- Le supérieur arabo-islamique au Tchad
Créée en 1991, l’Université Roi Fayçal est la deuxième plus grande université tchadienne en termes de capacité d’accueil. Elle prolonge le primaire et le secondaire arabo-islamique et constitue le plus haut niveau de l’enseignement arabo-islamique formel au Tchad. Il s’agit ainsi d’un « établissement privé d’utilité publique » dont la vision est de former des cadres intellectuels tchadiens dans les sciences et spécialités modernes.
Elle compte en son sein sept facultés qui forment dans les domaines aussi variés que l’économie et la gestion, les arts et la communication, les sciences juridiques et politiques, les sciences techniques de la santé et enfin, les sciences de l’éducation.
En principe, les diplômes obtenus prédisposent à l’insertion professionnelle, au même titre que ceux délivrés dans le parcours français. Mais une telle affirmation reste à nuancer. Dans un contexte tchadien où l’État est partout resté le premier employeur, l’entrée à la fonction publique, qui se fait par concours national, offre deux fois plus de chances d’insertion aux arabophones qu’aux francophones.
- L’offre semi-formelle et informelle de l’éducation arabo-islamique
L’offre informelle de l’éducation arabo-islamique est celle des écoles coraniques traditionnelles. Sa vocation est religieuse et se caractérise par le peu d’ouverture quant à l’évolution de son contenu pédagogique et de ses méthodes d’enseignement.
En dehors de sa vocation religieuse, l’offre informelle se positionne aussi comme alternative à l’offre publique dans les contextes où l’accès à l’éducation « moderne » est contraint. Sous cet angle, « elle constitue parfois l’école unique, représentant le seul accès à l’instruction pour les populations, les pauvres et les plus marginalisées du point de vue économique et politique ». En effet, dans les milieux ruraux où l’activité agricole et pastorale est la clé de répartition du temps, l’école coranique traditionnelle est une réponse au conflit de temporalité né de la difficile conciliation des occupations économiques des ménages au calendrier scolaire.
Si l’offre formelle se dispense dans les écoles privées arabes, deux types d’institutions dispensent l’offre semi-formelle: la Khalwa et la Mabrouka. De même, l’offre semi-formelle se distingue de l’offre formelle par sa finalité, à savoir l’enseignement islamique dans toute sa diversité. En effet, contrairement à l’offre formelle, l’insertion professionnelle n’est pas la finalité de l’offre semi-formelle.
Genre et éducation arabo-islamique
Les inégalités de genre constituent un défi structurel à l’efficacité des ressources injectées dans le système éducatif tchadien. Cette situation oblige à porter un regard particulier à la dimension genre dans le système d’enseignement arabo-islamique déjà marginalisé dans la redistribution de ces ressources. Cette ambition se heurte aux considérations propres au contexte. En effet, le chercheur est sur un terrain où toute investigation allant dans ce sens est perçue comme procédant d’un militantisme occidental. Cette réalité est encore vraie dans le contexte tchadien où l’éducation arabo-islamique relève exclusivement d’une dynamique construite par le bas, c’est-à-dire au niveau des communautés et des organisations islamiques. Pourtant, le champ de l’éducation arabo-islamique au Tchad est travaillé par de nouveaux rapports de genre.
Le premier constat dans les écoles d’enseignement arabe est celui de l’effectif relativement élevé des filles par rapport aux garçons. Comme le confirme cet enseignant, « cela est dû à la mentalité musulmane [tchadienne] qui valorise beaucoup plus les écoles francophones pour les garçons et les écoles islamiques pour les filles » (Extrait d’entretien, Enseignant, N’Djaména, février 2020).
Les pratiques de différenciation liées au genre procèdent d’une obligation de préservation des mœurs. Susceptible de varier d’une école à une autre, elles rendent compte du rôle déterminant de la dimension genre dans les choix éducatifs opérés par la communauté au profit de l’enfant.
Aussi, la préférence du système arabo-islamique pour l’éducation de la jeune fille trouve sa justification dans la division sexuelle des rôles en cours dans la communauté musulmane. Le peu d’emprise des communautés sur l’école « moderne » constitue en soi un facteur de réticence qui joue en faveur de l’enseignement arabe.
Effets de l’EDUAI sur les dynamiques éducatives
Le secteur éducatif au Tchad se caractérise par une demande de plus en plus croissante, face à laquelle l’offre demeure inférieure. Globalement, des six pays concernés par cette étude, le Tchad est celui dans lequel l’État investit le moins pour l’éducation primaire et secondaire. L’école tchadienne de ce fait est prise en charge par les communautés, à travers les Associations de Parents d’Élèves (APE).
Les disparités liées à la situation géographique et au genre favorisent les plus favorisés, c’est-à-dire les garçons vivant en milieu urbain et dans les ménages riches. Ceux-ci continuent de capter la plus grande partie des ressources allouées pendant qu’à l’opposé, les filles rurales vivant dans les ménages pauvres continuent d’être tenues en marge.
Conclusion
Au terme de ce rapport, il est apparu évident que l’éducation arabo-islamique au Tchad se trouve connectée à plusieurs enjeux contemporains de l’émergence du Tchad en tant que nation.
Le pays est partagé entre partisans d’une école publique conforme aux aspirations laïques et ceux d’une éducation arabo-islamique à dominante progressiste.